Le système éducatif burundais est l’embryon des cadres de demain. Pour des lendemains qui chantent, il est nécessaire de faire face aux défis et de réformer notre manière de former. Le Pr. Joseph Ndayisaba expose son point de vue.
D’aucun pourrait considérer cette réflexion comme une accusation du système. Qu’il n’a été relevé que « ce qui ne va pas ». C’est vrai, le Burundi a fait des progrès, reconnus sur la scène internationale, en matière de gestion du système : les taux d’accès au primaire et au secondaire se sont nettement améliorés ces dernières années, des efforts importants ont été fournis dans la formation des enseignants, la construction des écoles, l’accès à l’école par les enfants vulnérables… Mais aussi, plusieurs enseignants coupables de délits sexuels avec des élèves ont été sanctionnés, certains même révoqués.
Malgré les actions positives menées dans le secteur, il faut s’interroger sérieusement sur la qualité du produit fini qui sort de nos écoles, si tous les efforts de formation ne sont pas vains, s’ils ne sont pas accompagnés d’une solide éducation aux valeurs humaines.
A chaque époque correspondent des valeurs dominantes. D’autres références s’imposent. Nos enfants ont d’autres sources où ils puisent des valeurs et des objets d’identification : la télévision, internet, les amis, les sectes plus ou moins sérieuses,…vulgarisent « leurs valeurs », et nous n’avons pratiquement pas de contrôle sur ces lieux « d’éducation » plus ou moins informelle…
Politisation du système éducatif
Les intérêts politiques aussi ont pris beaucoup d’importance aujourd’hui. Ils rendent difficile la confection d’un message commun en direction de nos jeunes en général, et de nos élèves en particulier. Au point qu’on ne s’entend même plus sur les objets d’identification. La politique s’est infiltrée partout, y compris dans les écoles, où se manifestent de plus en plus de comportements d’intolérance, de solidarités négatives, de protections de coupables de graves délits, comme le viol d’élèves, sur base d’appartenances politiques.
Des phénomènes de violences contre les enseignants méritent aussi d’être relevés. Tout le monde a encore en mémoire le cas de Gihungwe, en commune Gihanga, au cours de l’année scolaire 2008-2009, où des enseignantes ont été frappées et violées par des parents et des élèves, sur fond d’intolérance politique et régionaliste. Des agressions contre des enseignants ont aussi eu lieu à Muyinga, à Ruyigi, à Karusi, à Bururi…
De manière générale, nous avons un système d’enseignement hyper sélectif, qui élimine beaucoup d’élèves avant qu’ils n’aient pu acquérir des compétences à même de leur servir dans la vie. Nous avions au primaire un taux d’achèvement de 46% en 2009-2010, et 19% à la fin du 1er cycle du secondaire. A l’Université du Burundi, ce taux est en moyenne de 30%1. Par ailleurs, il existe peu d’ouverture en dehors du parcours classique : primaire – humanité – université. Le parc de l’enseignement professionnel et technique est de 6%. Ceci pousse les parents et les élèves à vouloir pousser le plus loin possible les études, par tous les moyens, afin de réaliser ce parcours. Dans l’esprit des parents et des élèves, en dehors de ce parcours, les chances de devenir quelqu’un sont minces.
L’autre élément du contexte lié à l’organisation scolaire est la manière dont les enseignants sont formés. Dans tous les cas, ils ne sont pas formés pour servir de moteur et de modèle pour leurs élèves. Ils apprennent des contenus avec des méthodes d’enseignement archaïques. En situation de classe, ils sont confrontés à des effectifs trop importants qu’ils n’ont pas appris à gérer et à contrôler, ils n’en ont d’ailleurs pas les moyens…
Au secondaire, voire même au primaire, il arrive que des enseignants ne soient pas capables d’enseigner certains chapitres, et les sautent tout simplement, avec les conséquences que l’on sait sur les résultats aux examens nationaux, ou alors recourent à des prises de notes sans explications (ibinjana). Certains enseignants utilisent leurs propres notes prises pendant leurs études, sans se soucier du programme en vigueur…L’argument le plus souvent avancé est qu’ils n’ont pas de manuels…
Il y a lieu de craindre une aggravation de ces situations au regard des constats relevés par les conseillers des Bureaux Pédagogiques ainsi que les inspecteurs: « Le leadership au niveau des inspections communales et surtout au niveau des directions scolaires tant au primaire qu’au secondaire commence à s’effriter sérieusement. L’autorité n’est plus respectée, les manifestations d’indiscipline commencent à se multiplier, les manquements en matière de déontologie deviennent de plus en plus nombreux, le phénomène de régionalisme s’exprime au grand jour. Ces mêmes responsables incriminent le fait de ne pas tenir en compte l’expérience et les compétences pour la nomination des responsables scolaires, et qu’à chaque changement de régime, tout le staff remet le tablier alors que ces postes sont purement techniques.»
Les méthodes d’enseignement et d’évaluation
Les méthodes d’enseignement utilisées dans notre système favorisent le cumul des connaissances théoriques, souvent apprises par cœur. Nous ne cultivons pas chez nos élèves la curiosité, le plaisir d’apprendre, l’autonomie, ni les compétences, les savoir-faire et les savoir-être. Si nos évaluations consistent à demander aux élèves de reproduire par cœur le contenu de notes qu’ils n’ont probablement pas compris, à poser des questions pièges, bref, si nous pratiquons la pédagogie de l’échec, les élèves trouvent la parade dans la tricherie. En effet, c’est tentant d’écrire les notes sur la chemise ou sur les cuisses, si on éprouve d’énormes difficultés à tout mémoriser.
Tout le monde sait qu’on ne peut pas tricher avec une compétence : vous l’avez ou vous ne l’avez pas. Si vous êtes devant une classe entrain d’enseigner, il est très facile de constater que vous êtes un très bon ou un très mauvais enseignant.
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Bonjour à tous,
Peu importe les commentaires des uns et des autres , tellement les enjeux, la compétitivité sur le plan international sont de taille. Le monde étant devenu un village, nous devons mieux organiser notre système éducatif si nous voulons tirer profit de l’intégration régionale à laquelle nous aspirons tant.
Mettre à contribution les nouvelles technologies, y compris la formation à distance pour les fonctionnaires semble être l’un des outils pour relever les différents défis.
Bonne journée.
Cher Prof, je trouve pertinente votre analyse, mais une chose est la connaissance des défis à relever, une autre est la volonté de prioriser le bien commun par rapport aux intérêts personnels, pourquoi pas même les intérêts syndicaux qui, bien de fois, sont une lutte pour des droits (ce qui est louable) en mettant de côté ou en oubliant ses devoirs. Y a-t-il des rencontres documentées où nos syndicalistes se sont penchés sur de telles analyses avec leurs membres, sinon les éternelles luttes pour les salaires et avantages à arracher aux gouvernements, nos seulements les nôtres, qui n’hésitent pas à les voir non comme partenaires, mais opposants, ou mieux, gênants? Que lit-on dans leurs publications si jamais il y en a?
J’espère que l’article a été envoyé aux deux chambres du Parlement, aux Ministres ayant l’éducation dans leurs attributions et à Monsieur le Président de la République pour ses conseillers l’analysent et prennent des mesures qui s’imposent.
Ubwo uwo NDAYISABA si musaza wa Maman RUKOKO (2è av. 28, CIB.) ga basha? Nizere ko ufise umutima mwiza nka mushikawe que j’espère être assise à l’ à Droite du Père!
Mon professeur eclaircissez ceci: Quelle valeur l’education burundaise(Primaire, secondaire et universitaire) portait depuis l independance jusqu en 2005??? Exemple de la qualite de production: Bikomagu, et autres dans d ‘autres secteurs que je me fraine de mentionner????
Ngo Bikomagu dans cette histoire? Wewe ukwiye gukomanga ubwato bwanyamanza bwakomeretse.
Tureke kuvangavanga basha!
Anonymous fait ses rêves. Soit il dormait , soit il n’a rien compris de l’article. Et c’est pas un crime . D’ailleurs on a plein de gens qui dorment quand les autres sont déjà réveillés.
Ce que vous appelez Formation au Burundi relève plus du formalisme que d’autre chose.
Le monde social aura toujours besoins de bêtes de somme pour maintenir son mode de vie, privilèges,et……certains n’hésitent pas de parler d’équilibre social. Mais ce qui est reproché à l’enseignement peut aussi l’être à ces analystes. Comment avez vous cédé le terrain de vos compétences respectives aux incompétents?.
Bravo Mr le Professeur.
Tu pourrais relever le défis si on te nommait Ministre de l’Éducation et te laissait travailler.
L’Éducation a été longtemps politisée ce qui a fait des conséquences néfastes que vous êtes entrain de voir.
Félicitations à Iwacu.
Il a été Ministre de l’Education Nationale, je ne sais pas réelement, si ce ministère était ainsi dénomé. En plus, uwo mzee nta kabi kiwe yatwigishije neza mur Kaminuza y’Uburundi mur Faculté ya Psychologie et des Sciences de l’Education/Département des Sciences de l’Education. Personnellement, il a été mon président du Jury pour mon mémoire. Que Dieu le benisse. Yavuga murundi ntavura kandi vyose arazi ingorane n’umuti, ariko ntivyoroshe kuko on ne change pas un systeme dans un seul jour. Bravo Mr Le Professeur, Docteur Joseph NDAYISABA
@Prof. Joseph NDAYISABA
C0mmentaire. Voilà le genre d’articles qu’on aimerait lire souvent, en tous les cas plus intéressant que ces fréquentes joutes oratoires (d’ailleurs de préférence anonymes) agressives et improductives ,qui se manifestent sur le site « IWACU » alors que celui-ci est un excellent lieu d’échanges d’opinions.
Je ne connais pas personnelle Mr. NDAYISABA, je ne suis même pas dans le secteur de l’enseignement, mais je trouve son analyse de notre système d’éducation et les nombreux défis qu’il pose est très pertinente et opportune. Qui nierait l’objectivité l’honnêteté de son analyse, en tant qu’expert dans le secteur? et qu’elle transcende tous les clivages et les considérations partisanes de toute nature, trop faciles, auxquels on nous a malheureusement habitués. Une telle analyse rend service à tout le monde sans discrimination, dirigeants et non dirigeants. Au surplus (à mon avis) c’est une analyse digne d’un programme gouvernemental, dont tout « haut responsable » de ce secteur (en particulier) devrait s’inspirer améliorer la situation pour le meilleur de notre pays. Merci Prof. NDAYISABA!
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Pour le Professeur Joseph Ndayisaba, « il faut former autrement les cadres burundais »
17-08-2013 Publié par La Rédaction dans A la Une Imprimer cette page
Le Professeur Ndayisaba Joseph, pédagogue, enseigne notamment à l’Université du Burundi ©Iwacu
Le Professeur Ndayisaba Joseph, pédagogue, enseigne notamment à l’Université du Burundi ©Iwacu
« Si tu veux être obéi, donne des ordres raisonnables» (Proverbe arabe)
Tout ce qui vient d’être énuméré constitue peut-être une des raisons majeures des faibles capacités à l’auto-emploi pour nos jeunes sortant des universités. Ils évoquent souvent des difficultés d’accès au capital. Il est fort possible que ce soit aussi au niveau de la culture de l’autonomie, de l’esprit d’initiative, du goût de l’effort et du risque que se pose le problème.
Il est opportun de se poser des questions sur l’efficacité des notes en éducation comme « outil d’éducation et de formation». Quand un élève commet une faute, on lui enlève des points en éducation. Il apparaît que les encadreurs dépourvus d’autorité sur les élèves (souvent ils sont du même âge), tiennent tranquilles les élèves par la menace de leur enlever des points en éducation.
Le gros inconvénient de cette pratique est que l’élève qui perd des points est celui qui se fait attraper, pas le tordu, l’expert dans le camouflage… Cependant, les fraudes aux évaluations sont réprimées par le Décret-loi No 1/016 du 3 Février 1993 érigeant en infractions les fraudes aux examens. Dans les faits, ce texte est souvent ignoré dans les procédures de sanction des fraudes.
Permettez de compléter mon commentaire en relevant seulement quelques points importants (parmi d’autres) de votre analyse:
« Les conséquences possibles »:
(citation) « … Autre déviance du système éducatif, le cas des grossesses en milieu scolaire. Cette situation s’inscrit dans un contexte de pratiques généralisées de rapports sexuels avec des mineurs, sur l’ensemble du pays”.
Les statistiques que vous livrez sont effrayantes! Qu’on ne s’étonne pas donc de la menace d’une surpopulation quasi-certaine avec de telles pratiques généralisées de cette allure, avec son corollaire: la pauvreté aggravée de la population ! Il ne suffit pas pour le gouvernement de « sensibiliser » sur la limitation des naissances grâce aux seules tournées dans le fin fond du pays, il faut surtout un plan d’urgence cohérent. Avant tout, il faut sévir de manière exemplaire par la répression et les poursuites judiciaires à l’encontre de ces « crimes » commis par quelques enseignants et responsables d’établissement (pas tous heureusement) dont les principales victimes sont évidemment leurs propres élèves et réformer sérieusement. Au-delà de victimes directes de ces actes de viol, les dommages « collatéraux » atteignent aussi particulièrement leurs familles et la société en général.
(citation) “… L’autre conséquence est que dans l’esprit des jeunes élèves, les frontières de l’interdit sont reculées : comment va se comporter plus tard un élève habitué à acheter la réussite scolaire si on lui confie des responsabilités ? Probablement qu’il va aussi les vendre ! Quel est l’état d’esprit d’une élève du primaire qui couche avec son enseignant ou son directeur d’école, quelle image de « l’autorité » va-t-il développer? Pas seulement elle par ailleurs, mais aussi ses camarades qui savent ce qui se passe ?”
Questions tout- à – fait justes car elles soulèvent des problèmes absolument inquiétants. Quel est l’avenir d’une telle jeunesse en formation? Ils auront été privés de vrais modèles en la personne de leurs parents & éducateurs, quelles valeurs voulez-vous qu’ils suivent et transmettent eux-mêmes à l’avenir?
« Les vois de solutions »
L’analyse éloquente de Mr. NDAYISABA est à mon avis un excellent outil de travail. En outre, ce qui est rare, gratuit pour qui veut s’en servir!