Cela ne semble émouvoir personne, mais les corps de défense et de sécurité sont anticonstitutionnels. Ils n’ont pas de lois organiques alors que la Constitution l’exige en son article 248. Le malaise est perceptible au sein même des corps de défense et de sécurité, et de leurs partenaires.
Devinette : quel est le pays qui n’a pas Un chef de la police ? Cela n’existe pas, direz-vous. Tentez votre chance, au hasard… Le Burundi ? Bingo ! Eureka! Vous avez trouvé. Eh, oui, notre pays n’a pas Un chef de la police, mais Des chefs de la police. Et c’est là tout le problème, car il y a un viol terrible de la loi. En effet, la loi de 2004 donne des précisions sur l’unicité et la gestion de la police nationale en ses articles 1,6 ,3 et 15. Par ailleurs, cette loi n’est pas organique et aurait du être révisée depuis l’avènement de la nouvelle Constitution en 2005, mais nous y revenons plus bas.
Cette loi, donc, crée une Force Nationale de Sécurité dénommée «Police Nationale du Burundi», PNB en sigle. Elle souligne que la PNB est placée sous l’autorité du ministre ayant la sécurité publique dans ses attributions. La gestion quotidienne est assurée par Un (1) Directeur Général, assisté d’un (1) Directeur Général-adjoint.
Or, qu’avons-nous ? Une pléthore de directeur généraux de la police. En effet, le décret loi n°100/18 du 17 Février 2009, portant missions et organisation du ministère de la Sécurité Publique met en place, il faut le souligner, plusieurs directions générales parallèles à celle de la PNB *, composées et dirigées par des membres de la PNB, et c’est là le problème.
Ainsi, « les missions qui étaient assignées à la Direction Générale de la Police Nationale du Burundi ont été réparties entre les différentes structures nouvellement créées. Cela change complètement l’organigramme, et abouti à une violation de la constitution et de la loi de 2004.
Un électron libre appelé « SNR »
La Constitution stipule que le Sénat contrôle la représentativité ethnique et de genre, et l’équilibre dans les corps de défense et de sécurité, et approuve les nominations des chefs des corps de défense et de sécurité. C’est dans ce sens qu’il est créé des commissions parlementaires chargées de superviser le travail des corps de défense et de sécurité. La même Constitution proclame que les corps de défense et de sécurité sont subordonnés à l’autorité civile. Mais, en réalité, tel n’est pas le cas.
Le statut du SNR est intéressant.
Le Service National des Renseignements dépend directement de la Présidence ! Il ne peut donc être contrôlé. En cas de bavure imputable au SNR par exemple, le Président de la République ( qui contrôle la SNR) ne peut pas être convoqué au Parlement pour des explications. Voilà le tableau : La PNB n’a pas de véritable chef, le SNR dépend d’une autorité qui échappe au contrôle du Parlement.
Une police anticonstitutionnelle
La mise en exergue de ces incohérences n’est pas une lubie pour des juristes en mal de problèmes juridiques à résoudre. En effet ces incohérences ont été mis en évidence lors de l’atelier du 13 et 14 juillet dernier sur les « Mesures de transparence et de contrôle du secteur de la sécurité dans la Constitution du Burundi » qui a réuni des hauts cadres de la FDN , PNB, des élus des commissions défense et sécurité du Parlement, des experts constitutionnalistes et à laquelle à pu assister Iwacu. Ces incohérences touchent les fondements même d’un corps, la police, appelé à jouer un grand rôle, surtout dans un pays post-conflit. A l’heure où le Parlement doit réviser la loi de 2004 sur la PNB, nos concitoyens doivent être informés.
Que se passerait-il si un citoyen arrêté par la police décidait de contester la légalité de son arrestation devant un tribunal sérieux ? Cela peut mener donc très loin.
Par ailleurs, dans tous les pays du monde, il existe un chef pour chaque police. Or ici le Sénat a approuvé les chefs de la Police Nationale du Burundi (Le Directeur et son Adjoint) suivant l’article 187 point a) de la Constitution. Il est clair aujourd’hui qu’ils ne sont plus les chefs de la Police Nationale du Burundi, puisque de nombreux membres du personnel de la PNB ne sont pas sous leur autorité hiérarchique (dépendant d’autres Directeurs Généraux). L’approbation, de droit constitutionnel, donnée par le Sénat, a été violée.
Suivez bien le raisonnement, ce n’est pas très compliqué : si les chefs de ces directions générales font partie du personnel de la Police Nationale du Burundi, ils ont des uniformes et des pouvoirs de police qui leurs sont conférés par l’article 12 de la loi 01/06 du 2 mars 2006 sur le Statut du personnel de la police Nationale du Burundi. Mais ils sont en dehors de l’autorité hiérarchique du Chef de la Police Nationale du Burundi approuvé par le Sénat. Ce qui est un viol des prérogatives de contrôle du Sénat qui lui sont conféré par la Constitution, puisque le Chef et son Adjoint ne sont plus de facto les chefs de la Police Nationale du Burundi. On nage en plein brouillard.
Le fait que ces Directions Générales, parallèles à la DGPNB, soient dirigées et composées par des éléments en uniforme et dotés de pouvoirs de police pourrait être interprété comme ayant occasionné, de facto, la création d’autres corps de défense de sécurité. En violant ainsi l’article 245 de la Constitution qui stipule qu’il ne peut y avoir qu’une seule police nationale.
Des directions générales hors contrôle ?
Même si certaines explications qualifient ces autres directions générales d’organes d’appui, non opérationnels, leurs membres ont des pouvoirs de police et portent l’uniforme et l’arme, ce qui n’est pas rassurant. Surtout qu’ils échappent à tout contrôle constitutionnel.
Si donc la PNB ne peut être sous l’autorité d’un directeur général et de son adjoint, approuvés par le Sénat, comme le stipule la Constitution, qu’un autre corps civil regroupant toutes les autres directions générales soit créé au sein du MSP. L’ensemble du personnel de ce corps civil serait soumis à un nouveau statut de personnel civil calqué sur le modèle du statut du personnel de la PNB. En revanche, pour respecter la Constitution, le nouveau statut des personnels civils stipulerait explicitement l’interdiction du port d’uniforme, du port d’arme et l’absence de pouvoir de police. Ce qui formaliserait explicitement qu’ils ne sont pas membres du personnel de la Police Nationale du Burundi.
Un malaise grandissant chez les partenaires ?
Les corps de défense et de sécurité ont bénéficié du soutien de nombreux partenaires. Un malaise se fait déjà sentir au sein de la communauté internationale par rapport à la récente évolution du contexte sécuritaire. Ainsi, on peut facilement imaginer que l’absence de lois organiques régissant les trois corps de défense et de sécurité (l’armée, le service national de renseignements et la police) n’est pas de nature à le dissiper.
Leurs opinions publiques supporteront elles que leurs gouvernements soutiennent financièrement des corps jugés non constitutionnels ?
Par ailleurs, l’absence de loi organique pourrait être interprétée par plusieurs observateurs comme une stratégie visant à contourner certains principes constitutionnels directement issus de l’Accord d’Arusha.
On oublie que les lois organiques ne sont pas faites pour s’amuser ! Elles spécifient que l’organisation et le fonctionnement des corps de défense et de sécurité, soient conformes au principes et à l’esprit de l’Accord d’Arusha qui fonde la Constitution. Tout le monde sait que les dérives des corps de sécurité ont été au cœur de la grave crise qui a secoué notre Pays. Il y a donc urgence.
_____________________
Les directions générales au sein du Ministère de la Sécurité Publique :
– Direction Générale de la Police Nationale du Burundi
– Direction Générale de l’Administration et Gestion
– Direction Générale de la Coordination des Opérations
– Direction Générale de la Protection civile
– L’inspection Générale de la Sécurité Publique
– La commission Nationale Permanente de Désarmement et de la Lutte contre la Prolifération des Armes Légères et de Petit Calibre}