À trois mois des premières élections de 2025, les inquiétudes grandissent sur leur organisation. Partis et coalitions alertent sur des défis majeurs : climat politique et sécuritaire tendu, cadre légal flou, délais non respectés et problèmes logistiques.
Les élections parlementaires et locales d’été 2025 sont en marche. La Commission électorale nationale indépendante (Ceni) a déjà attribué des numéros d’identification aux candidats retenus.
Une phase importante du processus électoral. En dépit de cet état d’avancement, plusieurs partis politiques et coalition retenus soulignent de nombreuses irrégularités entachant par la même occasion l’organisation des élections.
L’une des principales préoccupations porte sur le retrait de la plupart des partis et de la coalition, de la course aux communales de juin 2025. Dans un message du 7 mars 2025, la coalition Burundi Bwa Bose dénonce son exclusion, par la Ceni, des élections des conseillers communaux dans toutes les communes du Burundi. « L’argument avancé par la Ceni est que ces listes incluaient Agathon Rwasa et ses partisans. Or, nous avons pleinement le droit de les inclure. Aucun texte juridique n’a été violé », lit-on dans ledit message posté sur son compte Facebook. Pour la Coalition, cette exclusion relève d’un « dysfonctionnement flagrant et le manque d’impartialité dans l’organisation des élections laissant penser que ce processus ne respecte pas les principes de transparence et de liberté ».
Pour la coalition, cette exclusion reflète un « dysfonctionnement flagrant et un manque d’impartialité », alimentant les doutes sur la transparence et l’équité du processus électoral.
L’autre défi : le dépassement du délai de dépôt des listes des mandataires pour les candidats retenus. « Nous n’avons toujours pas reçu d’informations concernant la date à laquelle nous pourrons soumettre les noms de nos mandataires. Le délai imparti a été largement dépassé. Et ce, malgré nos sollicitations répétées pour obtenir une réponse précise. Nous restons dans l’incertitude », épingle la coalition Burundi Bwa Bose.
La crise persistante du carburant enfonce le clou
Toujours dans son message, la coalition Burundi Bwa Bose s’interroge sur les impacts de la pénurie récurrente du carburant sur l’organisation des élections. « Le manque de carburant, qui empêche l’organisation de réunions avec nos militants, crée une pénurie de ressources nécessaires à la bonne conduite de la campagne. Nous nous demandons comment la campagne électorale pourra se dérouler si cette situation persiste ». La Coalition appelle le président de la République à prendre des mesures urgentes afin de résoudre cette crise logistique « sans quoi, ces élections risquent de ne pas pouvoir se dérouler comme prévu ».
D’autres politiques soulèvent aussi « une absence étonnante » de la Ceni sur le terrain ces derniers temps. Car, elle n’organise plus de réunions de concertation avec ses partenaires. Cela, disent-ils, laisse planer de vives inquiétudes quant à la crédibilité de l’ensemble du processus électoral.
Réactions
Térence Manirambona : « Concernant le dépôt des listes des mandataires, la Ceni n’a violé aucune disposition du Code électoral »
Pour le parti CNL, malgré son état d’avancement, le processus électoral fait face à de nombreux défis. Térence Manirambona, son porte-parole, cite notamment le verrouillage de l’espace politique en cette période pré-électorale ; des cas d’intolérance politique qui sévissent ; l’absence de collaboration de la Ceni avec toutes les parties prenantes dans la prise de certaines décisions ; absence d’équité et de transparence dans la gestion du processus électoral.
Tout cela, lâche-t-il, suscite des inquiétudes et entache la crédibilité de la gestion du processus électoral.
Concernant le dépôt des listes des mandataires des partis politiques, de la coalition des partis politiques et des candidats indépendants, le porte-parole du CNL estime que la Ceni n’a pas violé aucune disposition du Code électoral. « Par contre, elle a tenu en considération les doléances lui soumises par les partis politiques dont le parti CNL qui s’inscrivait en faux contre la violation des prescrits de l’article 41, alinéa 3 qui dispose que les noms, prénoms, date et lieu de naissance et l’adresse des mandataires sont notifiés à la Cepi au moins vingt jours calendrier avant le scrutin ».
Face à la pénurie du carburant, Térence Manirambona exhorte le gouvernement à trouver une solution immédiate en vue de permettre et de promouvoir une compétition démocratique. « Il faut rendre disponible le carburant à temps (maintenant même) pour que les activités des partis politiques avant la campagne ne soient pas perturbées, et que même la période de campagne électorale soit une véritable compétition ».
Le parti CNL demande ainsi à la Ceni de privilégier la collaboration et d’user de plus de flexibilité et de concertation avec toutes les parties prenantes dans la prise des décisions ; de faire preuve d’indépendance, de transparence et d’impartialité dans la conduite et la gestion du processus électoral qui puissent répondre aux standards d’une compétition démocratique conformément aux dispositions pertinentes de la Constitution de la République du Burundi en ses articles 89 et 90.
Gaspard Kobako : « Le processus électoral évolue en dents de scie »
D’après le président du parti Alliance nationale pour la démocratie (AND-Intadohoka), le processus électoral en cours est en train d’évoluer en dents de scie. Il souligne que dès la première rencontre de la Ceni avec ses partenaires électoraux, des inquiétudes n’ont pas manqué de surgir.
« Les unes procédaient des intérêts liés aux implications dans le processus, les uns voulant avoir seuls une place au soleil. Les autres voulaient s’accaparer de l’essentiel de l’implication dans le processus électoral. Ce qui n’a pas tardé à se vérifier dans la composition des membres des Cepi et des Ceci ».
Visiblement, insiste-t-il, le parti au pouvoir a bénéficié de la part du lion, les autres ayant été mis carrément au rancart, d’autres bénéficiant de la portion congrue, sous le label que tout le monde ne pouvait pas y être impliqué.
Gaspard Kobako revient sur le fait d’empêcher la publication des résultats par les médias qui n’a jamais convaincu son parti sur les arguments avancés. « Le Burundi n’est pas un cas particulier au monde, quand on sait que sous d’autres cieux, la publication des résultats se fait au fur et à mesure du déroulement de tout le processus électoral. Qu’est-ce que le Burundi a de particulier de nos jours, quand on sait que c’est également de cette manière que la publication des résultats se faisait en 1993 ? ».
Le président du parti AND signale également que même la communication entre les gestionnaires des élections et leurs partenaires n’est pas reluisante.
S’agissant du dépôt des listes des mandataires des partis politiques, de la coalition des partis politiques et des indépendants qui était prévu, du 14 au 18 janvier 2025, le président de l’AND lie cela aux problèmes d’organisation à l’interne des organismes de gestion électorale.
Par ailleurs, il rappelle que certains partis politiques avaient demandé qu’on attende en peu tout en réaffirmant qu’il n’y avait pas d’urgence à les fournir.
Au niveau des accusations sur l’absence de la Ceni sur le terrain, M. Kobako rappelle que les partis et coalitions politiques en compétition avaient demandé à la Ceni d’organiser régulièrement des réunions. Le fait de ne pas organiser des élections avec ses partenaires est aussi préjudiciable. « Je me rappelle qu’avant la réunion autour du ministre ayant la gestion des partis politiques dans ses attributions, les partis politiques, la coalition des partis politiques et les indépendants avaient demandé qu’il y ait des réunions régulières. C’est même dans ce sens que la réunion précitée a été organisée. On fait donc un pas en avant et un autre en arrière, d’où cette accusation de gestion inefficace et une déconnexion des réalités locales. »
C’est donc la même réaction et le même avis que les autres, car cette absence de visibilité de la Ceni ne peut pas manquer de soulever des inquiétudes quant à la crédibilité du processus électoral, en dépit des assurances que son président ne cesse de donner, comme quoi si des partis politiques, la coalition des partis et les indépendants « pourraient avoir des mandataires, ils bénéficieront des résultats avant la Ceni et selon le formulaire F2 ».
« Sur ce point, pourquoi elle ne respecte pas les rencontres hebdomadaires que les partis politiques lui avaient proposées, qu’elle reconnait elle-même et qui ne demandent que les déplacements. N’est-ce pas une absence de coopération qui suscite des inquiétudes de plus ?», s’interroge-t-il.
Faute de carburant, Gaspard Kobako considère que la campagne électorale en vue sera à haut risque. « Des compétiteurs, avec leurs maigres moyens, ne pourront même pas faire le suivi de leurs mandataires, les ravitailler et les encadrer. Cette campagne sera assimilable à une traversée du désert ou d’un cours d’eau plein de crocodiles avec le risque de ne pas atteindre l’autre rive sans être dévorés par eux ; ou encore un chemin jonché d’aubépines. Une mésaventure somme toute ».
Le président du parti AND demande à la Ceni qui, elle, « dispose déjà de tout ce qu’il lui faut comme moyens logistiques et financiers, car elle nous a informés qu’elle a déjà bénéficié de quinze mille litres de carburant pendant la campagne, de respecter les engagements pris vis-à-vis de ses partenaires électoraux. C’est-à-dire organiser des rencontres hebdomadaires en vue de discuter sur les autres points qui n’ont pas trouvé de consensus, car ils sont toujours utiles en tout temps ».
Anicet Niyonkuru : « Certains se demandent si ces élections auront lieu ou pas »
Le président du parti Conseil des patriotes (CDP) indique que le processus électoral en cours se fait et se plonge dans une incertitude plurielle. « L’insécurité morale chez les Burundais suite à la guerre à l’Est de la RDC, où notre pays est impliqué, plonge les populations dans une panique morale et dans une vue d’ensemble incertaine du lendemain. Certains se demandent même si ces élections auront lieu ou pas ».
Anicet Niyonkuru fait savoir que même sur le terrain de l’animation politique, il y a une absence remarquable d’autres formations politiques qui sont pourtant sur les listes validées par la Ceni pour se faire élire. « Nous pensons que cela est dû, soit à cette incertitude morale, soit à cet environnement économique qui freine beaucoup d’initiatives et de projets. On ne peut, en effet, parcourir tout le pays sans carburant et sans fonds suffisants, étant donné que la monnaie burundaise perd sa valeur du jour au lendemain ».
Sur la question du délai de dépôt des mandataires politiques, le président du CDP dit lui aussi qu’il faut encourager la Ceni à accorder encore un délai suffisant avant de demander la transmission de ces listes. Toutefois, avance Anicet Niyonkuru, la Ceni se fait remarquer effectivement par son absence. « Elle n’organise pas les réunions avec les parties prenantes aux élections pour analyser ensemble cette situation incertaine et trouver des orientations ensemble. Elle ne fait aucun communiqué ; aucune déclaration sur le processus en cours, au moins pour tranquilliser et maintenir les électeurs dans une ambiance électorale afin que la participation aux élections soit maximale ».
M. Niyonkuru demande à la Ceni de sortir de « sa coquille ». « Pendant cette période électorale, la grande responsabilité de remonter le moral des électeurs et de motiver les candidats aux élections lui incombe ».
Aloys Baricako : « C’est un processus électoral atypique »
« Il y a quelque chose qui cloche. Ce processus électoral est caractérisé par le calme. La majorité des partis politiques n’est pas sur le terrain », réagit Aloys Baricako, président du parti Ranac.
Pour lui, rien ne montre qu’il y a des élections en cours de préparation. « Peut-être les journalistes et les hommes politiques le savent. Mais, la population est ailleurs. Pour moi, c’est un processus électoral atypique. Je me suis beaucoup réservé à parler de la Ceni qui, pour moi, n’a pas les pieds sur terre. Parce qu’elle peut publier une liste définitive des candidats et sur l’affichage, vous trouvez une autre liste ».
Selon lui, la Ceni se montrait présente au début « mais, actuellement, on ne la voit pas alors qu’il y a des activités qui doivent être menées ».
D’après Aloys Baricako, la machine était bien lancée, mais elle s’est enraillée. Et de se poser une question : « Est-ce que ce n’était pour nous mettre dans des difficultés. Pourquoi maintenant la machine est presque en panne ? On ne sait pas. C’est inquiétant ».
Le président du parti Ranac minimise les impacts soulevés de la pénurie de carburant. « La campagne électorale peut se faire à travers les médias ou sur les réseaux sociaux. Elle peut se faire de diverses manières. Elle peut se faire de porte à porte par exemple. Avec ou sans carburant, nous allons battre campagne avec les moyens de bord ».
Jean de Dieu Mutabazi : « Tout semble régulier aujourd’hui »
Le président du parti Radebu considère qu’au niveau de l’état d’avancement du processus électoral, tout semble régulier aujourd’hui, à part le refus du délai de grâce pour corriger les listes des candidats aux communales. « Dans la phase actuelle de préparation des élections, le Radebu évalue positivement le processus électoral, tout en sachant que la qualité d’un bon processus électoral se remarque beaucoup plus dans la régularité pendant la campagne électorale, le jour du vote surtout la transparence lors du comptage des voix ».
En ce qui concerne la désignation des mandataires, Jean de Dieu Mutabazi dit que ce n’est pas obligatoire pour chaque parti politique de les désigner. Mais, c’est conseillé de les désigner et leur chercher les accréditations auprès de la Ceni et ses démembrements. « Il n’est pas encore tard bien qu’il soit conseillé que chaque parti en prévoie déjà pour chaque bureau de vote, dans les limites de ses possibilités ».
Le président du Radebu qualifie d’affirmation gratuite lorsque certains partis disent que la Ceni n’est pas présente sur le terrain. Car, « c’est un organe national qui dispose de son siège à Bujumbura, mais avec ses démembrements provinciaux et communaux ».
Jean de Dieu Mutabazi estime qu’il n’y a pas à se lamenter, car cet environnement socio- politique, économique et sécuritaire dont on parle est égal pour tous les partis politiques qui vont participer aux élections du 5 juin 2025. « Nous sommes tous dans les mêmes conditions. Le Burundi connaît un pluralisme politique effectif, avec un cycle d’élection régulier, accompagné d’une liberté de la presse et d’opinion élevée. Les divisions de nature ethniques ou politiques ont disparu progressivement. La population vaque à ses activités quotidiennes paisiblement sur l’entièreté du territoire du pays, dans une ambiance de cohésion sociale, conviviale et en toute sécurité ».
Par rapport à cette crise de carburant, M. Mutabazi souligne que chaque parti politique devra organiser sa campagne en conséquence et revoir à la baisse son calendrier des meetings, tout en recourant à d’autres moyens comme les médias, les réseaux sociaux, la marche ou le vélo pour atteindre l’électorat et lui présenter son programme.
Il demande tout simplement à la Ceni d’organiser ces élections en toute neutralité, sans favoriser aucun parti politique, et cela en toute légalité et transparence, surtout pendant le comptage des voix.
Olivier Nkurunziza : « Le parti va battre campagne coûte que coûte »
Le parti Uprona déplore que certaines listes électorales aient été rejetées. « C’est la raison pour laquelle le parti Uprona n’a pas été satisfait lors du dépôt des listes au niveau des conseils communaux ».
Selon Olivier Nkurunziza, l’absence de la Ceni sur le terrain n’a rien de surprenant. « Peut-être qu’ils n’ont pas à nous dire. Ils sont en train d’élaborer les cartes des électeurs. Mais, il ne faut pas que la Ceni passe plus d’un mois ou de deux mois sans contacter régulièrement les responsables des partis politiques ou des acteurs politiques pour évaluer ou annoncer les étapes ».
La question du carburant pose problème. « C’est un casse-tête, mais le parti va battre campagne coûte que coûte. Si ce sont des moyens de nous faire échouer, nous allons essayer de tout faire pour contourner ce problème ». Olivier Nkurunziza espère des élections qui seront acceptables pour tout le monde. « Le parti Uprona ne va pas se positionner nulle part. Il va vendre son projet de société ».
Contacté par Iwacu face à ces inquiétudes, François Bizimana, porte-parole de la Ceni, s’est réservé de tout commentaire officiel.
Iwacu a également essayé de joindre Diane Munezero chargée de l’information au sein du parti Cndd-Fdd, mais sans succès.
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