Les changements structurels intervenus à l’Institut Français du Burundi apportent un souffle nouveau au monde culturel burundais, qui apprend désormais à penser et mettre en œuvre ses propres outils de création.
Récapitulons : les Américains réinvestissent le secteur culturel avec leurs American Corners. Les Chinois nous arrivent avec des cours de mandarin à l’Université du Burundi dans le cadre de leur Centre Conficius, puis, dans la foulée, nous installent généreusement la Radio Chine Internationale. Entre-temps, ce sont les Français, avec leur Centre Culturel, qui changent leur manière de procéder dans le domaine culturel : « En gros, avec l’Institut Français, c’est comme si nous passions d’un statut d’association à celui d’entreprise », nous expliquait il y a un mois sa directrice-adjointe.
Pour essayer de comprendre les dynamiques locales qui se sont mises en marche dans le secteur artistique avec tous ces changements, intéressons-nous particulièrement à la présence culturelle de la France au Burundi. De loin la plus importante, de par l’histoire : le français comme langue officielle, à l’école et dans l’administration, nous porte à consommer plus les cultures dites « francophones » qu’anglophones ou chinoise.
Mais dans quelles conditions cette consommation se fait-elle ?
Avant d’aller plus loin, un rappel : jusqu’à récemment, le réseau culturel français au Burundi jouait un rôle de marqueur majeur de la politique culturelle burundaise. Pour qu’un artiste burundais se fraie un passage vers l’international à partir du Burundi, il devait passer par les salles du 9, Chaussée Prince Louis Rwagasore. Une vision qui répondait principalement au manque d’infrastructures locales en matière culturelle (salle de spectacles ou galerie d’exposition aux normes internationales, etc) …
La situation avec 2013 change lentement. En écho, Hélène Foulard, directrice-adjointe de l’Institut Français : « Dans le cadre de la nouvelle politique des programmations, nous présentions le 3 mai dernier un concert de musique classique, le premier depuis 10 ans… Quelle n’a été ma surprise de m’entendre répondre par des Burundais : « Non, nous ne viendrons pas car c’est un concert pour les Blancs ! » Une réplique donnée dans une désinvolture toute burundaise, et qui blessera doublement Mme Foulard. « La réponse renvoyait à une époque coloniale où il y avait clairement une musique pour les indigènes, et une pour les Bazungu », explique Mme Foulard. Ensuite, selon elle, « c’était violent, une telle réponse. » Et d’ajouter : « C’est comme si, entendant battre les Tambours, je répondais à un Burundais que c’est une danse pour les Hutu, ça ne m’intéresse pas ! »
Une certaine faillite …
Que nous apprend-elle d’autre, cette réplique ? Que l’assimilation culturelle à laquelle le Centre Culturel Français a longtemps prétendu, de manière implicite, a échoué sur certains points, au Burundi : ce n’est pas parce qu’on fréquente assidument cette place qu’on acquiert forcément un esprit ouvert et critique, sur l’art et le monde. Mme Foulard ne le nie pas : « Il m’a semblé qu’alors, il y avait l’absence d’outils de compréhension de notre culture. Schématiquement, j’ai eu l’impression qu’il y avait deux cultures, européenne et burundaise, qui évoluent côte à côte à l’IFB. » Et de renchérir : « Vous auriez dû voir l’étonnement des techniciens de régie de l’IFB, en poste depuis des dizaines d’années, quand je leur ai dit que la musique classique, à la base, est une oeuvre écrite. Ensuite, rendez-vous dans les rayons de la médiathèque dédiés aux livres d’art : ils ne sont jamais sortis ! »
Cette absence de curiosité aurait pu perdurer s’il n’y avait eu des changements structurels. « Maintenant, on a une obligation d’autofinancement à 30 %. Pour y parvenir, il y a notamment le recours aux formations diplomantes en français », explique Mme Foulard. Combiné au fait que la structure des lieux a changé, pour devenir « un lieu de rencontres » – ce qui demande plus de temps pour préparer le passage d’artistes internationaux -, la disponibilité des salles se réduit pour les artistes burundais. Ceux-ci avaient plus d’une centaine de dates l’année passée. En 2013, on en est à la moitié, et même moins. Et surtout, ils doivent désormais « se débrouiller » pour des évènements culturels de peu d’envergure. D’où la naissance des lieux de rencontres comme le Buj’art, des rendez-vous réguliers autour de la danse, de la musique (les fameux karaokés, un temps suspendus, ont repris), des clubs culturels (littérature, théâtre, cinéma), et même, dans une moindre mesure, l’arrivée du Centre Culturel de Gitega.
En changeant la manière de travailler, l’IFB permet aux artistes burundais de quitter peu à peu ce paradigme de l’humanitaire culturel, où un auteur lambda d’un manuscrit en français fonçait en premier au CCF pour demander des fonds d’édition, qu’importe la qualité de ses écrits. Surtout, cela contraint les acteurs locaux de la culture de créer et stimuler les moyens de croissance de leur travail. Ils redécouvrent que la culture, le travail artistique a un coût. « Quand tu es constamment maternée, tu ne grandis pas ! », rappelle Hélène Foulard. Le Buj’art, justement, cette initiative de jeunes artistes burundais, rencontre de plus en plus succès : les fameuses soirées Mort de Rire (MDR) avec des comédiens burundais et rwandais, font salle comble. 500 invités pour le dernier rendez-vous. N’est-ce pas encourageant ?