<img5687|left>Le destin d’un homme, de surcroit muet, se joue souvent sur un malentendu. Nyamuragi implore avec moult gestes, une jeune fille venue puiser de l’eau à la rivière de lui montrer les lieux d’aisance pour se soulager. La fille croit à une tentative de viol et se met à crier fort. Une foule venue des collines environnantes se met à poursuivre le pauvre homme, finalement attrapé après une course haletante. Voilà pour le décor du roman.
La justice populaire se met rapidement en place. Irrationnelle, cruelle. Elle ne demande que la mort, de préférence par pendaison, pour que les générations futures se souviennent de ce crime affreux qui souille l’honneur des familles honnêtes. « Nyamuragi ne bougeait plus, il suivait de loin, de très loin ce qui se passait autour de lui. Il était redevenu calme. Des chaudes larmes coulaient sur ses joues, creusant des rigoles dans la poussière qui saupoudrait sa face. C’était un masque. C’était très laid ».
Il y a également la pauvre vieille borgne avec ses moutons qui regarde ce spectacle avec désolation et incompréhension. Elle, dont les propres parents ont été décimés par cette guerre sournoise et impitoyable qui endeuille des familles burundaises depuis des années. Son constat amer de la fin d’une époque révolue où« il y avait l’assemblée des sages, la tenue d’un conseil de notables pour statuer sur son cas. On ne l’aurait pas tué. Exilé à vie peut-être ».
[Roland Rugero, un jeune auteur talentueux, en est à son deuxième roman->http://iwacu-burundi.org/spip.php?article3861] qui fourmille de formules merveilleuses, parfois poétiques. Son style fait penser à Rimbaud. Certaines tournures peuvent sembler incompréhensibles mais quel lecteur a jamais saisi l’entièreté du sens des « Illuminations » où le génie rimbaldien éclate dans toute sa splendeur.
Un bémol mineur toutefois : la traduction de certains proverbes kirundi en français souffre parfois d’une traduction littérale dont on ne retrouve pas toujours le sens original dans la langue de Molière. Pour la prochaine édition de ce livre, nous convions le jeune romancier à y remédier, quitte à demander avis auprès des maîtres de la langue en kirundi et en français.
En toile de fonds, ce roman nous amène à nous interroger sur le sens de l’existence du Burundais en proie depuis des décennies à une violence souvent aveugle et absurde. Je recommande sa lecture à tous ceux qui veulent comprendre pourquoi la vie, ce bout de lumière dans la nuit comme nous le rappelle Céline, vaut pourtant la peine d’être vécue.
Pour terminer, j’émets un souhait que ce livre soit traduit en kirundi et qu’un metteur en scène puisse un jour en faire un film dont le style cinématographique qui en émane, est magnifiquement postmoderne. Que les jeunes lecteurs burundais ne soient pas rebutés par certaines tournures difficiles mais fassent plutôt l’effort de comprendre le message de l’auteur. Même s’il faut pour cela revenir plusieurs fois sur le texte. Cela en vaut la peine.