ICG, International Crisis Group, vient de publier un long rapport intitulé « Premier pas vers la réforme au Burundi : mettre un terme au système de contributions forcées ». Iwacu a lu le rapport et s’est brièvement entretenu avec Nelleke van de Walle chargée de l’Afrique centrale à ICG.
Qu’est-ce que votre investigation sur « les contributions forcées » vous a permis de découvrir ?
En juillet 2017, le gouvernement burundais a imposé des contributions prétendument volontaires à ses citoyens pour financer les élections de mai 2020. Crisis Group a constaté que le parti au pouvoir, avec l’assistance de la milice Imbonerakure, a collecté des contributions en faisant usage de la force.
Malgré le fait que le gouvernement ait officiellement mis un terme à ce régime de contribution au cours de l’été 2019, nous avons découvert que les collectes persistent, même si elles sont effectuées de manière moins systématique et à une échelle moins large.
En outre, avec la nomination d’Evariste Ndayishimiye comme candidat du CNDD-FDD pour l’élection présidentielle, la pratique semble avoir pris un nouvel élan. M. Ndayishimiye demande désormais à la population de contribuer en espèces et en nature lors de ses rassemblements politiques.
En juillet 2019, lorsque le gouvernement a officiellement mis fin au système de contributions, il a précisé que plus de 90 pour cent du budget électoral avait été couvert. Cependant, le président Pierre Nkurunziza n’a jamais précisé le montant nécessaire pour financer les élections de 2020 et les autorités n’ont jamais indiqué comment ces fonds seraient alloués. Des plus, des Burundais auxquels nous avons parlé ont signalé des détournements des fonds, et les responsables accusés de ces abus n’ont pas été poursuivis.
Les dirigeants du Burundi pourraient tenter de rétablir les relations avec les partenaires extérieurs en mettant réellement fin aux pratiques de contributions forcées, en faisant la lumière sur l’utilisation de ces fonds et en enquêtant sur les principaux responsables des détournements de l’argent destiné à la préparation des élections et, le cas échéant, en les traduisant en justice. Des réformes plus globales seront indispensables, mais la suppression de ces contributions et des mesures connexes pourrait renforcer la confiance et permettre d’avancer dans cette direction.
Selon votre investigation quelles sont les conséquences économiques de ces contributions sur la population?
Le pays connaît une période d’instabilité politique et économique depuis l’annonce de la candidature de Pierre Nkurunziza à un troisième mandat en 2015. Conjugué aux conditions économiques précaires et à une répression politique plus large, ce mécanisme de financement contribue à la paupérisation d’une population déjà en difficulté.
Un haut fonctionnaire du gouvernement burundais a déclaré à Crisis Group qu’il ne considérait pas du tout ces contributions comme imposée à la population. “Ils peuvent juste s’acheter une bière en moins”, nous a-t-il dit. Nous avons cependant constaté que les gens sont souvent sollicités plus d’une fois, doivent contribuer même s’ils ne le souhaitent pas, et se voient refuser l’accès à certains endroits et services (marchés, documents administratifs, etc.) s’ils ne sont pas en mesure de fournir un reçu attestant de leur contribution.
De plus en plus, en Afrique, les pays disent qu’assurer et assumer par exemple les coûts des élections est une démarche légitime, citoyenne, une volonté de prendre son destin en main et ne pas compter sur l’aide étrangère. Une question de souveraineté. Quelle est l’analyse de ICG sur cette question?
L’organisation d’élections sans devoir fortement compter sur l’aide étrangère, et de manière plus générale l’autosuffisance financière sont du point de vue de Crisis Group des objectifs parfaitement légitimes. Cependant, les autorités ne devraient pas chercher à l’atteindre aux dépens d’un peuple déjà appauvri, en prélevant de l’argent en dehors du régime fiscal officiel.
Propos recueillis par Antoine Kaburahe