Baisse de salaires, suppression de postes, budget limité, etc., le personnel du PRDAIGL, un projet du gouvernement financé par la Banque mondiale, sonne l’alerte sur l’exécution du projet sur terrain et accuse le coordinateur de passivité. Ce dont se défend l’intéressé.
X.N. a été remercié de son poste de chef d’unité de coordination du projet au niveau provincial. Selon lui, le PRDAIGL a fait face à un souci majeur de budget. « Avec les DTS (Droits de tirage spéciaux), les fluctuations de la monnaie et l’inflation sans cesse galopante, le projet a perdu autour de 8 millions de dollars ! C’est énorme »
Selon lui, la perte d’aussi gros montants d’argent a entraîné le projet dans un cercle vicieux. « Le coordinateur du projet était le dos au mur. C’est cela qui l’a mené à supprimer nos postes ! »
Pour S.B., un cadre du projet encore en activité, le départ des chefs d’unité de coordination du projet dans les provinces va créer de l’anarchie. « Avec le départ de ces chefs d’unité, une personne va se retrouver à devoir gérer 47 sous-projets ! Il faudrait être un surhomme pour exercer une telle tâche ! »
Ce cadre en colère se dit inquiet de l’avenir du projet dans une telle situation. « Sur terrain, quand il s’agira de mettre en œuvre des travaux, on va engager des personnes extérieures qui n’ont aucune redevabilité vis-à-vis du projet. Si tu engages un entrepreneur pour construire des infrastructures, il pourra mal exécuter les travaux et ça lui importera peu du moment que tu l’auras payé ! Et tu ne pourras même pas le poursuivre du moment qu’il est extérieur au projet ! »
N.S. faisait partie d’une unité de coordination du projet dans les provinces. Elle assure que les bureaux provinciaux pour l’agriculture et l’élevage ne seront pas en mesure d’assurer la mise en œuvre du projet : « Les directeurs de ces bureaux ne font montre généralement d’aucune compétence dans le travail sur terrain. Nous faisions tout le boulot à leur place et eux n’étaient là que pour percevoir leur per diem ! En plus, pour certains BPAE, on s’est rendu compte qu’au bout de deux ans, sur une petite trentaine d’activités, ils pouvaient n’en avoir exécuté que trois ! Soit à peine un dixième de ce qui leur avait été confié ! Et c’est vraiment ces bureaux-là qui deviennent la roue de secours maintenant ? »
N.S. nous cite une étude sur les performances des projets qui a établi que la fréquence d’encadrement étatique dans les projets est de seulement 2%. Pour elle, c’est une preuve de plus que confier l’exécution du projet aux BPAE est « une erreur magistrale ». « Ce qui est dommage, ce sont des projets faramineux telle la construction du pont devant relier le Burundi à la RDC dont le coût est estimé à 9 millions de dollars qui risquent de finir en queue de poisson ! »
Et X.N. de se demander : « Qui va surveiller les travaux sur terrain ? Qui va mener le contrôle des dons octroyés à la population ? Qui va proposer de nouvelles idées pour de nouveaux projets ? »
C.H., une ancienne cadre du projet à ses débuts, avance une autre explication : « Avant, les coordinateurs des projets étaient nommés via une sélection drastique. Aujourd’hui, ils sont désignés par les pouvoirs publics. Donc, on se retrouve dorénavant avec des coordinateurs qui n’ont pas la culture de la redevance vis-à-vis des partenaires financiers du projet, en l’occurrence, la Banque mondiale ! »
A ce propos, R.S., cadre du projet, enfonce le clou : « L’actuel coordinateur est un proche de l’ancien ministre Rurema. Et il ne manquait jamais de nous répéter qu’il ne fait que suivre la vision de Rurema ! »
« C’est un lâche »
Pour T.K., fonctionnaire du projet encore en activité, l’actuel coordinateur du PRDAIGL, Louis Nduwimana, manifeste un déficit de communication. « Il ne communique pas sur les difficultés que rencontre le projet. Et quiconque ose les soulever lors des réunions, sera très mal vu ! En plus, c’est un lâche ! Il a peur face au gouvernement, ne prend aucune décision ! »
G.M., employée du projet, nous parle aussi de la question des salaires du personnel qui ont été revus fortement à la baisse : « Avec une ordonnance ministérielle du 24 novembre 2020, nos salaires ont été réduits de plus de 40% parce que les deux ex-ministres (Finances et Agriculture) se disaient jaloux que les fonctionnaires des projets financés par les partenaires étrangers soient mieux rémunérés qu’eux. C’est du délire ! Quel ministère gère un portefeuille de 100 millions de dollars comme c’est le cas de nos projets ? »
D’après elle, ces baisses de salaires « injustes et injustifiées » ont un impact sur le moral d’une grande partie du personnel, surtout celle du bas de la hiérarchie. « Imaginez un chauffeur qui percevait 900.000 BIF et qui perçoit aujourd’hui à peine 350.000 BIF ! Il ne peut même plus se soigner comme il faut. C’est triste ! »
Louis Nduwimana : « Il nous a été demandé de réduire la voilure du projet »
D’après des sources, le projet aurait déjà perdu autour de 8 millions de dollars suite au différentiel de taux de change (DTS) et à l’inflation. Cela aurait en grande partie contribué à une réduction forte du personnel du projet. Votre commentaire ?
Le budget du projet est fixé en devises (dollars). Dire que l’inflation actuelle a impacté le projet, ça serait trop dire. Le projet n’a pas de contrepartie en BIF pour qu’on puisse dire que cette contrepartie est sujette à cette fluctuation. Donc l’information qu’on vous a donnée est à nuancer.
Ces derniers mois, compte tenu de la guerre en Ukraine et de la pandémie de la Covid-19, le dollar a connu des perturbations au niveau du marché. Bien sûr, c’est au niveau de la Banque et pas au niveau du projet. Bien entendu, au niveau de la comptabilité, nous devons connaître l’argent réellement disponible pour le projet.
Aujourd’hui, le différentiel se limite à quelques 670.000 dollars. Vous comprenez donc qu’on est loin des 8 millions de dollars que vous m’aviez cités.
Presque chaque mois, les responsables financiers du projet se rencontrent avec les responsables financiers de la Banque pour évaluer la situation. Ceci pour nous permettre de ne pas crever le plafond du don, ce qui serait préjudiciable pour le pays.
Est-cela qui est à l’origine du départ des chefs d’unité du projet au niveau provincial ?
Non ! Le projet a été financé pour 5 ans (novembre 2017-novembre 2022) et en novembre dernier, nous avons obtenu une prolongation que le gouvernement a demandé à la Banque et celle-ci a accordé 24 mois de prolongation du projet.
Quand nous avons pris les rênes du projet, nous en avons revu l’évaluation et toute l’équipe a constaté qu’il y avait des sous-estimations pour des investissements importants. A l’époque, nous avons sonné l’alarme pour dire que le budget ne correspond pas aux résultats attendus.
Les infrastructures en jeu étaient les infrastructures relatives aux aménagements hydro-agricoles (environ 3000ha), l’aménagement des pistes, la réhabilitation du pont Kavimvira mais aussi quelques infrastructures de transformation.
Le projet est suivi tous les six mois par une équipe de la Banque mondiale qui vient examiner la mise en œuvre et fournir des recommandations. La première équipe venue en 2018 avait estimé que le tableau d’estimation des coûts comportait beaucoup d’erreurs.
Les coûts notamment dans les investissements hydro-agricoles étaient largement sous-estimés. De même, le coût lié à la réhabilitation du pont Kavimvira qui passe sur la Rusizi (Commune Kiganda, Province Cibitoke) était largement sous-estimé (10 fois moins).
Quand on a mis au courant la Banque, il nous a été dit d’attendre l’évaluation à mi-parcours pour prendre une décision par rapport aux investissements sous-évalués.
Et là, nous étions déjà en 2020. Ils nous ont demandé de leur proposer une réévaluation des coûts et proposez-nous aussi un réaménagement de budget qui puisse être acceptable par la Banque en révisant certains indicateurs à la baisse.
C’est ainsi que nous nous sommes convenus de réduire les pistes rurales (qui sont passées de 103km à 45km) et que nous avons revu l’aménagement des plaines et marées à environ 2000 ha au lieu de 3000 ha pour essayer de rehausser le coût de l’investissement parce que le gouvernement du Burundi a décidé que le pont était prioritaire.
La Banque a organisé cette première réallocation qui nous conduisait jusqu’au 30 novembre 2022 et a approuvé ce dispositif.
Comment en est-on arrivé au départ précipité des cinq chefs d’unités du projet dans les provinces ?
Au moment où nous devions négocier la période de prolongation, surtout auprès du bureau régional de la banque, celui-ci a trouvé que le projet avait une grande envergure. Nous avions non seulement des unités provinciales de coordination du projet qui étaient au nombre de cinq avec leur staff respectif mais nous avions aussi des partenaires de réalisation internationaux comme l’IRI, l’ITEA mais aussi nationaux comme l’ISABU, le CNTA, etc.
Le bureau nous a dit que pour les activités dont les résultats sont probants, il faut les mettre en sourdine et privilégier les investissements physiques et partant, réduire la voilure du projet.
Nous en avons discuté avec notre ministère de tutelle (le ministère en charge de l’agriculture) qui nous a enjoint à travailler directement avec les bureaux provinciaux pour l’agriculture et l’élevage (BPAE).
Selon les témoignages que nous avons recueillis, ces BPAE ne disposent pas de ressources adéquates aussi bien humaines que matérielles. Votre réaction ?
Ces bureaux sont dotés d’ingénieurs agronomes, de responsables Suivi et Evaluation et sont directement opérationnels quitte à les renforcer. Nous sommes en train de discuter avec eux pour avoir des contrats de performance dans la réalisation des activités, ce qui n’était pas le cas parce que nous avions des unités de coordination du projet au niveau des provinces.
Le matériel qui était utilisé par les unités de coordination provinciales sera cédé aux BPAE. Avec comme corollaire un désengagement de ces unités au niveau du travail sur terrain. Ce qui n’est pas durable.
Et un projet qui se dit pérenne doit engager les entités nationales dans la mise en œuvre du projet. Je crois même que c’est cela l’avenir des projets financés par la Banque.
Je ne dirai pas que nos collègues n’ont pas travaillé, ils l’ont fait et sont arrivés à des résultats probants. L’essentiel, c’est que les structures qui restent soient capables de poursuivre l’exécution du projet.
Quid du salaire du personnel du projet qui a été réduit de 40% via une ordonnance ministérielle ?
Nous avons transmis les doléances du personnel à qui de droit et par les voies les plus appropriées. Moi-même, j’en suis affecté, vous savez, mais je continue de travailler tout en réclamant mes droits. Personnellement, j’ai foi en les autorités dont j’espère qu’elles reviendront sur cette mesure pour motiver le personnel des projets pour le travail qu’il mène.
Que dites-vous du propos récemment tenu par le ministre des Finances qui estime que l’échec en termes de performances incombe aux coordinateurs des projets ?
Quand on parle de manque de performance, il faut toujours examiner la cause et c’est elle qu’il faut corriger. En tant que coordinateur, je peux être confronté à tel problème, vous amenez un autre coordinateur, il sera confronté au même type de problème si une solution n’est pas trouvée. Est-ce qu’il y a des problèmes qui arrivent et qu’on ne remonte pas aux autorités pour qu’une solution soit trouvée à temps ? Quelquefois aussi la disponibilité de nos autorités fait qu’elles réalisent qu’il y a des questions patentes un peu en retard en dépit des efforts que nous faisons.
Quand nous devons mobiliser un consultant et que les frontières sont fermées, est-ce la faute du coordinateur ? Pour une raison ou une autre, les frontières peuvent être fermées.
Quand nous devons importer des animaux performants d’Ouganda et que là-bas, il y a la maladie de Rift Valley et qu’à la suite de cela, on ferme les frontières, est-ce la faute du coordinateur ?
Il faut analyser les projets au cas par cas. Pour mon projet, nous sommes à un taux global de décaissement de 56% et les prévisions correspondaient à ce chiffre. Et si le projet a été prolongé, c’est que nous avions été performants par rapport à ce qui était attendu de nous. Et pour les mois de juin 2022 à mars 2023, nous avions un taux de décaissement de 20% !
Il y a un défaut de communication qui vous est reproché par une partie du personnel par rapport aux difficultés auxquelles fait face le projet. Qu’en pensez-vous ?
Au niveau interne, j’avais une réunion de coordination élargie aux unités de coordination du projet chaque mois pour évaluer l’état d’avancement des activités. Et dans cette réunion, j’invite aussi les partenaires de réalisation comme l’ISABU et autres.
Je suis aussi en dialogue permanent avec le ministre, le secrétaire permanent et le président du comité de pilotage et pour toutes les difficultés, on trouve des solutions ensemble.
Une partie du personnel se plaint également de ce que vous disiez souvent ne suivre que la vision de l’ancien ministre de l’Agriculture Déo-Guide Rurema…
Je travaille pour le gouvernement au sein d’un projet gouvernemental financé par la Banque mondiale. Je représente le gouvernement pour le poste que j’occupe. Donc, c’est normal que je respecte le ministre de tutelle. Après l’ancien ministre Rurema, c’est à l’actuel à qui je dois rendre des comptes !
Propos recueillis par Alphonse Yikeze
1. Vous ecrivez:« Si tu engages un entrepreneur pour construire des infrastructures, il pourra mal exécuter les travaux et ça lui importera peu du moment que tu l’auras payé ! Et tu ne pourras même pas le poursuivre du moment qu’il est extérieur au projet ! »…
2. Mon commentaire
Normalement un sous-traitant qui essaie d’agrandir son business travaille bien pour pouvoir tirer profit du boche-a-oreille et ainsi avoir plus de contrats dans l’avenir. On dirait que nos burundais ne voient que leurs interets a court terme.
Je ne me souviens plus du nom d’un chanteur d’Afrique de l’ouest qui chante que maintenant que son grand frere est devenu ministre, il va commencer a gagner des contrats et il va etre paye sans rien faire de ce qui est convenu dans le contrat.