A la suite du sommet d’Erevan qui a porté une Africaine, si brillante, au secrétariat général de la Francophonie, l’Abbé Adrien Ntabona, professeur des universités à la retraite, livre une réflexion au sujet de cette organisation qui regroupe des peuples ayant en partage la langue française.
Nous Africains, la Francophonie nous est arrivée à l’époque coloniale. Elle s’est imposée, comme le reste, à l’époque. Nous avons ainsi appris le français au détriment de nos propres langues au lieu de l’apprendre en promouvant aussi les nôtres. Cela a provoqué tout d’abord, mutatis mutandis, une acculturation par substitution. L’acculturation est inévitable quand une culture dominante rencontre une culture à dominer. Mais c’est la substitution qui est inacceptable.
Il est à faire remarquer, au départ, que la culture, c’est la vie intérieure des collectivités. C’est donc ce sans quoi on ne devient pas homme. De cette façon, nous nous sommes habitués à regarder notre propre culture en utilisant des lunettes d’emprunt…Et donc à raisonner par procuration… Et cela a entraîné un regard de colon sur notre propre culture qui nous est devenue progressivement opaque…Cela nous a rendus, en même temps, axiologiquement étrangers à nos propres pays…
Automatiquement, une déculturation ne pouvait que s’en suivre… Dans mon pays, le Burundi, par exemple, nous sommes un petit pays qu’on peut traverser vite de part et en part… la déculturation ne pouvait que se répandre au galop et vite gagner du terrain dans les cœurs affaiblis et vidés….
Or, la déculturation est une perte de repères et de références axiologiques… et, par conséquent, moraux. Et alors, qu’on se le dise, toute déculturation est criminogène. Il ne faut pas donc s’étonner de voir la rapidité des esprits à adhérer …chaque fois qu’il est question de planifier des crimes. Il ne faudra pas non plus s’étonner demain si les contrats signés, sur fond de déculturation criminogène, ne soient que des chiffons de papier. La raison est toute simple : ce vide axiologique et éthique qui ne dit pas son nom.
Face à cela, il faut donc un sursaut. Nous avons trop subi la déculturation provenant d’une Francophonie imposée. Il nous faut maintenant embrasser et assumer ce que je viens d’appeler «une Francophonie à base de complémentarité et interaction des cultures».
Tout d’abord, les peuples membres de la Francophonie, surtout ceux qui ont subi cette violence conceptuelle, devraient se décider à passer par cette instance pour se reculturer, c’est-à-dire réapprendre et se réapproprier l’essentiel des valeurs des diverses cultures locales et l’assumer. C’est un long parcours, mais il s’agit d’une démarche incontournable.
Le donner et le recevoir, ce n’est pas un vain mot. Nous Africains surtout, nous avons trop reçu au plan culturel, mais nous n’avons jamais donné assez. Nous donnons tout juste de quoi amuser la galerie.
La culture a en effet trois niveaux, à savoir le niveau des valeurs, celui des institutions et celui de l’expression culturelle.
Or, le niveau de nos valeurs, nous sommes en train de le refuser tout simplement, sans ordre de procès, pour embrasser une mondialisation axiologiquement à sens unique, visant à faire que les cultures des forts phagocytent à cœur joie les cultures des faibles.
Par exemple, nous avons une conception de la personne qui lui donne une dimension communautaire. Nous pouvons beaucoup aider l’occident à ce propos, lui qui ne se gêne pas à réduire la personne à l’individu…, qui philosophiquement, n’est que de la matière dotée de quantité.
Et alors… Les droits exercés par un individu tout court n’ont pas les mêmes effets que s’ils étaient entre les mains d’une personne en pleine et due forme, c’est-à-dire d’un être humain doté en plus d’une dimension communautaire à toute épreuve. C’est juste un exemple pour souligner combien la complémentarité et l’interaction devraient commencer par cet essentiel : la vie intérieure des collectivités. Et, sur la dimension communautaire de la personne, l’Afrique a beaucoup à donner.
Il est donc nécessaire que la Francophonie se dote d’un cadre qui permette aux peuples de donner le meilleur d’eux-mêmes en matière axiologique surtout, car c’est là que le bât blesse le monde entier. Et alors cela peut rendre la Francophonie enviable… devenant de ce fait le lieu où les peuples s’expriment au plan axiologique. Ce cadre devrait adopter, bien entendu, une communication multimédia sans frontières. La complexité, voire le mystère de la condition humaine y oblige.
Aujourd’hui, nous sommes précisément immergés dans l’ère de la communication. La Francophonie, axée sur cette vision peut donc servir de modèle pour les autres organisations internationales, qui en ont besoin aussi.
Le fait de parler français, ce sera donc servir de phare en cette matière…