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Poésie : il y a douze ans…

05/05/2013 Commentaires fermés sur Poésie : il y a douze ans…

{La voix des grands lacs}, premier recueil poétique d’Eric Shima, retrace un dédale d’émotions et d’images violentes. Iwacu s’y est risqué.

<doc4203|left>Ne commencez pas par le début. Allez page 41. Un vers semble, seul, perdu dans la blancheur de la page: {Je suis une racine adventive sur l’arbre du désert mon pays}. Émoi. Pour comprendre la phrase, il faut remonter entre 1998 et 2000, quand Eric Shima rédige le recueil: « Je venais de perdre ma mère vivant en Tanzanie; tous mes amis, ma famille étaient éparpillée à l’étranger. Je me sentais comme un élément perdu dans le désert. »

{La voix des grands lacs est l’écho}, dix ans après, de cette double peine de décès et de solitude. Images violentes, faites de vers {vomissures et crachats.} Nulle trace de joie en ce recueil écrit dans ces Grands Lacs, pour lesquels coule{ le sang qui rime avec le mouvement des vagues.}

Il y a plutôt une {‘Lettre à [sa] mère}’, triste poème qui se termine par {une ultime succion}. On y retrouve,{ ‘Sous les marteaux’}, le forgeron de Buyenzi qui bat, bat, bat le fer qui a fui Jabe, puis {se repose/ Hoquette de haine contre les camionneurs faux payeurs}. Dans le {‘Code de la route’}, on apprend, soulagé, que {l’étang de sang dans lequel se désaltéraient les corbeaux a tari. }

Et si Eric Shima adopte un ton posé, c’est pour bercer son lecteur avec un éloge funèbre {A Révérende Mère Thérèse de Calcutta}. D’une impolitesse que lui permet seule sa solitude, Eric Shima pousse un {«Hourra» sur les tombes!} Ce bien-aimé du destin, haï par les misères des Grands Lacs va jusqu’à se moquer de l’histoire, la sienne : dans {‘Merci’}, l’auteur rappelle que {Dans une très belle habitation/ La salle dans laquelle j’ai reçu une pluie d’injures a le privilège d’abriter mes selles.}

Souffrance, jeu, pudeur

Parce qu’écrits avec ‘je’, les poèmes de cet auteur qui déclare « aimer l’harmonie » renvoient au vécu de plusieurs d’entre nous. À des univers colonisés par la guerre, la perte des nôtres. Il y a de la douleur, et ce qui est soulageant, on l’évacue avec les mots de Shima. La douleur peut même prendre couleur d’une anophèle qui vient de piquer un inconnu lors d’une{ ‘Visite à [sa] cousine’}. Et comme souffrir est le propre de l’humain, Eric Shima évoque autant le Tigre et l’Euphrate (au Moyen Orient) que le Nyiragongo (à l’Est du Congo); des lieux de morts et de pleurs. Même Gabriel Okundji, le poète congolais a été ému par ces {Fourmis cannibales}, qui se sont repus des corps des nôtres et qui nous attendent…

Sang, selles, fesses, sueurs, boues, ce monde-là est par endroits bien répugnant. Le poète, amoureux d’Aimé Césaire semble d’autant plus jouissif à nous le décrire qu’il le fait en français, langue d’autrui et sienne à la fois. N’a-t-il pas peur? «La poésie se définit par principe comme un jeu », rappelle Eric Shima. Puis souligne que « cette transposition de mon moi vers une autre langue est une autre dimension du jeu.» On sent d’ailleurs ce plaisir à triturer les mots, qui n’auraient peut-être pas subi le même sort en kirundi, tant notre langue et l’auteur avec, nous paraissent pudiques. Oui, ces mots d’Eric Shima coulent toujours dans notre Malagarazi de vie. Et ce qui est dérangeant, c’est qu’ils parlent toujours de ce-qui-est. Depuis leur éclosion …
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Trois questions à Eric Shima : le poète, qui affirme «vivre sa poésie au Burundi», nous parle de fourmis, de Dieu et de lui-même.

{Vous nous parlez de fourmis cannibales. Et si c’étaient des hommes que vous évoquiez?}

Uhmmm… A l’époque où je rédigeais mon manuscrit, les hommes étaient devenus comme des cannibales. C’était une époque de multiplication de boucs-émissaires, d’assassinats: il était facile d’apprendre un meurtre, d’horribles mutilations, des viols… Et les médias, pour dire trop de vérité, les confondaient même! Comme poète, j’étais tellement plongé dans ces maux commis que j’en arrivais à me demander: «Est-ce que je n’ai pas coupé de jambe à un innocent?» Je me retrouvais au nombre des fourmis cannibales…

{Dans ton recueil, tu parles de Dieu, mais pas de morale. D’ailleurs, tu dis «En temps de songe, j’ai vu Dieu, il avait bouché les oreilles!» …}

Avec le contexte dans lequel j’ai écris ce poème, j’avais déjà ma foi. Je crois en Dieu. Mais pour satisfaire l’ambition esthétique de mes poèmes, au regard de tous les malheurs que nous connaissions, je me posais la question: «Dieu serait-il témoin de ce que nous vivons et muet dans les cieux?»

{Vous disiez, il y a deux ans, que vous écrivez librement ce qui jaillit de vous. Est-ce qu’avec l’édition de vos poèmes, vous êtes-vous astreints à une ‘thématisation’ de votre poésie ? }

La tendance est à cela. Mon éditeur semblait mal à l’aise car il n’y avait pas de thème qui coule de façon régulière de mes poèmes. Je me suis expliqué à ma façon, mais comme il y a cette promesse d’édition au bout, je me suis soumis à certaines règles, qui me semblent trop dures pour une écriture esthétique. Mais ce n’est pas mon genre: j’aimerais écrire juste les poèmes comme ils viennent, et trouver l’unicité du thème en moi-même qui écrit.

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