La prérogative accordée au juge de cassation de soulever d’office l’inapplication ; la mauvaise application ou la mauvaise interprétation de la règle de droit applicable aux faits ; la procédure d’annulation accordée à la Cour suprême siégeant toutes chambres réunies… Voilà quelques points sur lesquels portent certaines innovations contenues dans le projet de loi portant modification de la loi organique N°1/21 du 3 août 2019 régissant la Cour suprême.
« Cette modification vise à rendre la Cour suprême plus opérationnelle et efficace dans sa mission de représentant du pouvoir judiciaire et de contrôle juridictionnel », a indiqué Domine Banyankimbona, ministre de la Justice, dans son exposé des motifs devant l’Assemblée nationale lors de la séance des questions orales du 19 janvier 2024.
Elle a précisé que la Cour suprême est régie par la loi organique du 3 août 2019 portant modification de la loi organique N°1/07 du 25 février 2005.
Les juges de la Cour suprême et les magistrats du parquet général de la République, a-t-elle fait savoir, ont rencontré quelques disfonctionnements liés à l’application de ladite loi.
De plus, a ajouté la Garde des sceaux, les magistrats détachés de l’administration centrale du ministère de la Justice ont porté le même regard lors de l’examen des requêtes en annulation et révision des jugements et arrêts rendus par les cours et tribunaux.
« Il est devenu donc urgent d’apporter une réponse à ses préoccupations en introduisant des modifications à la loi pour donner suite aux décisions judiciaires entachées du mal jugé constaté par le Conseil supérieur de la magistrature », a-t-elle fait observer.
Par ailleurs, dans le souci de rendre la Cour suprême plus opérationnelle et efficace, il importe de définir le mal jugé manifeste et mettre en application les dispositions régissant sa procédure d’annulation avant de préciser que cette procédure d’annulation sera exercée devant le Conseil supérieur de la magistrature à l’issue de la procédure de révision. « Il importe de confier la procédure d’annulation à la cour suprême siégeant toutes chambres réunies », a-t-elle fait remarquer.
Précisons que ledit projet de loi organique a été analysé et adopté par l’Assemblée nationale dans sa séance plénière du 19 janvier 2024.
Quid des innovations ?
D’emblée, Domine Banyankimbona a indiqué que désormais qu’un juge affecté à la Cour suprême devra avoir un diplôme de baccalauréat et une expérience de huit ans au sein de la magistrature.
La ministre Bankimbona estime le projet de loi, en son article 51, alinéa 3 vient désormais résoudre les disfonctionnements de la procédure de cassation relatifs à l’examen des moyens soulevés ou pas par les parties au procès.
« La disposition reconnaît au juge de cassation la prérogative de soulever d’office l’inapplication, la mauvaise application ou la mauvaise interprétation de la règle de droit applicable aux faits », a-t-elle renchéri.
Concernant la procédure d’annulation des jugements et arrêts rendus, a informé Domine Banyankimbona, l’article 58 en donne la prérogative à la Cour suprême siégeant toutes chambres réunies avec cinq juges. Une prérogative qui revenait avant à la chambre de cassation.
Elle précise que l’octroi de cette prérogative à la Cour suprême s’explique parce que la procédure suivie en annulation des jugements et arrêts est la même que celle suivie en révision des jugements. Une occasion, a-t-elle fait remarquer, de juger une affaire au moment où le procès est annulé. « La chambre de cassation n’avait pas cette prérogative de juger au fond de l’affaire », a-t-elle précisé.
Par ailleurs, selon toujours la ministre Banyankimbona, les articles 167 à 172 montrent les éléments constitutifs d’un mal jugé. Des éléments, selon elle, qui permettront aux juges à interpréter de la même façon ces éléments et mettre facilement en application les dispositions.
S’il y a un mal jugé qui n’a pas été corrigé, a précisé la Garde des sceaux, le Conseil supérieur de la magistrature sera saisi seulement lorsque la décision concernant sa révision sera déjà donnée.
Domine Banyankimbona a fait savoir que l’article 172 précise que celui qui ne sera pas reçu par le Conseil supérieur de la magistrature ou si sa plainte est jugée irrecevable il n’a pas droit de ressaisir le Conseil. « Cela a été fait dans le but de couper court avec les procès interminables », a-t-elle martelé.
Bien plus, a indiqué la ministre Banyankimbona, l’article 177 prévoit que les jugements et arrêts rendus par la Cour suprême siégeant toutes chambres réunies ne peuvent pas être révisés par un autre juge que celui qui était dans le procès.
Des innovations saluées, mais….
Pour certains praticiens du droit, afin de rendre la Cour suprême plus opérationnelle et efficace, il faut une réforme systématique et profonde de l’appareil judiciaire burundais. Pour eux, une indépendance de la justice s’impose. Ils recommandent la non-ingérence de l’Exécutif dans le Judiciaire.
Ils épinglent la lenteur et la lourdeur observées dans le traitement des dossiers des justiciables. Et de s’interroger sur l’applicabilité et l’efficacité des innovations contenue dans ledit projet de loi.
« Y aura-t-il un léger mieux dans l’exécution des jugements ? Est-ce que ces innovations pourront mettre fin à des procès interminables observables dans différentes juridictions ? », s’interroge par exemple N.B. un avocat du barreau de Bujumbura.
Il fustige les requêtes répétitives en révision, en annulation et celle en rapport avec la vérification jugements. « Ces requêtes freinent l’exécution des jugements ayant coulé en force de chose jugée, ce qui agace les justiciables », se désole-t-il.