Les enfants, voulez-vous savoir comment une grenouille a battu un aigle à la course ? Ouvrez la page 17 des Contes et Fables {(Imigani n’ibitito)}, un livre publié par l’Abbé Jean-Baptiste Ntahokaja, en 1976, aux Editions de l’Université du Burundi et avec l’aide de l’UNESCO. Car cette fable est plus que d’actualité. Les relations actuelles entre le pouvoir et les médias rappellent la fable de la grenouille et de l’aigle sont là pour nous la rappeler. <img2208|left>Un incroyable pari. « Un aigle n’avait que mépris pour une grenouille parce qu’elle ne savait que se traîner par terre. Vexée, la grenouille a alors lancé un défi à l’aigle. ‘Dis-donc, viens un jour. On va organiser une compétition de course et on verra qui court plus vite que l’autre.’ L’aigle a éclaté de rire. ‘Moi accepter une compétition avec toi ? Espèce de chien qui ne sait avancer que par petits bonds.’ La grenouille réplique : ‘ce n’est pas grave. Viens seulement.’ La grenouille et l’aigle conviennent alors d’un rendez-vous. De son côté, la grenouille a transmis le message à sa voisine directe et sa voisine a transmis le message à sa voisine directe et ainsi de suite et ainsi de suite. Jusqu’à ce que toutes les grenouilles de la vallée sachent le message. Un jour l’aigle a fait sa toilette et a lissé ses ailes. La grenouille lui a dit: ‘compte jusqu’à trois et on démarre la course.’ L’aigle a dit oui. L’aigle s’est mise à compter et au top départ, elle s’est lancée et a pris son envol. Mais la première grenouille est restée sur place. Après avoir parcouru des distances et des distances, l’aigle demande à la grenouille :’ Où en es-tu, chère grenouille?’ La grenouille qui se trouvait dans la vallée devant l’aigle s’est gaussée d’elle et lui a répondu :’ Mais tu es encore si loin alors que moi je suis loin devant ?’ L’aigle s’est dit qu’elle était couverte de honte. Elle a redoublé d’efforts. Après avoir parcouru la distance de quatre collines, elle demande à la grenouille :’ Où en es-tu ?’ La grenouille qui était dans la vallée, loin devant l’aigle s’est moqué. ‘Comment’, dit-elle ? ‘Tu vantais ta force ? Et voilà que tu traines derrière’. L’aigle a encore redoublé d’efforts pour voler encore plus vite. Mais elle s’est épuisée. Morte, elle s’est écrasée au sol. La grenouille lui dit alors : ‘ Je t’ai eue ! ‘» Les enfants, n’y voyez ni malice ni allusion à l’aigle qui symbolise le parti politique le plus puissant du Burundi. Toujours est-il que, la controverse actuelle, le bras de fer entre les pouvoirs publics et certains médias rappelle un peu cette délicieuse fable de la grenouille et de l’aigle puisée dans la tradition burundaise. Comment, pourquoi ? Avant de répondre à ces deux questions, il convient de rappeler quelques principes simples. Le gouvernement a mille fois raison de demander aux médias indépendants de ne pas donner la parole à un prisonnier, présumé innocent certes, mais tout de même entré dans un processus judiciaire. A ce stade, et même si on connaît les risques que le prisonnier encourait, seul son avocat aurait dû prendre la parole et prendre la défense de son client. Les médias indépendants auraient pu présenter la synthèse des faits que le prisonnier relatait sans évoquer son nom ni lui attribuer nommément les révélations. Par principe, également, et à la suite du massacre de Gatumba, aucun service public, aucune institution n’aurait dû s’arroger les prérogatives de la justice et incriminer des présumés coupables de ces assassinats. Par principe aussi, un ministre de la Défense, par surcroît, général de son état, ne devrait jamais être sollicité pour transmettre à l’opinion publique les recommandations et les décisions du Conseil national de sécurité. Par principe enfin, un autre général, chef d’Etat major général des armées n’aurait jamais dû être sollicité pour organiser l’arrestation de présumés comploteurs contre les institutions de l’Etat sur la plage du lac Tanganika. Par principe et par prudence, en effet. Car les généraux devraient se mettre en dehors de l’action visible et risquée de l’action judiciaire et civile. Les armées constituent le pilier ultime qui soutient une nation. Elles sont, dans un pays démocratique, ce que la reine est à la ruche. Sans reine, la ruche disparaît. Sans armée commandée par une autorité démocratique, la nation est en péril de désagrégation. Par principe enfin, il est interdit d’exhiber les prisonniers et de publier leurs photos dans la presse. Car, ils sont encore présumés innocents et peuvent sortir du procès judiciaire innocents. Ils retrouvent ainsi la plénitude de leurs droits et de leur dignité. Il faudra d’ailleurs qu’un jour un gouvernement se décide à autoriser des prisonniers encore présumés innocents à se présenter au tribunal en habits civils et non dans ce costume vert infâme. La tradition d’habiller les prisonniers avec un costume qui les rapproche des bagnards remonte à la période coloniale. En définitive, même des décisions contestables des pouvoirs publics n’autorisent pas les médias indépendants à s’inscrire dans l’illégalité à leur tour. Même si certains Burundais en viennent à penser, à tort d’ailleurs, qu’un régime démocratique perd sa légitimité du fait de ses performances contestables en matière de gouvernance. En effet, il vaut mieux une démocratie imparfaite qu’une démocratie en panne. Les citoyens, on y arrive Le gouvernement ne devrait pas persécuter les médias indépendants car ils expriment une opinion tout aussi légitime que celle des médias qui relayent les opinions des pouvoirs publics. C’est à cela qu’on reconnaît une démocratie vivante. La parole du citoyen, de tout citoyen, est à considérer avec respect. Car après tout c’est le citoyen qui détient la légitimité ultime du pouvoir démocratique. Or, les médias indépendants, même parfois insolents ou imprudents relayent l’opinion de certains citoyens qui ne partagent pas nécessairement le point de vue du gouvernement. Si chacun sait garder sa place et respecter la loi, il n’y aura aucune raison de persécuter ni de harceler certains médias indépendants. Du reste, la course entre le pouvoir et les médias indépendants, même déséquilibrée a priori, pourrait tourner à l’avantage des grenouilles. Car les grenouilles sont devenues malignes et organisées. Pour passer le message tout le long de la vallée, à Gitega, à Cankuzo, à Washington, à Bruxelles et à Pékin, les grenouilles utilisent le SMS, le texto, le courriel, le câble optique demain, le téléphone par satellite, le klaxon de 12 :20. Quel aigle volera à la vitesse de la lumière, celle des messages que les grenouilles se passent de proche en proche dans la vallée? Ailleurs, les aigles, puissants et sublimes, ont appris à respecter les grenouilles. Car on a toujours besoin d’un plus petit que soi. ________________ {Les Abbés Jean-Baptiste Ntahokaja et Marc Barengayabo, des géants au sens intellectuel du terme pour tous les deux et au sens physique pour le dernier, ont composé l’hymne national dont la version originale est une polyphonie à neuf voix. Celle-ci n’a d’ailleurs jamais été jouée au Burundi dans sa version originale et intégrale. Il faudrait y penser pour le cinquantième anniversaire de l’indépendance ! Un amphithéâtre de la Faculté des Lettres de l’université nationale porte d’ailleurs le nom de l’Abbé Jean-Baptiste Ntahokaja, originaire de Muyaga, province Cankuzo. Ouvrez donc le livre à la page 17.}