Le président de la République Pierre Nkurunziza a lancé, mercredi 22 août à Gitega, le Plan national de développement. L’Objectif du plan: faire du Burundi une puissance émergente à l’horizon 2027. Jean Prosper Niyoboke, professeur à l’Université du lac Tanganyika, met en doute le réalisme de ce plan.
Le plan national de développement (PND 2018-2027) prévoit un taux de croissance économique à deux chiffres à partir de 2022 et une croissance moyenne de 10,7% en 2027. Cette année, il est estimé à 4%. Selon le FMI, celui-ci est projeté à 0,1% et devra atteindre 0,4% l’année prochaine. Le même document prévoit un PIB par habitant de 810 USD à l’horizon 2027 contre 274 USD en 2017. Le coût total du plan est de plus de 20 000 milliards de BIF.
Serges Ngendakumana, coordinateur du bureau d’études stratégiques et de développement (BESD) à la présidence affirme que cette croissance serait tirée du dynamisme de tous les secteurs de l’économie qui afficheraient des croissances robustes au cours de la période de projection.
D’emblée, indique-t-il, le secteur primaire constitué essentiellement par l’agriculture (40% du PIB) devrait enregistrer un taux de croissance moyen de 8,3% contre 0,6% sur la période 2008-2017. La production vivrière croîtrait au rythme annuel de 6,4% en moyenne.
Les autorités comptent aussi investir dans la filière café 81,2 millions USD d’ici 2021 pour doubler sa production grâce à l’appui de la Banque mondiale. La production du café est actuellement en hausse. 19 774 tonnes ont été collectées pendant la campagne 2017-2018 sur des prévisions initiales de 15.000 tonnes. La valeur ajoutée de la filière café afficherait une augmentation moyenne de 32,5%.
La filière thé, quant à elle, devrait enregistrer un rythme de croissance moyenne de 17,0% du à l’extension des plantations dans les autres zones favorables.
Le plan prévoit une progression « vigoureuse » du secteur secondaire. Il devrait enregistrer une « forte croissance » de 19,2% en moyenne. Cette performance serait tirée des fortes croissances attendues dans la branche de l’électricité, gaz et eau, des industries et surtout l’extraction.
La valeur ajoutée de la branche de l’extraction croîtrait au rythme annuel de 47,0% en moyenne. Elle serait consécutive à l’exploitation minière intensive des Terres rares, de l’Or, du Coltan, du Vanadium, du Nickel et les minerais associés, etc. Les recettes du secteur minier sont estimées à 7, 5 milliards de BIF cette année.
La croissance du secteur secondaire serait aussi tirée des programmes de construction des centrales hydroélectriques tant au niveau national que régional.
Au niveau national, il est prévu l’aménagement des centrales hydroélectriques de Ruzibazi de 17 MW, de Kagu 006 de 12 MW, Kabu 16 de 20 MW et de Jiji-Murembwe d’environ 50 MW.
Sur le plan régional, le PND envisage la poursuite des travaux de construction des centrales hydroélectriques de Rusumo Falls de 80 MW et Ruzizi III de 147 MW.
D’après ce document, sur un potentiel hydroélectrique évalué à 1700 MW, seuls 300 MW peuvent être exploités. Mais actuellement, la puissance électrique installée est proche de 50 MW dont 32,9 MW de production nationale d’origine hydrauliques. Moins de 5% de la population ont accès à l’électricité.
Le PND prévoit une croissance « moins importante »dans le secteur tertiaire de 7,9% par rapport aux deux autres secteurs. Cette croissance sera tirée de l’amélioration dans les services du transport et télécommunication, du tourisme et des banques et assurances. La performance attendue dans le domaine du transport et télécommunication serait liée aux avantages offerts par l’exploitation de la fibre optique.
M. Ngendakumana assure que le volume des investissements publics devra augmenter sur la période 2018-2027. Ils sont projetés à 15,5% du PIB en moyenne contre 8,1% sur 2008-2017. Le volume des investissements privés augmentera aussi grâce à la poursuite de l’amélioration du climat des affaires et la mise en œuvre de la politique du partenariat public-privé.
La période 2018-2027 serait aussi marquée par la maîtrise des pressions inflationnistes. Le taux d’inflation moyen sur cette période se situerait en dessous de la norme de l’EAC fixé à 8,0%. Cette évolution résulterait d’une bonne production nationale et de la maîtrise des dépenses publiques.
La mobilisation des ressources de l’Etat sera axée sur l’accroissement des recettes par l’élargissement de la base taxable, la recherche des ressources extérieures et l’allocation rationnelle des ressources disponibles.
Les recettes de l’Etat sont projetées à 2 305,4 milliards de BIF contre 510,9 milliards de BIF réalisés sur la période 2008-2017. La pression fiscale passerait de 14,5% entre 2008-2017 à 18,8% entre 2018-2027.
Le plan prévoit la diminution des dépenses de consommation de l’Etat. Elles devraient passer de 17,3% du PIB sur la période 2008-2017 à 11,5% du PIB sur la période 2018-2027. Le système de contrôle des exonérations sera également renforcé.
Le déficit budgétaire sur la période 2018-2027 est estimé à 8,6% du PIB contre 13,2% du PIB entre 2008-2017.
M. Ngendakumana est optimiste quant à la réussite du plan. Il tient compte des enseignements tirés des plans quinquennaux, les Programmes d’ajustement structurel et les Cadres stratégiques de lutte contre la pauvreté et la Vision Burundi 2025. D’après lui, le plan sera financé en grande partie par des ressources internes. Mais, il précise que le Burundi a de nombreux amis qui vont l’aider à la concrétisation du PND.
« Même ceux qui avaient suspendu les aides en 2015 viennent souvent discuter avec le gouvernement pour reprendre la coopération », assure-il. Avec le principe d’alignement, souligne-t-il, tous les partenaires vont bientôt ouvrir leurs robinets.
En outre, il révèle que le plan décennal de développement émane de « l’éternel » et qu’avec l’aide de Dieu les Burundais réussiront leur pari.
« Des prévisions irréalistes »
Faustin Ndikumana, président de Parcem, ONG locale pour la bonne gouvernance, met en doute les prévisions de ce plan décennal de développement. Elles risqueraient d’être irréalistes. Selon lui, il fallait au préalable évaluer les résultats des autres programmes de développement en cours d’exécution avant de lancer ce PND. Il évoque notamment le CSLP II et la Vision Burundi 2025.
M. Ndikumana rappelle que ces programmes avaient aussi des projections similaires qui n’ont pas été concrétisées. La Vision Burundi 2025 prévoyait un PIB de plus de 700 $ par habitant et un taux de croissance économique de plus de 10%. Néanmoins, constate-t-il, le PIB par habitant reste de moins de 300 $ par an. Le taux de croissance est presque nul depuis 2015.
Et de prodiguer des conseils : « Le gouvernement devrait d’abord analyser les raisons profondes qui sont à l’origine de l’échec. Il explique l’échec des différents plans par le problème de stabilité politique, la corruption dans l’administration, le manque d’appropriation par les autorités et surtout la faible capacité de l’Etat dans la mobilisation des fonds. A ce sujet, précise-t-il, les financements extérieurs pour les CSLP n’ont jamais dépassé 25% du budget total.
Le président de Parcem estime que le Plan national de développement connaîtra des problèmes de financement. «En raison du budget total de plus de 20 mille milliards de Fbu pour une décennie, le gouvernement devrait avoir prévu un budget de 2 mille milliards de Fbu par an.» Or, dit-il, le budget annuel de l’exercice en cours s’évalue à 1300 milliards. Il y a déjà un décalage de 700 milliards.
Si les défis qui ont fait que la Vision Burundi 2025 ne réussisse pas ne sont pas relevés, prévient-t-il, les indicateurs du PND risqueront d’être irréalistes.
« Des estimations flatteuses »
Jean Prosper Niyoboke, enseignant à l’Université du lac Tanganyika, qualifie le taux de croissance à deux chiffres de flatteur étant donné le niveau de vie et le taux de pauvreté enregistrés aujourd’hui. D’après lui, les piliers retenus sont bons mais les attentes sont ambitieuses et utopiques. Les statistiques du PND ne sont pas fiables.
Au vu de la situation économique actuelle, explique-t-il, il serait tôt de prédire avec des statistiques, un taux de croissance à deux chiffres et surtout un PIB par habitant de 810 $, sans se tromper. Certes, poursuit-il, des avancées peuvent être enregistrées par rapport à cet horizon, mais il faudrait procéder par des simulations en tenant en considération une batterie d’indicateurs indiquant clairement l’atteinte de ces objectifs.
M. Niyoboke soutient, par ailleurs, que les piliers retenus pour la concrétisation de cet objectif semblent ambitieux pour espérer un taux de croissance de deux chiffres à partir de l’an 2022. « Cette période est très courte. » Le développement du secteur primaire devra prendre des années. A titre d’exemple, précise-il, la modernisation agricole nécessiterait plusieurs années compte tenu du système agraire actuel. A cela, s’ajouterait le problème de financement de ce secteur. Les établissements financiers n’accordent pas des crédits aux agriculteurs.
Cet économiste estime que les prévisions de croissance du secteur secondaire ne sont pas aussi réalisables. « Ce secteur est presque inexistant au Burundi.» Il est confronté à l’accroissement de la production énergétique. Même avec le peu d’industries existantes, souligne-t-il, le pays connaît toujours un déficit énergétique. Les besoins en infrastructures sont très importants pour les chantiers en cours, conclut-t-il.
Le professeur d’Université est catégorique sur la mobilisation des ressources nécessaires à ce plan. Au Burundi, il n’y a pas de marché financier, toujours l’économie d’endettement, l’agriculture est toujours de subsistance, les exportations ne sont que des matières premières. Le rythme moins soutenu de l’investissement est depuis longtemps une préoccupation majeure mais sans actions concrètes. Et il se demande sur quelle base, le gouvernement arrivera à collecter plus de 20 000 milliards de BIF en dix ans ?
Jean Prosper Niyoboke estime que le Burundi ne deviendra pas une puissance émergente à l’horizon 2027. Toute transition du pays vers l’émergence doit être caractérisée par le développement du secteur primaire et secondaire. Ce qui n’est pas le cas pour le Burundi. Le développement du secteur tertiaire ne suffit pas. Il devrait être accompagné par les deux autres secteurs et être le reflet de leurs valorisations respectives. Certes des pays comme Singapour ont réussi grâce au secteur, est-ce le cas pour le Burundi au vu des piliers du PND.
M. Niyoboke rappelle, par ailleurs, que des plans ont toujours existé et souvent donné des orientations stratégiques. Mais, regrette-t-il, l’opérationnalisation de ces plans devient une autre affaire. Il recommande aux autorités du pays du réalisme et de l’objectivité.