Essentiels sous le régime monarchique pour maintenir la cohésion sociale, les notables (Bashingantahe) se retrouvent aujourd’hui dans une position inconfortable. La faute, selon un analyste, est à la {politisation} de l’institution.
« Comment peut-on comprendre des tueries, des crimes, des injustices qui se sont installées sur les collines alors que chacune d’elles compte au moins une vingtaine de notables ? », s’interroge Nestor, un sexagénaire de Bujumbura. Voilà la principale question qui surgit quand on parle des Bashingantahe – littéralement « ceux qui plantent la justice ».
Et la poser, c’est oublier que l’effacement du pouvoir monarchique au Burundi a conséquemment affaibli celui des notables, considérés pourtant comme une institution essentielle pour maintenir la justice et l’harmonie dans la société burundaise.
Après l’indépendance du pays, en 1962, les régimes militaires se sont accaparés de tous les pouvoirs et le judiciaire, dans lequel on retrouvait les notables, s’est inféodé à l’exécutif. Désormais, « rendre justice à la colline » revenait à obéir aux injonctions de l’exécutif dominé par le parti UPRONA (Union et Progrès national).
Investis sous le contrôle de ce parti-unique qui règnera sur le Burundi de 1966 jusqu’en 1993, « les notables ont peu à peu perdu leur assise et leur rôle modérateur face aux excès du pouvoir, jusqu’à n’être plus que des instruments de légitimation des dirigeants locaux », souligne l’historienne Christine Deslaurier.
Politisation de l’institution
Aloys Batungwanayo, historien et journaliste, complète : « C’est au moment où on a commencé à créer des associations pour notables que les choses ont évolué négativement. Un notable doit être intronisé culturellement et a la mission de trancher n’importe où, de dire la vérité quelles que soient les circonstances. Il est choisi par la population et non par une association ou une fondation », souligne-t-il.
D’autant que sous la 2ème République, le président Jean Baptiste Bagaza déclara que toute personne possédant un diplôme, quel que soit le degré, devenait un notable : « Or la sagesse populaire et le savoir-vivre sont très différents des connaissances scolaires ou universitaires », ajoute M. Batungwanayo.
La politisation d’Ubushingantahe née au moment des négociations d’Arusha a ajouté le drame au drame. En effet, explique-t-il, les protagonistes burundais ont avancé l’idée selon laquelle il fallait instaurer un système de grands électeurs pour avoir un président de la République : « Les opportunistes ont commencé alors l’intronisation massive de notables, la plupart venant de l’Uprona. Un positionnement pour les élections de 2005, car on supputait que les grands électeurs seraient probablement des notables ».
De là est née, selon M.Batungwanayo, une radicalisation politique contre l’appellation de notable, essentiellement des membres du futur parti au pouvoir : « On clamait fort qu’on était un monsieur (Umugabo) et non un notable (Umushingantahe) parce que cette dernière appellation signifiait implicitement être membre de l’Uprona. »
Et depuis 2005 et la mise en place d’institutions élues, le courant ne passe vraiment pas entre les notables et les élus locaux, le pouvoir en place estimant que le rôle joué naguère par les notables peut être efficacement joué par les élus locaux de nos jours.