Dans la commune Buhinyuza, un programme de certification de parcelles vient de permettre à 427 femmes d’être propriétaires légales de leurs parcelles. Cependant, malgré ces avancées, certaines mentalités réactionnaires persistent comme l’a reconnu une haute autorité administrative interrogée.
Par Alphonse Yikeze
A 68 ans, Scholastique Ntahombaye a gardé sa vigueur de jeunesse. Nous la rencontrons au marché de Gasave. Dans ses bras, elle porte son petit garçon adoptif. C’est qu’elle a du cœur, Scholastique. Ce petit bout de chou qu’elle dorlote est né d’une malade mentale qui vivait dans la rue et aujourd’hui décédée. Mme Ntahombaye l’a depuis recueilli et le traîne partout avec elle.
L’histoire de cette dame est triste comme l’est celle de cet enfant qu’elle materne dans ses bras. Divorcée, Scholastique n’a pas eu d’enfants avec son ex-mari. « Je suis revenue dans ma famille et j’ai demandé à avoir accès à mon usufruit. Mes frères me l’ont refusé net ! », raconte Scholastique avec une voix enrouée d’émotion.
C’était parti pour 9 ans de procès. « Je n’ai jamais accepté cette injustice et par la suite, au prix d’une longue patience, j’ai gagné mes procès dans les tribunaux. La justice fut de mon côté », relate-t-elle.
Entretemps, Scholastique s’était acheté une autre parcelle à ses frais. « Je la cultive et c’est elle qui me fait vivre », nous dit la dame âgée. Quand la campagne de certification des terres survient, Scholastique en profite pour faire enregistrer ses deux parcelles. Ses frères qui n’ont pas digéré avoir perdu face à elle au tribunal, recourent au chantage. « Mes frères menacent de me tuer si je vends mon usufruit ! », souligne-t-elle avec une pointe d’amertume dans la voix.
Des hommes partagés
G.N habite la commune Buhinyuza. Il est marié et père de quatre enfants. Pour lui, il n’y a aucune raison à ce que ses sœurs n’aient pas leur usufruit certifié. C’est son expérience avec son épouse, nous dit-il, qui lui a ouvert les yeux. « Mon épouse a toujours eu accès sans problèmes à son usufruit après notre mariage. Son père lui a toujours donné le choix d’en faire ce qu’elle voulait. C’est que son père vient de Kabezi (Province Bujumbura) et là-bas, les mentalités m’ont semblé plus évoluées sur ces sujets qu’ici ! »
A Gasorwe, une autre commune de la province Muyinga où la campagne de certification vient de commencer, nous rencontrons Q.Y dans un petit restaurant au bord de la route. « Pour ma femme, il n’y a pas de problème à ce que nos parcelles soient certifiées sous nos deux noms. Après tout, je ne vois pas pourquoi je ne le ferais pas si je m’entends bien avec elle ».
Quid de sa sœur si elle venait à vouloir faire certifier son usufruit ? « Franchement, je ne vois pas ça du tout d’un bon œil ! Après, c’est peut-être parce qu’ici à Gasorwe, nous n’avons pas encore été sensibilisés sur ce sujet »
Employé dans une structure multi-services de Gasorwe, B.V a 21ans et se montre très sûr de lui. Pour lui, aucun problème à ce que ses sœurs fassent certifier leur usufruit. « Je ne dépends pas du tout de la terre et du coup, j’ai un regard assez détaché sur ce sujet. Mais je ne suis pas sûr du tout que mes frères soient de cet avis-là ».
39% de femmes aux parcelles certifiées
Espérance Ndayisaba est une jeune femme au visage avenant. C’est devant l’hôpital de Buhinyuza, la commune qu’elle dirige, qu’elle nous a donné rendez-vous. Elle porte une robe longue aux motifs fleuris. Interrogée sur ce qui fait la particularité de cette petite bourgade située à 20km du chef-lieu de la province Muyinga, son visage s’illumine. « La commune Buhinyuza est limitée à l’est par la commune Buganda de la province Cankuzo, frontalière à l’ouest avec la commune Buhiga de la province Karusi, au sud, elle est voisine avec la commune Mwakiro de cette province de Muyinga et au nord, elle est limitée par la commune Muyinga de la province Muyinga ».
Pour la nouvelle certification en cours, l’administratrice avance que l’activité a été menée à son terme dans 12 collines sur les 25 que compte sa commune, sauf pour les cas litigieux. « Nous avons mené un travail de sensibilisation de longue haleine pour expliquer à la population les avantages qu’il y a à faire certifier sa parcelle. Notamment le fait que cela offre une garantie en cas d’une demande de crédit dans les institutions bancaires. A la suite de cela, l’engouement fut maximal »
Mme Ndayisaba nous explique que la gent féminine a été la grande gagnante de cette campagne de certification, elle qui est souvent exclue de l’accès à la terre. « Pour les couples mariés, les parcelles devaient être inscrites au nom des deux époux. Et même si elles ne sont pas nombreuses, il y a eu aussi des cas de femmes, surtout divorcées, qui sont venues faire certifier leur usufruit reçu des mains de leurs familles d’origine ».
Cette autorité communale dit espérer surtout que cette certification va largement réduire les litiges fonciers. « Une fois la certification faite, la personne aura en main des preuves légales que la parcelle lui appartient. Du coup, les extorsions de terres, à la base de beaucoup trop de conflits que nous avions à gérer, vont beaucoup diminuer ».
Cependant, en dépit de ces avancées, les vieilles mentalités ont la peau dure. C’est le cas du regard porté sur les veuves sans enfants. « Cette certification des parcelles a profité aux veuves avec enfants. C’est cette descendance qui lui assure l’accès à cette terre au décès de son mari. Mais une femme veuve dont le défunt mari ne lui a pas laissé d’enfant n’a le droit à rien. Le plus souvent, elle quitte la parcelle d’elle-même. Certaines en profitent pour se remarier. Donc, ici, la question des veuves sans progéniture ne se pose pas ! »
En dehors de cette campagne, nous apprenons de l’administratrice de Buhinyuza que les frais de dossier pour la certification d’une parcelle s’élève à 5000 BIF auprès du service foncier communal et 300 BIF/are.
Le nouveau service foncier communal, des parcelles plus sécurisées
Balthazar Nzohabonimana, l’agent foncier communal que nous rencontrons aux côtés de l’administratrice de Buhinyuza, a le look du jeune premier de la classe. Mince dans son T-shirt lacoste jaune, son pantalon en tissu de lin et ses mocassins, le jeune homme semble tout droit sorti d’un film américain incarné par des intellos.
Appuyé par l’administration, le travail de certification des terres à Buhinyuza qu’il a mené avec ses collègues a déjà couvert 12 collines sur 25. « En tout, ce sont 30.581 certificats édités et signés ainsi que 30.581 parcelles reconnues », détaille-t-il.
De lui, nous apprenons que les douze collines couvertes par la campagne sont : Kiyange, Gasave, Gitaramuka, Ntobwe, Bugungu, Bunywana, Karehe, Karongwe, Kibimba, Muramba, Nyaruhengeri et Nyarunazi.
Fait intéressant : D’après Balthazar, les femmes sont au nombre de 427 (Soit près de 39% du total des certifications) à avoir fait certifier leurs parcelles et les hommes sont 672 à avoir eu leurs parcelles certifiées. Selon lui, les femmes sont nombreuses à avoir fait certifier leurs parcelles. « Elles se répartissent en trois catégories : les femmes mariées, les femmes célibataires et celles qui déclaraient ne pas vouloir spécifier leur statut. Nous étions tenus de leur faire certifier leurs parcelles sans aucune conditionnalité ! »
Quand les conflits éclataient, notamment pour les bénéficiaires d’usufruits dont les membres de la famille pouvaient leur refuser de faire certifier ces morceaux de terre, les commissaires de reconnaissance collinaire (Désignés par la population de la localité, ils sont au nombre de 7 dont le chef collinaire et doivent appartenir aux deux sexes) assuraient la médiation pour tenter de débloquer la situation. « Souvent ça marchait surtout si les refus étaient fantaisistes et d’autres fois, malheureusement, l’affaire atterrissait au tribunal ».
Pour convaincre les maris qui devaient voir inscrits les noms de leurs épouses sur les certificats fonciers, l’agent foncier révèle des arguments imparables. « Nous leur expliquions qu’en cas de décès, le leur en l’occurrence, il était important que son épouse soit inscrite sur le certificat foncier pour sécuriser la ou les parcelle(s) qu’elle partageait avec le défunt. Et qu’elle ait aussi la latitude de pourvoir aux besoins de ses enfants devenus orphelins de père. L’argument a vraiment fait mouche ».
Trois questions à Mme la cheffe de cabinet du gouverneur
Denise Ndaruhekere : « Nous souhaitons que cette campagne de certification s’étende à toutes les localités »
La haut cadre provinciale estime qu’il faut qu’il y ait une loi qui permette à la fille ou à la femme d’user de son usufruit comme elle l’entend.
Dans la commune Buhinyuza, sur 12 collines, 427 femmes ont déjà fait certifier leurs parcelles sur 672 hommes. Que vous inspire cela ?
C’est une très bonne nouvelle car cela permet aux femmes de gagner leur indépendance économique. L’obtention du certificat foncier par les femmes leur permet aussi d’accéder au crédit car elles ont de quoi offrir comme garantie. Avant, pour le cas des femmes mariées, les parcelles familiales étaient inscrites au nom des époux.
Avec la possibilité d’inscrire les parcelles au nom du mari et de son épouse, celle-ci a le loisir de bénéficier de crédits dans des caisses d’épargne d’associations locales. Cela facilite aussi le maintien de la parcelle au sein de la famille au décès de l’époux. Ce n’était pas tellement évident auparavant parce que nous savons bien que parfois, la famille du défunt époux mettait la main sur ses biens au détriment de son épouse.
N’envisagez-vous pas d’étendre cette campagne à d’autres localités de la province ?
Nous souhaitons que cette campagne de certification s’étende à toutes les localités. Et nous essayons également d’expliquer à des hommes inquiets que les parcelles inscrites au nom des femmes ne sont pas pour autant perdues pour la famille. Au contraire, avoir des parcelles certifiées en leur nom encourage les femmes à s’investir pour la sauvegarde de la richesse familiale.
Que dites-vous des conflits qui persistent entre frères et sœurs quant à l’accès à l’usufruit pour les filles et les femmes ?
C’est triste d’autant que la part relative à l’usufruit devant être attribuée à la fille est largement inférieure aux autres parts attribuées à ses frères. Normalement, cette part était accordée à la fille avant son mariage pour lui permettre de s’en sortir en cas de divorce.
Mais malheureusement, dans pas mal de cas, les frères de l’usufruitière jugent qu’elle ne doit absolument en faire autre chose que cultiver la portion de terre parce qu’ils estiment que celle-ci leur revient de droit.
C’est pourquoi il faut qu’il y ait une loi qui permette à la fille ou à la femme d’user de son usufruit comme elle l’entend.