17 ans après l’instauration de la gratuité des soins de santé pour les enfants de moins de 5 ans et les femmes qui accouchent, un héritage de feu président Pierre Nkurunziza, les bénéficiaires et les professionnels de santé dans différents hôpitaux et dispensaires à Kayanza et Ngozi, voient beaucoup plus d’avantages que de défis.
Il est 15h sur la colline Kagoma de la commune de Kayanza, au bord de la RN1, des femmes s’affairent, elles sont en train de vendre des régimes de banane, des sacs remplis de la patate sont également proposés aux passagers qui s’arrêtent pour quelques approvisionnements.
Certaines femmes portent des bébés sur leur dos, d’autres confient les avoir laissés à la maison. Interrogées sur l’exécution de la politique des soins de santé pour les enfants de moins de 5 ans et les femmes qui accouchent, certaines ne tarissent pas d’éloges pour cette mesure et son initiateur. Cependant certaines femmes n’hésitent pas à émettre quelques critiques. « Moi, j’ai mis au monde des jumeaux, et je n’ai pas payé les soins de santé. Tout est parfait pour moi », a lancé S.A une des femmes rencontrées à Kagoma.
Elle indique qu’elle n’a pas grand-chose à dire sur la politique de gratuité des soins. « A notre centre de santé, l’accueil est impeccable, les infirmiers examinent votre enfant et te prescrivent des médicaments ».
Elle confie que les services restent bons même pour les patients qui arrivent pendant la nuit. Cette femme se fait soigner et fait soigner leurs enfants au centre de santé dénommé « Siloé » et à l’hôpital de Kayanza.
Néanmoins, elle reconnaît que quelques fois l’infirmier ou le médecin peut prescrire des médicaments à acheter à la pharmacie. Une exception que notre source semble comprendre. « Il s’agit souvent des médicaments pour des maladies graves, ils ne peuvent pas par exemple te sommer d’acheter un médicament pour la malaria ».
Cette mère de trois enfants salue plutôt la politique de la gratuité des soins pour les enfants de moins de 5 ans et les femmes qui accouchent. « Imaginez-vous, après l’accouchement, ils te donnent un lit, tu te reposes, et tu rentres avec des médicaments à prendre à la maison sans dépenser un seul rond ! »
G.N., sa consœur, n’est pas tendre avec cette politique, elle la critique. Selon elle, les structures de santé mettent en avant les documents exigés au lieu de soigner d’abord le malade. « Sans extrait d’acte de naissance d’un enfant, tu ne peux pas le faire soigner », raconte cette mère qui affirme avoir perdu son enfant à cause de l’intervention tardive d’une ambulance qui devrait conduire elle et son enfant à l’hôpital de Kayanza.
Elle regrette que le personnel de santé prenne beaucoup de temps à faire des identifications des malades. « Et ils travaillent au ralenti. Tu verras rarement un infirmier ou une infirmière rapide au travail. Certains restent leurs yeux braqués leurs smartphones comme si toute leur vie en dépend ».
Pour elle, les identifications et enregistrement des patients prennent beaucoup de temps alors que pendant ce temps leur maladie est en train de s’aggraver.
Et une autre de renchérir : « Les médicaments chers ne sont pas donnés gratuitement. » Selon elle, souvent un médicament prescrit dont le prix dépasse une somme de 1500 BIF, doit être acheté par le bénéficiaire des soins à la pharmacie.
« Les infirmiers vous disent qu’il faut se procurer tel médicament à ses propres frais. Il arrive que des enfants présentant une forte fièvre se partagent un même flacon. Une cuillère à soupe chacun pour que la température baisse et on vous dit de rentrer. Il arrive que vous constatiez que pour d’autres enfants, tout un flacon ou toute une boîte remplie de comprimés est donné. Certains patients sont favorisés », déplore cette maman.
M.C, une autre jeune maman rencontrée à l’hôpital de Buye en province de Ngozi, indique être venue pour faire soigner son enfant de moins de 5 ans. « Il a été diagnostiqué du paludisme, son état s’améliore », a confié notre source.
Elle se réjouit qu’elle n’ait rien payé durant toute la période d’hospitalisation de ses enfants. « Tu montres ta carte d’identité, la carte d’assurance maladie et l’extrait d’acte de naissance de l’enfant et c’est tout. » D’après elle, elle a même accouché dans cet hôpital et elle n’a jamais payé les soins de santé administrés.
« C’est une bonne politique qu’il faut perpétuer », souhaite-t-elle, des témoignages faits par des mamans de la colline Gashikanwa sur la colline Cihonda de la commune Gashikanwa. J.K, rencontrée non loin du centre de santé Gatabo, raconte qu’elle a 4 enfants qu’elle a accouchés dans ledit centre. Le dernier a 4 mois. « J’ai accouché par voie normale, à chaque fois je n’ai rien payé. »
Selon lui, à tous ses accouchements, les services dans ce centre de santé ont été très parfaits. « Les infirmiers te demandent même si tu n’as pas de complications, sinon après 24 heures, il faut regagner sa maison ».
La jeune maman, indique qu’elle a déjà fait soigner son enfant de 4 mois deux fois. Elle n’a rien payé. I.K., son amie enceinte d’un troisième enfant, juge que la politique de gratuité des soins est venue sauver les familles des dépenses dues aux soins de santé. « Nos mamans nous disent qu’elles payaient des sommes énormes quand elles nous ont donné la vie. C’était souvent après avoir vendu du bétail. » Elle confie que sa belle-sœur qui donnait naissance par césarienne avant la politique a vendu des terres pour payer les soins.
Même son de cloche pour les responsables sanitaires
« Les enfants de moins de 5 ans et les femmes qui accouchent sont soignés gratuitement comme le chef de l’Etat l’a décrété en 2006 », commente Désiré Niyonsaba, titulaire adjoint du centre de santé de Ruhororo en province de Ngozi.
Il reconnaît que certains médicaments peuvent manquer. « Mais, ce n’est pas un handicap majeur », tranquillise ce professionnel de la santé. Il souligne que quelques fois les commandes peuvent ne pas être respectées. Et si un patient, a besoin d’un médicament qui ne se trouve pas sur le centre, il dit qu’il est référé à l’hôpital.
Notre source se réjouit de plus que les bénéficiaires de la gratuité des soins soient sensibilisés sur les documents exigés pour se faire soigner. « Ils sont habitués à se munir des extraits d’acte de naissance des enfants et leurs cartes d’identité ».
Selon lui, aucun handicap pour la mise en application de cette politique car il n’y a plus même des parents qui viennent faire soigner leurs enfants sans extrait d’acte de naissance. « Actuellement à Ruhororo, tous les enfants qui naissent sont inscrits à l’Etat civil. Même les Batwa qui traînaient les pieds sont pour le moment sensibilisés ».
Désiré Niyonsaba affirme même que les mères célibataires qui accouchent bénéficient les soins gratuits. « Seule la carte d’identité leur est exigée », Fait savoir ce titulaire adjoint du centre de santé de Ruhororo.
« Nous n’avons jamais passé à côté du décret présidentiel et son ordonnance. On a eu aucun problème », rassure, Dr Jean Claude Ngendakumana, médecin directeur de l’hôpital de Buye en province de Ngozi.
Selon le circuit des malades dans le système de santé, explique-t-il, les bénéficiaires de la politique de la gratuité des soins de santé quittent la communauté pour aller au centre de santé.
Si par exemple un enfant de moins de 5 ans a des critères de gravité que le centre de santé ne peut pas prendre en charge, il est référé ailleurs. « Une fois arrivé ici, il est accueilli, soigné et hospitalisé. On lui donne des médicaments et ses parents ne paient rien », fait savoir ce médecin directeur.
La même procédure est effectuée pour les femmes qui accouchent. « Après l’accouchement et tous les soins, elles rentrent sans rien payer », poursuit-il. « Ici la gratuité est mise en application à 100% ».
Des menaces ?
Le médecin Directeur de l’hôpital de Buye note néanmoins des menaces à cette politique de la gratuité des soins en place au Burundi depuis 2006. Pour lui, la menace est liée notamment aux fonctionnaires qui veulent bénéficier de la gratuité des soins alors qu’ils sont affiliés à la Mutuelle de la Fonction publique ou d’autres dont les soins sont assurés par des mutualités.
Or, considère-t-il, la gratuité concerne le secteur informel et des personnes les plus vulnérables. Pour lui, la mutualité doit payer les 80% exigés à son affilié et laisse les 20% qui restent à la gratuité. Cela est valable pour les enfants de moins de 5 ans et les femmes de nationalité burundaise qui accouchent.
Dr Jean Claude estime que le degré de vulnérabilité est une menace pour la gratuité des soins. « Le décret et l’ordonnance n’ont pas catégorisé les bénéficiaires depuis le début ».
Il s’étonne pour le fait que même un milliardaire peut faire soigner gratuitement son enfant s’il a une carte d’assurance maladie CAM alors que celle-ci est faite particulièrement pour des groupes vulnérables. « C’est une autre forme de gratuité ».
Ce médecin directeur de l’hôpital de Buye se dit pour un système de santé où il y a une certaine catégorisation des bénéficiaires. Dans ces cas, analyse -t-il, certains payeraient par exemple 2 500 BIF, d’autres, 3 000 BIF, d’autres 100 000 BIF. « En procédant de cette manière, les plus riches paient pour les plus pauvres. Contrairement au système actuel qui met tout le monde dans un même paquet ».
Le coût total de la politique de la gratuité des soins pour les enfants de moins de 5 ans et les femmes qui accouchent, s’élève à plus de 112 millions USD depuis 2017.
« Pas de défis alarmants »
D’après Dr Polycarpe Ndayikeza, directeur général de la Planification et porte-parole au ministère de la Santé publique et de la Lutte contre le Sida, il n’y a pas de défis alarmants dans l’exécution de la politique de gratuité des soins pour les enfants de moins de 5 ans et les femmes qui accouchent.
Quel est l’état actuel de la politique de la gratuité des soins de santé pour les enfants de moins de 5 ans et les femmes qui accouchent ?
Le gouvernement du Burundi à travers le ministère de la Santé et de la Lutte contre le Sida continue à offrir des soins et services à cette catégorie qui est concernée par cette gratuité.
Le paiement de la gratuité et de la performance des prestataires des services de santé continue. La population concernée continue à bénéficier les soins et services gratuitement.
Pas de défis à relever ?
Les défis ne manquent pas. Mais ce ne sont pas vraiment des défis alarmants parce que concernant le décaissement, il y a des commissions provinciales chargées de vérifier et de valider les factures.
C’est pourquoi il y a production régulière des factures avec des validations qui se font chaque mois et les factures sont transmises au niveau de la cellule qui gère ce financement au ministère.
Mais, le problème concernant l’organisation et le fonctionnement, il n’y en a pas vraiment. Il y a plutôt le problème concernant les ressources humaines. Cette question concernant les ressources humaines est là, nous l’acceptons. Les ressources humaines en qualité et en quantité ne sont pas suffisantes comme dans d’autres ministères.
Des solutions ?
Il y a des facilités accordées aux formations sanitaires. Les responsables, les autorités sanitaires sont autorisées à adresser une requête au ministère pour faire un recrutement local.
Et il n’y a pas vraiment de demande qui est rejetée. Mais, les demandes doivent être objectives. Elles sont issues des réunions des équipes et cadres du personnel.
C’est le district sanitaire d’ailleurs qui écrit au ministère. Et le ministère accorde l’autorisation pour diminuer le problème d’insuffisance des ressources humaines.
Mais, nous comprenons le problème. Il ne concerne pas uniquement notre ministère, nous essayons de trouver des solutions locales. Ce qui nous préoccupe beaucoup, c’est que l’offre des soins de santé soit permanente et de qualité et nous faisons notre mieux. Je pense que les témoignages de la population qui nous consulte sont largement satisfaisants.
Pourtant, la population se lamente du manque de médicaments
En fait, on ne peut pas dire que l’on va offrir des soins de santé sans médicaments. Les médicaments sont impératifs pour pouvoir soigner les gens.
Et le circuit de réquisition des médicaments est connu et clair. C’est le district sanitaire qui s’approvisionne au niveau de la Camebu et les formations sanitaires s’approvisionnent au niveau du district.
S’il y a là non satisfaction de leur commande, ils obtiennent l’autorisation d’aller s’approvisionner dans des pharmacies de gros privées. Mais, généralement quand il n’y a pas de rupture nationale d’un tel médicament se trouvant sur la liste des médicaments essentiels, il y en a aussi dans les formations sanitaires.
Mais, un médecin ou un infirmier, qui consulte un enfant de moins de 5 ans ou une femme enceinte, dans ses hypothèses ou les diagnostiques, il peut écrire sur l’ordonnance médicale, un médicament qui ne se trouve pas sur la liste des médicaments essentiels, s’il le juge très efficace pour la guérison de cette maladie.
Quid de paiement des formations sanitaires par le gouvernement ?
La régularité des payements est là. Il n’y a pas vraiment de lamentations de la part des responsables des formations sanitaires. C’est une politique qui a réussi.
Les paiements se font régulièrement parce que les comités provinciaux de vérification et de validation ont des frais de fonctionnement et font leurs activités régulièrement. Ils dressent les factures de façon régulière et une fois que les factures sont là, les opérations pour le paiement suivent et se font régulièrement.
Aucune lamentation vraiment ?
Oui, les lamentations de retard de paiement ont été entendues pour la politique de la Carte d’Assurance Maladie, CAM. C’est là où il y a eu des retards.
Mais, des retards indépendants de la volonté du gouvernement parce que le gouvernement est responsable de sa population. Mais, nous saluons l’effort fait très récemment. Il y a eu un paiement pour les CAM de plus de 70 milliards de francs burundais ce qui a permis aux formations sanitaires de recruter d’autres ressources humaines additionnelles, améliorer les infrastructures, améliorer les conditions d’hébergement et d’hospitalisation des patients.
Une note a d’ailleurs suivi le décaissement et disait que les formations sanitaires devraient se préparer pour avoir des stocks de médicaments pouvant couvrir 6 mois.
Propos recueillis par Emery Kwizera