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Pouvoir et opposition : un dialogue de sourds

05/06/2013 Commentaires fermés sur Pouvoir et opposition : un dialogue de sourds

Le message la nation du Président de la République, le 31 décembre, a jeté un froid dans les rangs de l’opposition. En rejetant toute idée de négociation, il a néanmoins accepté le dialogue sur certains points, dont la révision de la constitution. Pour nombre de ses partenaires politiques, cette intention du Chef de l’Etat cache des ambitions inavouées. <doc2641|right>«Il y a des acteurs politiques qui se croient supérieurs aux autres et qui veulent même remettre en cause la volonté du peuple. Nous leur demandons de prendre leur mal en patience et de se préparer dès aujourd’hui au prochain rendez-vous électoral de 2015 ; nous n’allons jamais accepter de négocier avec cette bande d’anti-démocrates», a déclaré Pierre Nkurunziza dans son discours de vœux, le 31 décembre. Pour l’opposition extraparlementaire, cette position du Président la République a au moins le mérité d’être claire : «Il a levé des confusions. Il est sorti de sa réserve et a catégoriquement rejeté toute idée de négociations, ce qui nous permettra d’adopter d’autres stratégies face à un gouvernement irresponsable », souligne Léonce Ngendakumana, président de l’ADC-Ikibiri. Quant à Chauvineau Mugwengezo, porte-parole de cette coalition de l’opposition, il parle d’orgueil politique : «  Les propos tenus par le Président ne rassurent pas les gens, et c’est là que nous sommes sidérés, car c’est une situation qui n’augure pas d’un lendemain politique meilleur. » Mais M. Mugwengezo, non plus, ne baisse pas les bras : « Au lieu d’être résignés par de tels propos, ils nous redonnent du tonus pour que nous puissions réclamer davantage ces négociations », indique celui qui se déclare président de l’UPD. Les élections de 2010 comme argument massue Zedi Feruzi, président du parti UPD reconnu par le pouvoir, reconnaît que le dialogue est important, qu’il faut préparer un cadre propice. Cependant, pour lui, l’important n’est pas l’endroit du dialogue, mais son issue. <doc2642|right>Le président de l’Uprona, Bonaventure Niyoyankana, pense également que le gouvernement et le Cndd-Fdd ne peuvent pas, seuls, résoudre les problèmes du pays sans associer les autres partenaires politiques. Il conseille au pouvoir et à l’opposition de faire preuve de maturité pour le bien du pays : « Le Cndd-Fdd doit user de sa sagesse pour ne pas écraser l’adversaire et l’DAC-Ikibiri ne devrait pas compliquer les choses en contestant les élections de 2010. » Cependant, Chauvineau Mugwengezo persiste et signe : « Ces élections constituent le leitmotiv même de toutes les conséquences qui s’en sont suivies. Il serait paradoxal de ne pas considérer les élections comme la source de tous les malheurs que nous vivons aujourd’hui, et il ne serait donc pas normal qu’on vienne nous imposer une cécité politique. » Pour l’opposition, continuer à brandir les résultats des dernières élections est une stratégie pour exister politiquement. Face aux différentes manœuvres du pouvoir pour museler l’opposition, le seul point sur lequel elle peut être entendue est la gestion du processus électoral justement. «  C’est une question de visibilité et l’opposition ne pourrait pas exister si le pouvoir reconnaissait la mauvaise gestion des élections. Or, cela signifierait que le pouvoir crédibilise le discours de l’opposition, et il ne veut pas en entendre parler car cela remettrait en question sa légitimité politique », indique le politologue Jean Salathiel Muntunutwiwe. Un forum contesté Et le dialogue préconisé par les différents partenaires du pays, quand bien même s’il ne toucherait pas à l’institution présidentiel, qui est reconnue comme légitime, il peut toucher à des institutions connexes à celle du chef de l’Etat. Ce qui reviendrait à réduire le nombre de places occupées par les membres du Cndd-Fdd. Et cela mettrait le président de la République dans une situation délicate. Ainsi donc, si ce parti est convaincu que le partage du pouvoir le lui ferait perdre, le président ne peut pas prendre de décision favorable à au dialogue. De toute façon, en allouant un budget, pour 2012, au Forum de dialogue permanent des partis politiques, le gouvernement a lancé le ton pour montrer que ce même dialogue avec l’opposition reste lettre morte. Ce Forum a notamment été longtemps décrié par l’opposition comment étant à la solde du pouvoir, sans aucunement former un cadre de dialogue. <doc2643|right>« C’est un cadre inadéquat ! » Pour Léonce Ngendakumana, le financement du Forum est anticonstitutionnel, parce que seuls les partis politiques qui sont représentés au parlement doivent être financés. Selon lui, le forum est un cadre financé par l’Etat pour corrompre les partis dits « Nyakuri »(ailes dissidentes et favorables au pouvoir), ou qu’il utilise comme attrape-nigaud pour certains partis de l’ADC-Ikibiri. Quant à M. Niyoyankana, il voit dans le Forum est une institution qui est au service de l’Etat et qui n’est pas appropriée pour régler les problèmes du pays. Zedi Feruzi trouve que le Forum en soi est une bonne chose, mais qu’il faudrait le réadapter à la situation présente pour que la majorité des partis politiques l’accepte. Cependant, Bonaventure Niyoyankana considère ce cadre comme irréaliste et s’entêter à le désigner comme le seul médium de dialogue, c’est fuir ses responsabilités : « C’est une photocopie conforme au pouvoir et géré à 100% par le ministère de l’Intérieur. A part, l’Uprona, tous les partis qui y sont sont des satellites du parti au pouvoir. C’est pourquoi l’Uprona s’en désintéresse de plus en plus», indique-t-il. Une Constitution qui dérange… Même s’il a rejeté toute idée de dialogue avec l’opposition, le Président a cependant fait allusion à un début de négociations sur d’autres sujets, notamment la révision de la constitution. Mais cette main tendue cacherait d’autres visées qui ne sont pas toujours honorables. Pour le président de l’Uprona, modifier la constitution peut être motivé, pour certaines personnes, par la volonté de s’éterniser au pouvoir et augmenter les chances d’aboutir à un parti-Etat : «  Il existe des intentions du parti au pouvoir d’enterrer ce qui a trait à l’Accord d’Arusha, alors qu’il devrait guider la bonne application des distributions de la constitution. » Pour Bonaventure Niyoyankana, le pouvoir devrait plutôt revoir certains textes pour renforcer la démocratie. Pour modifier la constitution, pense Chauvineau Mugwengezo, il faut s’assurer que le paysage politique le permet, et que les préalables sont réunis pour se lancer dans une telle aventure. Il considère ce texte «  comme un instrument de base et une loi fondamentale qui nous guide aujourd’hui, et les Burundais n’accepteraient pas qu’on la modifie pour des intérêts individuels ou inavoués. » <doc2644|right>Retour sur le discours du Président de fin d’année Dans son discours de fin d’années, le président de la République rejette avec force cette idée de dialoguer avec l’opposition, parfois avec véhémence. Pour le professeur Gertrude Kazoviyo, spécialiste de l’analyse du discours, le dialogue n’est pas l’initiative du Président, raison pour laquelle il s’exprime avec véhémence et énervement quand il s’agit de ce sujet : « On le sent à travers les termes qu’il utilise. Il s’agit d’un interdiscours car il est poussé dans ce dialogue par les autres partenaires. » Pour elle, la preuve en est qu’il propose lui-même les sujets sur lesquels porterait le dialogue, alors que ce serait à ceux qui demandent ce dialogue d’indiquer sur quels points discuter. Il veut donc les devancer pour que leurs propositions ne soient pas acceptées. Le professeur ajoute que c’est normal que Pierre Nkurunziza exclue de ce dialogue les élections de 2010, puisque il les a gagnées, qu’elles soient contestées par une partie ou pas. Pour lui, c’est logique qu’elles ne soient pas mises en question. Ensuite, poursuit Mme Kazoviyo, « en tant que chef de l’Etat, il est normal qu’il s’interroge sur ce qu’il adviendrait du pays si ces élections étaient réellement remises en cause, si on s’imagine l’anarchie et le désordre qui en résulteraient. » Pourtant, ajoute-t-elle, il est impossible de préparer les élections de 2015 sans revenir sur la manière dont celles de 2010 ont été organisées, du moins jusqu’à un certain stade, sans entrer dans les détails des résultats.

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