Jeudi 26 décembre 2024

Culture

Quand le kirundi devient la langue seconde…

26/02/2021 2
Quand le kirundi devient la langue seconde…
Des enfants dans une des crèches de la ville de Bujumbura.

Certains enfants gardés dans des crèches ou fréquentant l’école maternelle en mairie de Bujumbura ont du mal à communiquer dans la langue de leurs ancêtres. C’est au moment où ce dimanche 21 février le monde célébrera la journée internationale de la langue maternelle.

« Mon enfant comprend le kirundi mais ne le parle pas,» reconnaît G.H., un parent dont un enfant est gardé dans l’une des crèches de la zone Rohero en mairie de Bujumbura. Son fils est à l’aise en français, car « c’est dans cette langue que se fait son apprentissage et avec laquelle il communique avec ses camarades ». Ce qui touche ce jeune papa de deux enfants, c’est que pendant les cérémonies de fêtes, l’enfant ne parvient pas à communiquer et donc à jouer avec les autres enfants du même âge qui s’expriment en kirundi. «Pendant des fêtes de mariage ou d’anniversaire, il vient vers moi et me dit : ‘’papa je ne comprends pas. Il dit quoi ?’’»

A.M., habitant en zone Gihosha, indique que sa nièce de 4 ans est incapable de compter en kirundi de 1 jusqu’à 10 : « Elle mélange les langues dans son comptage mais ça commence à venir. » Elle est inscrite dans une crèche à système francophone, depuis qu’elle a un an. Sa tante confie que jouer avec d’autres enfants qui sont à l’aise en kirundi lui cause des soucis car elle parle à peine le kirundi. Quand elle s’adresse en français à quelqu’un qui ne comprend que le kirundi, elle vient souvent lui dire : « C’est un idiot. Il ne comprend pas. C’est quoi ? »

Des difficultés qui perdurent…

« Ce n’est pas parce que nous haïssons le kirundi. C’est parce que ces crèches ont un bon programme », se défendra un parent d’un enfant habitant à Mutanga Nord. Il soutient que les enfants qui évoluent dans ces systèmes d’éducation sont plus épanouis. Pour lui, chaque parent doit se sacrifier pour que son enfant apprenne tout ce qui lui sera utile dans l’avenir. Il prévoit néanmoins de payer un renforcement en kirundi pour son enfant : « Il est encore jeune. Il finira par être à l’aise avec.» Et d’ajouter que son entourage ne doute pas aussi que dans sa vie courante son fils pourra s’inculquer la langue maternelle.

Même après les années préscolaires, les difficultés ne disparaissent pas. Un oncle d’un garçon de la première année de l’école fondamentale déplore que son neveu ne soit pas encore en mesure de savoir compter en kirundi. «Il ne peut pas lire le chiffre 121 en kirundi. Il est aussi incapable de nommer des animaux sauvages et domestiques en kirundi». Un jour, raconte son oncle, je suis allé avec lui en province. Après avoir vu un troupeau de vaches, il s’est étonné : « Tonton tu as vu combien ces chiens sont immenses ? » Et son oncle de répondre : «Non, regarde bien! Ce sont des vaches, « inka » en kirundi. » C’est à partir de ce moment-là qu’il a su nommer la vache en kirundi.


Trois questions au Pr Béatrice Mvukiye

L’enfant est capable de développer le bilinguisme à condition que les parents interagissent davantage avec leurs enfants, assure cette psycholinguiste.

Certains enfants de parents Burundais vivant au Burundi gardés dans les crèches et écoles maternelles s’expriment uniquement en français. D’aucuns s’en alarment.

L’enfant de la crèche et par après l’enfant de l’école maternelle est un enfant qui apprend le langage oral. Et la langue que développe l’enfant en bas âge est généralement la langue de sa famille qui devient sa langue maternelle. Si l’enfant est gardé pendant la journée par une garderie ou une école maternelle pendant que les parents sont au travail, il y a une langue de gardiennage ou d’instruction. C’est cette langue que l’enfant développe. Si en famille on pratique le kirundi et si la crèche ou la garderie fait ses activités en français, l’enfant va devenir bilingue. Et les enfants en bas âge ont la potentialité de développer le bilinguisme. Il n’y a pas un problème à ce que l’enfant beigne dans deux milieux linguistiques. C’est un bilinguisme précoce.

Mais qu’est ce qui fait que l’enfant développe plus le français que le kirundi ?

Le bilinguisme peut être équilibré ou parfait. Ou alors il peut être déséquilibré ou imparfait. Il est parfait lorsque l’enfant maîtrise les deux langues au même niveau. Il est déséquilibré lorsqu’il y en a une qui domine par rapport à l’autre.

Normalement, c’est la langue maternelle qui domine la langue seconde. La situation que vous présentez est celle où la langue seconde domine sur la langue première. Cela dépend alors des stimulations que l’enfant reçoit dans son entourage. S’ils sont plus stimulés dans la langue seconde que dans langue première, vous comprendrez pourquoi ces enfants ont plus de facilités à s’exprimer en français qu’en kirundi.

Quelle doit être la responsabilité des parents face à cette situation ?

L’idéal serait que la crèche, l’école maternelle et l’école fondamentale soient organisée en kirundi. Même l’Université, pourquoi pas ? Nous avons une variété de langues en premier cycle où on enseigne en kirundi, puis il y a des cycles où on commence à enseigner en français. C’est la situation de l’enseignement au Burundi. Vous comprenez que la société est devenue bilingue, multilingue. La responsabilité des parents est d’apprendre à leurs enfants que quand ils sont dans un milieu kirundophone, il faut utiliser le kirundi. Ces parents devraient interagir davantage avec leurs enfants dans la langue locale. Ainsi, leurs enfants parleront couramment le kirundi.

Propos recueillis par Emery Kwizera

Forum des lecteurs d'Iwacu

2 réactions
  1. Nana

    Dans de nombreux pays les enfents dont bilingues sans que cela pose de problème.
    Il faut que les parents parlent avec les enfants dans leur langue maternelle.
    Les enfants bilingues réussissent mieux dans leurs études

  2. PCE

    A la question de savoir le rôle des parents dans l’apprentissage du kirundi ,le Pr Béatrice Mvukiye déclare ceci  » l’idéal serait que la crèche, l’école maternelle et l’école fondamentale soient organisée en kirundi. Même l’Université, pourquoi pas ? »
    Eh bien ce n’est ni réaliste , ni possible dans la situation actuelle du Burundi et Madame Mvukiye sait pourquoi. Comment peut-on justifier l’instauration du Kirundi comme langue d’enseignement à l’école lorsqu’on sait que tous les manuels scolaires sont dans d’autres langues , autres que le Kirundi ! Ce n’est tout simplement pas possible. Ce que les autres pays comme le Royaume Uni , l’Allemagne, la Chine et même d’autres petits pays s comme les Pays Bas peuvent se permettre , nous on ne le peut pas du fait que tous les outils pédagoqiques sont dans leurs langues respectives . Le Burundi , le Rwanda , la RDC et beaucoup de pays généralement ex -colonies européennes ne peuvent pas le faire . La seule condition pouvant permettre l’instauration du Kirundi à tous les niveaux d’enseignement serait la traduction de l’ensemble de ces outils pédagogiques en allant des simples manuels du primaire aux dictionnaires en passant par les ordinateurs etc . Sans cela ca ne vaut pas la peine . Tant que les manuels pédagogiques seront en francais , il faudra se résoudre à apprendre à nos enfants surtout le français . La plupart des échecs à l’école vient , non pas du fait que nos enfants seraient moins intelligents que les autres mais parce qu’ils ne maitrisent pas la langue d’enseignement. Je me souviens encore des fameux livres de maths en 6eme primaire vers les années 70, les Bourgaux, j’avoue que les « problèmes » me donnaient du fil à retordre car je ne comprenais tout simplement pas les questions .
    Ce que je constate chez les parents qui veulent que leurs enfants maitrisent plusieurs langues à la fois est que les enfants se retrouvent parfois dans une situation ou ils ne aucune langue à 100 % ou presque , ils ne maitrisent les différentes langues que jusqu’à 40% ou un peu plus , ce qui est préoccupant car finalement l’enfant ne maitrise rien. Je préfère une situation ou un enfant maitrise une langue à 100% ou presque , il devient ainsi facile d’apprendre d’autres langues à partir de la langue source.
    J’ai une petite anedocte personnelle. J’habite dans un pays européen depuis 20 ans . Lorsque j’y suis arrivé ma fille qui avait 8 ans a appris dans un court laps de temps la langue du pays, 1 an plus tard , elle était parfaite dans cette langue , 2 ans plus tard je me suis retrouvé dans une situation ou je ne pouvais plus communiquer avec ma fille car elle avait oublié le francais qu’elle parlait couramment, et ne parlons pas du Kirundi car dans notre ville , non seulement il n’y avait personne qui parlait francais mais non plus aucun africain dans notre environnement. Je me suis adressé alors à son école , on m’a conseillé de ne parler à ma fille que dans ma langue maternelle. C’est de cette manière que j’ai renoué avec une vraie communication avec elle. Mais ca n’a pas suffi , car tous les weekend nous étions toujours en voyage pour rencontrer d’autres burundais . De cette manière ma fille a repris contact avec la langue de son père et sa mère et sa culture , ce n’est pas encore parfait mais c’est déja cela . Aujourd’hui ma fille est une adulte et peut se rendre seule au Burundi et prendre un taxi ou aller au marché. Elle reparle francais avec certes ,un accent anglais mais elle comprend tout.

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