Après la fin du mandat du président rwandais, c’est le tour de son homologue burundais de prendre les rênes de l’EAC. S’il accepte, quels défis l’attendent ? Eclairage.
Selon le principe de présidence tournante en vigueur à l’EAC, c’est le Président Evariste Ndayishimiye qui devra succéder au président rwandais Paul Kagame à la tête cette organisation sous régionale. Elu à l’issue du 20ème sommet des chefs d’État de l’East African Community à Arusha le 1er février 2019, comme le successeur de Yoweri Kaguta Museveni, son mandat devrait s’achever ce 1er février 2021.
Rosette Irambona, porte-parole du ministère en charge de la communauté est-africaine dit espérer que le président burundais va accepter de prendre les rênes de l’EAC. « C’est vrai qu’à l’époque le Burundi (lors de la présidence de Pierre Nkurunziza) avait cédé la présidence de l’organisation à un autre pays. Mais j’espère que les autorités actuelles vont défendre les intérêts du Burundi et de la communauté», explique-t-elle.
Mme Irambona fait savoir que quelques réunions ont déjà commencé malgré le contexte difficile imposé par la pandémie de la Covid-19 dans lequel travaille l’organisation. Car, dit-elle, le destin de la communauté doit faire objet de débats entre les pays membres pour donner des orientations claires.
Un fonctionnaire de l’EAC qui a requis l’anonymat constate que le président Evariste Ndayishimiye une fois à la tête de l’EAC aura du mal à gérer certains défis. Il parle notamment des défis financiers qui hantent l’organisation. Ils sont dus surtout aux retards de payement des cotisations des pays membres pour honorer leurs engagements. « Il aura à inciter ses homologues de l’EAC pour honorer leurs engagements afin amorcer certains projets, mais le Burundi est aussi un mauvais payeur. Il lui faudra prêcher par l’exemple », a-t-il insisté. Il reste plutôt optimiste qu’il apportera un changement.
Eclairage du Pr Pascal Niyonizigiye, spécialiste en relations internationales
Le président burundais va-t-il finalement accepter de prendre les rênes de l’EAC ?
Actuellement on n’est pas encore sûr que le Burundi va accepter cette la présidence. Même le calendrier de l’élection du président de l’EAC n’est pas encore connu. Les raisons qui avaient été avancées à l’époque sous la présidence de feu Nkurunziza étaient que son agenda était « très chargé ». Aujourd’hui aussi l’agenda peut être chargé sauf que nous vivons une autre conjoncture au niveau des relations du Burundi avec d’autres pays. Il s’agit notamment des pays de la sous-région comme le Rwanda, les grandes institutions internationales comme le Conseil de sécurité des Nations unies, l’organisation internationale de la Francophonie et l’Union européenne. Nous avons déjà assisté à la reprise du dialogue en vue d’assainir leurs relations.
Quels sont les dossiers qui attendent le nouveau président en exercice de l’EAC ?
Si notre président accepte de présider cette organisation sous régionale, il aura à gérer des dossiers en suspens. Il y a notamment l’union monétaire. C’est une problématique qui reste pendante. Il est très difficile de s’imaginer une union monétaire entre des Etats qui n’ont pas la même situation économique et monétaire. Car les monnaies des cinq pays membres n’ont pas la même valeur. Il y a des pays qui sont plus ou moins en bonne posture sur le plan économique, comme le Kenya, qui est d’ailleurs la première puissance économique de la communauté est-africaine suivie par la Tanzanie.
Où se trouve le blocage ?
Depuis les années 90 jusqu’à ce qui est arrivé récemment, l’économie burundaise a connu une inflation importante. Cela fait que l’intégration monétaire ne soit pas effective. Le niveau d’inflation doit être tolérable pour créer des bonnes conditions à l’intégration. Voyez ce qui se passe dans l’Union européenne, les pays comme la Grèce, le Portugal, l’Espagne connaissent des problèmes face à la puissance économique allemande, car la force de leurs économies est très différente. Les plus riches doivent donc essayer de supporter les plus faibles. Et ce n’est pas un exercice qui peut être accepté par tout le monde. Au niveau de la communauté est africaine on sera obligé d’attendre une amélioration de la situation économique pour que certains pays à la traîne puissent atteindre un niveau acceptable pour l’Union monétaire. Mais également il faut qu’il y ait la stabilité politique et des bonnes relations entre les pays membres.
Les relations se sont détériorées depuis 2015 entre le Burundi et le Rwanda, mais aussi entre le Rwanda et l’Ouganda. Ce sera un autre défi pour le prochain président de l’organisation, n’est-ce pas ?
Effectivement. Les mauvaises relations entre certains pays membres sont un défi majeur. Entre le Burundi et les autres pays de la sous-région, je remarque qu’il y a une certaine amélioration. Parce qu’on avait des problèmes avec le Rwanda. Mais dernièrement, Dieu merci, il y a eu des rencontres entre des chefs de renseignement militaires à la frontière des deux pays. Elles ont été suivies par celle des chefs de la diplomatie des deux pays. L’objectif est d’essayer de négocier la normalisation des relations entre les deux pays.
Le chef de l’État, quand il était à Gitega, s’est exprimé là-dessus, et apparemment, il était optimiste au sujet de la reprise des relations. Même appréciation du côté rwandais. Paul Kagame s’est exprimé en faveur d’une normalisation des relations. Une raison de plus qui nous pousse à être optimistes. Même entre le Rwanda et l’Ouganda, il y a une volonté de normalisation avec les bons offices du président angolais.
Le nouveau président pourra-t-il accélérer le projet de la fédération politique ?
La fédération politique au sein de la communauté de l’Afrique de l’Est est un idéal difficile à matérialiser. Parce que pour qu’il y ait une intégration politique sous régionale, il faut qu’il y ait une sérénité, une certaine stabilité politique. C’est cette dernière qui leur permet d’accepter de se soumettre à une même autorité. Mais depuis le 17e siècle, comme le disait Tomas Hobbes, les Etats ne sont pas prêts à accepter, car ils sont tellement jaloux de leur souveraineté. De ce fait, ils se réservent de s’intégrer politiquement. Mais quoi qu’il fasse, c’est un bon projet dans le cadre de l’idéalisme politique, mais il faut attendre. Peut-être que dans quelques décennies les gens seront beaucoup plus préparés pour cette intégration. Il y a encore des étapes à franchir.