Le maire de Bujumbura a interdit l’ouverture officielle de la permanence nationale du CNL, dimanche 3 mars, pour des « raisons sécuritaires ». Agathon Rwasa, son président, dénonce une « interdiction non fondée ».
Comment réagissez-vous à l’interdiction d’ouverture de votre permanence nationale ?
Tout d’abord, c’est décevant. On a concentré beaucoup d’énergie pour les préparatifs. Et voilà qu’à la dernière minute, on torpille tout. N’en déplaise à certains, nos activités sont déjà lancées. L’interdiction est soi-même une communication que les activités sont lancées. Ça produit plutôt un effet contraire. Cela ne nous empêche pas de fonctionner. Les activités à faire sont nombreuses à travers tout le pays. Et donc nous continuons nos activités, malgré cette interdiction non fondée.
Interdiction non fondée ?
Les raisons sécuritaires invoquées ne sont pas fondées, d’autant que le parti Uprona a mené samedi des activités à Kamenge. Notre permanence est sur le Boulevard de l’Uprona, à quelques centaines de mètres du bureau de la présidence. Comment peut-il seul constituer une menace sécuritaire alors que dans le même périmètre se trouve d’autres bâtiments fonctionnels 24h sur 24. Il y a même des bistrots sur le Boulevard. Cette menace qui survient de nulle part, c’est laquelle ?
Quelle lecture en faites-vous ?
Je pense ce sont des raisons de protectionnisme politique. Nul n’ignore que, dans ce pays, la tendance est au monopartisme de fait, depuis un bon nombre d’années. Comme on approche les élections, on ferme davantage l’espace politique plutôt que de l’ouvrir.
On a vu des pick-up de la police roder autour de la permanence et de votre résidence. Vous sentez-vous surveiller ?
Il y en a qui sont très zélés. Si c’est leur façon d’assurer la sécurité, il faut les laisser faire. Tant que j’ai la sécurité intérieure et que je suis en plein accord avec la loi, je me sens tranquille.
Cette interdiction n’est-elle pas un mauvais présage dans la perspective des élections de 2020 ?
On pourrait le dire ainsi. Néanmoins, on ne peut pas baisser les bras. Après tout, c’est une lutte. Nous ne pouvons pas leur donner le prétexte d’une répression aveugle envers nos militants. Nous préférons faire profil bas.
Un message à vos partisans ?
Ce n’est pas seulement pour les militants. Les Burundais doivent savoir que dans un Etat de droit tous les citoyens sont égaux devant la loi. Il n’y a pas de super citoyen. Nous devons lutter pacifiquement. Nous devons éviter toute sorte de violence ou de provocation. Ce qu’il faut, c’est de la patience qui paie à coup sûr. Ceux qui sont pour le changement sont nombreux. Quand l’heure du changement arrivera, personne ne l’arrêtera.
Propos recueillis par Arnaud Igor Giriteka
Décryptage/ A l’ère de la transgression permanente
Dès la période post-manifestations d’avril-mai 2015, le pouvoir à tous les étages s’est prévalu d’une sécurité sur toute l’étendue du territoire national. En témoigne notamment les communiqués du Conseil national de sécurité présidé par le chef de l’Etat. Cette interdiction d’une réunion publique du CNL, qui plus est à quelques encablures de la présidence de la République, illustre une actualité nationale dominée par l’imprévisibilité de l’attaque. Celle-ci prend la forme de manœuvres dilatoires lorsqu’elle cible le CNL perçu comme l’alternative au Cndd-Fdd. « Nous ne perdons pas courage. Nous sommes dans une lutte, nous devons persévérer », a déclaré le Premier vice-président de l’Assemblée nationale, dimanche 3 mars, sur RFI. Voilà résumée la position de principe du leader du CNL vis-à-vis du parti de l’Aigle, depuis sa « réapparition publique » au Burundi, mardi 6 août 2013.
La transgression permanente se traduisant par le « un pas en avant, deux pas en arrière » annihile la construction du sens qui suppose une linéarité.
L’art du contre-pied à l’oeuvre, dès les tous premiers pas du Congrès National pour la liberté Ubugabo si urucumu, dans la soirée de la Saint-Valentin. Six membres ont été arrêtés sur la colline Muyange, commune Mugina, province Cibitoke, en train de lever le coude pour célébrer cette première étape vers la préparation des élections de 2020. Ils sont accusés d’avoir tenu une réunion nocturne et illégale.
Une force irrépressible
Autre cas similaire ce jour de l’agrément du CNL à marquer d’une pierre blanche. Shabani et Bonaventure, des représentants du CNL, en zone Mugeni de la commune Kayogoro dans la province Makamba, ont été arrêtés, jeudi 14 février, dans un bistrot de la colline Kabizi par le chef de colline, flanqué d’Imbonerakure. Ils sont soupçonnés d’être impliqués dans le meurtre de Raphael Bazahica, un habitant de la colline Butare de la même commune.
Dans la nuit du dimanche 17 février, Léonidas Congera, habitant de la commune Bweru, province Muyinga, a été battu à mort. Le député Pascal Bizumuremyi pointe du doigt un groupe d’Imbonerakure sous la houlette de Dieudonné Ncamwaka alias major.
Un autre militant du CNL a été incarcéré, vendredi 1er mars, dans la commune Nyamurenza en province Ngozi. Son crime ? Avoir incité les autres militants à descendre sur Bujumbura pour assister à l’ouverture officielle de leur permanence nationale.
Sur la colline Cunyu en commune Buganda de la province Cibitoke, un passage à tabac de trois membres du CNL, dans la nuit du mercredi 6 mars, par des Imbonerakure. L’accusation brandie, c’est d’avoir tenu des réunions clandestines.
Autre leçon à tirer de cette interdiction de réunion publique du CNL : la force irrépressible de l’imprévisibilité de l’attaque. La flèche ainsi décochée – origine pas toujours clairement identifiée – ne peut guère être déviée de sa cible au nom du respect de l’une des libertés publiques et politiques considérées comme fondamentales, le droit de réunion.
Guibert Mbonimpa