L’opposition fustige et s’interroge sur la nomination et l’approbation « précipitées » du Premier ministre et celle du Vice-président par le Parlement. Le président de l’Assemblée nationale rétorque que tout est légal. Deux positions tranchées.
Par Fabrice Manirakiza, Rénovat Ndabashinze, Igor Arnaud Giriteka
L’Assemblée nationale a approuvé dans un vote secret, ce mardi 23 juin, le Commissaire de police général (CPG) Alain Guillaume Bunyoni comme Premier ministre de la République du Burundi 92 députés ont voté pour et 2 parlementaires ont voté contre. Les députés ont également approuvé comme vice-président de la République, Prosper Bazombanza, par 91 voix pour, 2 voix contre et 1 abstention. Au Sénat, les deux propositions ont passé comme une lettre à la poste. Les sénateurs les ont approuvées à l’unanimité par 39 sénateurs sur 39.
Cette séance plénière s’est déroulée sans la présence des députés de la Coalition Amizero y’Abarundi surtout les députés du Congrès national pour la liberté (CNL). Selon ce dernier, cette activité d’approbation a été cachée et improvisée sur le calendrier des activités. «C’est une tricherie, car la procédure est considérée comme un événement important pour la vie nationale».
«Pas de précipitation!»
Le président de l’Assemblée nationale sortante, Pascal Nyabenda, a indiqué qu’il a reçu la veille à 19 heures un message lui demandant de mettre sur l’agenda de ce mardi l’approbation du vice-président de la République et le Premier ministre.
À ceux qui estiment que cette approbation a été « précipitée », le président de l’Assemblée nationale brandit l’article 104 de la Constitution qui stipule : «Le mandat du Président de la République débute le jour de sa prestation de serment et prend fin à l’entrée en fonctions de son successeur.»
Cela signifie selon M.Nyabenda que le nouveau président a le plein droit de nommer son vice-président ainsi que le Premier ministre de la République.
«Il y a une institution élue qui n’a pas encore terminé son mandat. Dans la nouvelle Constitution, on ne parle pas du parlement nouvellement élu. On parle seulement de parlement».
Oeuvrer pour la paix et la justice pour tous
Mercredi, 24 mai, toujours en l’absence des députés du CNL, y compris Agathon Rwasa, son président, Prosper Bazombanza et le Général-major Alain Guillaume Bunyoni vont prêter serment.
En kirundi, langue nationale, devant Dieu Tout Puissant, devant le président de la République du Burundi, devant l’Assemblée nationale et le Sénat ( sortants), le Général Bunyoni et M. Bazombanza vont jurer fidélité à la Charte de l’Unité nationale, à la Constitution, etc. Ils vont également s’engager à œuvrer pour la paix et la justice pour tous les Burundais, à combattre les idéologies de génocide et d’exclusion et à défendre et promouvoir les Droits de l’Homme pour tous les Burundais. Dans son serment, Prosper Bazombanza, vice-président va en outre souligner qu’il fera respecter la souveraineté du Burundi sur son territoire et son indépendance. Et ce, avant de signer devant la Cour Constitutionnelle et une photo de famille avec le président Evariste Ndayishimiye. Les deux sont accompagnés par leurs épouses.
Réactions
« Une activité improvisée »
Selon Térence Manirambona, porte-parole du parti CNL, l’activité d’approbation du Premier ministre et du vice-président n’était pas inscrite sur le calendrier de mardi. « C’est une activité improvisée. Car jusqu’à lundi soir, quand le bureau élargi tenait sa réunion, on n’a pas précisé que cette activité allait se dérouler.
Pour lui, c’est surprenant qu’une activité de grande envergure se passe en cachette, en toute discrétion. « Elle devrait émaner d’une concertation ou d’une collaboration. Ce qui montrerait que le parti au pouvoir veut réellement bâtir un Burundi pour tous. »
M.Manirambona estime que le parti CNL ne devrait pas être ignoré. « Le parti a démontré son enracinement sur le territoire national. Si on veut bâtir un Burundi meilleur, il faut l’associer dans la gestion de ce pays. » Et de s’interroger sur les mobiles de cette précipitation : « Imaginez-vous faire approuver le 1er ministre et le vice-président devant un parlement sortant, qui ne va pas contrôler l’action gouvernementale. Est-ce que ces deux personnalités ne risquent-elles pas d’avoir des problèmes à travailler avec le nouveau Parlement ? »
Pour lui, cela entre dans la continuité de l’investiture précipitée du président actuel. « Pourquoi investir un nouveau président alors que le président défunt n’est pas encore inhumé. Il y a un hic. Ceci suscite beaucoup de questionnements. »
« Un recul »
« L’exécutif, même s’il n’est pas encore au complet, a tendance d’être trop militarisé », réagit Tatien Sibomana, un homme politique. «Il y a un président avec grade de Général-Major, le 1er ministre Marechal dans un pays où les civils sont supposés occuper tous ces postes de responsabilités. De là, vous comprenez qu’on a reculé de plusieurs années. »
Ce politique ne doute pas qu’on va avoir encore deux généraux, soit comme ministre de la Défense, soit ministre de la Sécurité publique. « Ce qui sera finalement un pouvoir militaire »
Quant à la nomination de Prosper Bazombanza au poste de vice-président, M.Sibomana n’y va pas par quatre chemins : « Vous savez que quand il était 1er vice-président de la République, le Général-Major Ndayishimiye était Chef de cabinet civil du président. » Ce qui signifie qu’il connaît ses qualités, ses défauts, ses mérites. « Je crois que quelque part, le système l’a déjà repéré comme un bon serviteur».
M.Sibomana indique qu’il y a eu au Burundi un système appelé Cndd-Fdd installé depuis 2005. «Les plus favorisés du système bougent comme ils veulent peu importe celui qui vient.» Pour lui, c’est la continuité dudit système. A ceux qui espéraient un changement, M. Sibomana est sceptique « le président entrant a toujours dit qu’il va marcher dans les pieds de son successeur. » Et de relever une anomalie de taille. D’après lui, l’exécutif est investi normalement par un Parlement qui va contrôler son action. Or, déplore-t-il, ces nominations ont été approuvées par une assemblée nationale sortante.
Uprona satisfait
Pour Abel Gashatsi, président du parti de Rwagasore, c’est un sentiment de satisfaction que le parti Uprona soit considéré pour le poste de la vice-présidence de la République. Selon lui, le parti Uprona contribue pour la bonne marche des institutions du pays. M. Gashatsi estime que les deux personnalités nommées sont des gens connus dans le pays, expérimentés, tous les deux ont déjà occupé des hautes fonctions dans les années antérieures.
Pour le parti Uprona, ces deux personnalités vont aider le président de la République à mettre en œuvre le programme pour lequel il a été élu.
D’ailleurs M. Gashatsi estime qu’il peut aussi s’inspirer des autres programmes des autres partis qui cadrent avec son projet de société. Il espère que le prochain gouvernement va s’atteler au retour de tous les exilés, le rétablissement de bonnes relations avec les autres pays et la redynamisation de l’économie. A la question de savoir si son parti aura des portefeuilles ministériels dans le prochain gouvernement, M. Gashatsi estime que tout dépendra de la volonté du président de la République. « Avec la nouvelle Constitution, le président a la latitude de nommer qui il veut dans son gouvernement, nous nous réjouirons donc qu’il nomme un membre de l’Uprona comme ministre».
Biographie d’Alain Guillaume Bunyoni
Le Commissaire de police général (CPG) Alain-Guillaume Bunyoni est né en 1972 en commune Kanyosha de la province Bujumbura. Après sa scolarité primaire entre 1978-1984 à l’école primaire de Kanyosha, il poursuit ses études secondaires successivement au lycée de Rohero (1985-1990) et au lycée de Rutovu (1990-1993). L’année suivante, Alain-Guillaume Bunyoni entre à l’Université du Burundi, mais n’ira pas au bout de son parcours académique et rejoint la rébellion du Cndd. Il reprendra les études par correspondance après le cessez-le-feu de novembre 2003 et obtiendra un diplôme supérieur délivré par l’Ecole biblique Emmaüs.
A la suite de la signature du cessez-le-feu en novembre 2003 entre le mouvement Cndd-Fdd et le gouvernement de Transition, Alain-Guillaume Bunyoni sera nommé entre 2004 et 2005 coordinateur de l’Etat-Major Général intégré de la police nationale.
De 2005 à 2007, le CPG Bunyoni devient Directeur général de la Police nationale. Il sera ensuite nommé aussi ministre de la Sécurité publique entre novembre 2007 et novembre 2011 et occupera le même poste à partir d’août 2015 jusqu’à son approbation comme Premier ministre.
Le Général Bunyoni a été chef de cabinet civil du Président de la République de novembre 2011 jusqu’à novembre 2014 et Secrétaire permanent du Conseil National de Sécurité et Chancelier des Ordres nationaux de la République du Burundi de novembre 2014 au 24 août 2015.
Le nouveau Premier ministre a été de 2007 jusqu’en 2009 président du Conseil des ministres des Etats membres du Centre Régional sur les Armes légères (RECSA) dans le cadre de la Déclaration et du Protocole de Nairobi sur les armes légères et de petit calibre
Biographie de Prosper Bazombanza
Le vice-président de la République, Prosper Bazombanza, est né à Rusaka, province Mwaro, en 1960. Il a fait ses études primaires, de 1966 à 1973, à l’Ecole primaire officielle de Mwaro avant d’entrer à l’Ecole normale de Garçons de Gitega. En 1982, il intègre l’Université du Burundi dans la Faculté des Sciences Appliquées. Prosper Bazombanza est ingénieur civil en Génie Electromécanique (Université du Burundi, 1990
Ancien professeur de Mathématique au Lycée Mwaro (1989-1990 et 1992-1997), chef de service Maintenance des équipements aux stations de lavage de la SOGESTAL Kirimiro (1990-1992), il a été Gouverneur de la province Mwaro (2002-2005), puis de 2005 à 2010, cadre à la coordination provinciale de l’enseignement des métiers à Mwaro.
De 2010 à 2014, il était membre de la Commission Nationale des Terres et Autres Biens(CNTB) dans les provinces de Rutana, Cankuzo, Ruyigi et Bujumbura. Militant de l’UPRONA, il devient de 2014 à 2015 Premier vice-président de la République du Burundi. D’avril 2016 à décembre 2017, il est nommé Directeur général de l’Institut National de Sécurité Sociale (INSS). Depuis décembre 2017, il était Secrétaire Général de l’Agence de Régulation et de Contrôle des Assurances (ARCA).