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« Polisyé, komera ! », et autres astuces pour échapper aux roulages

05/05/2013 Commentaires fermés sur « Polisyé, komera ! », et autres astuces pour échapper aux roulages

Certes, on attend plus de sueurs (des contrôleurs face à l’étendue de la tache, et des conducteurs face aux amendes) sur les routes du Burundi avec le nouveau code de la route. Mais certaines pratiques risquent de compliquer les choses … Voici un voyage d’il y a un mois.

<doc6750|left>Dans le regard du policier qui nous arrête à Bugarama, il y a la ferme volonté d’appliquer la loi, coûte que coûte, même si [les adeptes de Zebiya pensent que dès le lendemain, c’est cuit pour l’être humain, de toutes les façons->http://iwacu-burundi.org/spip.php?article4398] !
Le ciel est bleu, la verdure crie la vie et l’hôtel à notre gauche a ouvert, finalement : "Il faut que j’y vienne avec ma demoiselle", lance, gaillardement, Sébastien[[<1>J’évoquerai mes compagnons de route sous pseudonyme …]] à l’extrême gauche du banc. L’homme, épais, est un commerçant de Kayanza, comme deux autres avec lesquels je fais route depuis Bujumbura.
Le taxi-man rouspète, donc : il est en règle, presque. Un passager devant, quatre derrière (au lieu de trois comme le veut la loi, le quatrième ayant été pêché à Bugarama même) et un coffre-arrière presque vide, à part ma petite valise et trois gros galons d’eau qu’il compte livrer à destination. La norme, quoi.
Aussi, ose-t-il appuyer timidement sur l’accélérateur … que le sifflet retentit une fois encore ! Deux, avec la force propre à ceux chargés d’appliquer l’ordre sur la voie publique. Rapidement, l’homme en uniforme s’avance vers le taxi et lance, sèchement : « Chauffeur, sors qu’on parle un peu ! »

Mes trois compagnons de voyage éclatent de rire, commentant la soudaine convocation : "Ils vont finir par fouiller les poches des conducteurs !" Ce que confirmera la tête de notre chauffeur de retour après trois minutes passées à parlementer avec les roulages[[<2>Surnom populaire donné aux agents de la Police Nationale du Burundi chargés de réguler la circulation routière]] derrière sa voiture : "Avec les fêtes de fin d’année, faut pas rire. La semaine passée, le Service de renseignement en a arrêté pourtant deux devant moi. Mais voilà d’autres qui recommencent …"
"Hier, alors que nous rentrions du travail, nous avons été arrêtés sur le pont Ntahangwa par des policiers. {Combien avez-vous?}, demandaient-ils aux conducteurs qui n’étaient pas en ordre. Sans peur, ouvertement", me rappelait, quelques heures auparavant un confrère d’Iwacu.

Dans le taxi, on en profite pour apprendre comment ça ce passe : les taxis sont pris en filature par des agents en civil, simples passagers qui s’arrangent pour tomber pile sur un poste des roulages en contrôle. Quand, à travers le pare-brise, ils constatent que le conducteur là-devant vient d’échanger la célèbre et furtive poignée de main à 2.000 Fbu/pièce avec le policier ripoux, il est temps de débarquer de la voiture en trombe pour ramener manu-militari l’agent corrompu. [69 policiers auraient ainsi été arrêtés en 2012.->http://iwacu-burundi.org/spip.php?article4498]

Sauf que certains roulages … ont peur des conducteurs !

Hélas, quelques dizaines de kilomètres plus loin, un autre contrôle policier nous arrête. Cette fois-ci, Sylvère, le commerçant assis devant se fend d’un bruyant {"Polisyé, Komera !"}[[<3>Prononcer [polisyé, komera] avec vigueur et assurance, sans tremblement aucun, comme écrit, en prenant soin de souffler le “p” du début avec force …]] ({Policier, sois fort!} – prononciation spéciale, s’il vous plaît, voir en fin de l’article. Merci.)

Le roulage se penche sur la vitre, nous scrute lentement, constate que celui qui vient de l’interpeller porte un chapeau rouge-sang qui lui mange le haut du visage, couvert à moitié par de vastes lunettes antisolaires, découvre à l’arrière deux bedonnants messieurs, dévisage le quatrième passager de Bugarama d’allure svelte et assurée, et moi-même derrière mes loupes de myope … bref !, comprend que le taxi qu’il vient d’arrêter véhicule une importante délégation qui s’en va vaquer aux affaires du pays (ne lui a-t-on pas lancé l’unique, le remarquable et l’inoubliable {Komera !} cndd-ddien en guise de salutation ?).
Par sagesse toute burundaise, l’homme en uniformes se relève lentement et indique d’une main respectueuse la chaussée à notre conducteur.

A peine a-t-on démarré que la joyeuse ambiance reprend dans la voiture. Cette fois-ci, mes compagnons de route se marrent des astuces qu’usent leurs compères pour se défaire des "encombrants" roulages : "Il te suffit d’avoir une solide bedaine, un visage {méchant} et l’assurance dans la voix : tu peux quasiment passer à tous les coups, sur cette route !"
Et Gratien, le dernier de mon trio d’amis, de rappeler M., ce commerçant fort connu à Kayanza qui "s’en est payé" récemment deux : "Les roulages l’avaient arrêté à cause de documents, je ne sais quelle carte manquait à sa voiture. Ils sont monté dans sa voiture pour ramener le conducteur fautif au siège de la Police Spéciale de Roulage, à Bujumbura …"

Tout cela est raconté alors que mes compatriotes ont presque des larmes aux yeux, de rire : "Juste avant d’entrer dans la capitale, M. s’est arrêté quelque part, a pris son portable, a fait semblant de composer un numéro, puis s’est lancé dans une conversation fictive : {Allô ! Je les ai dans la voiture, les policiers corrompus ! Que je les ramène directement à la Centrale ?}"
Le reste, comment les policiers ont quitté la voiture en commandos, comment l’auteur du coup s’en vante encore, tout cela fut noyé dans des éclats de rire presqu’entraînants … n’eut-été que cette situation se paie en vies humaines.

La corruption reste là …

Malgré tous les discours lénifiants sur le sujet, la corruption sur les routes reste présente. On charge n’importe comment, les passagers s’entassent au gré des interstices entre les chaises[[<4>A noter une amélioration à Bujumbura, où certains bus de transport en commun proposent un convoyeur assis]], les transporteurs privés se font des sous … et les policiers aussi. Les accidents ? "Bah ! [Ntaco->http://iwacu-burundi.org/spip.php?article3216], c’est la vie, de toutes les façons …"
Début août 2012, 8 personnes mourraient à Bukeye, déchiquetées par une bonbonne à gaz qu’on avait calée entre les jambes des passagers comme un vulgaire sac de manioc, rappelait récemment l’Aseraver[[<5>Association pour la sécurité routière et l’assistance aux victimes de la route]]. L’article 492 du nouveau code de la route interdisant le transport d’objets dangereux et à odeur gênante avec les personnes sera-t-il appliqué ?

Non, mais j’ai oublié de vous raconter la fin de mon voyage. À Kayanza, je débarque finalement de mon taxi et devinez : qui vois-je ? … Je ne sais pas ce qui m’a retenu d’hurler, pavlovien : {"Polisyé, rekura!"}[[<6>{Policier, lâche !}]]
Un anonyme policier tendait innocemment vers un vendeur d’arachides et d’oeufs un billet de 2000 Fbu.

|Derrière ce reportage qui pourrait prêter à sourire se profile la nécessité de revoir (ou de continuer à revoir) la place du policier sur la route au Burundi si l’on veut vraiment que le [Code de la route->http://www.iwacu-burundi.org/spip.php?article4630] soit respecté. Est-ce normal qu’un policier ait peur d’un conducteur, sous prétexte que celui-ci roule en jeep teintée ou qu’il a un peu de sous sur lui ? (d’ailleurs, en janvier 2012, [la police annonçait l’interdiction des voitures fumées->http://www.iwacu-burundi.org/spip.php?article1730], mesure non-suivie)
Si la population sur nos routes ne respecte pas un être humain, visible, palpable, communicatif, comment respecter une loi invisible, qu’on peut d’ailleurs contourner au nom de la légendaire entente à la burundaise ({kwumvikana}) ? |

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