Le président de la République vient de proroger de six mois le mandat de la CENI qui était arrivé à expiration. A l’agenda de Pierre Claver Ndayicariye, la révision du code et du fichier électoral avec, dans le meilleur des cas, la participation de tous les acteurs politiques…
Quel sentiment avez-vous suite à la décision présidentielle ?
C’est naturellement de la satisfaction parce que c’est un signe de confiance. Normalement, quand on a un mandat de trois, quatre ou cinq ans, on s’attend toujours à être remplacé ou à être reconduit. C’est l’occasion de dire merci aux autorités burundaises qui nous ont encore fait confiance.
Ce prolongement intervient pour éviter un vide en 2015. Il y avait risque en effet que le mandat de la nouvelle CENI arrive à expiration avant les prochaines élections. Votre commentaire.
Cette question aurait été abordée au sommet de l’Etat, mais je ne crois pas que cela soit la seule véritable explication. Toutefois, si nos autorités ont pris le temps d’y réfléchir pour constater justement cette rupture de 2015, c’est que ça valait la peine. En effet, il est permis dans la réflexion politique, technique et juridique, qu’on adapte des textes portant organisation et fonctionnement de la CENI aux impératifs organisationnels des élections.
Quelles sont les trois réalisations dont vous êtes fier durant le mandat écoulé ?
Avoir servi la nation, certes, en contribuant de la façon la plus modeste au renforcement de la démocratie au Burundi. Notre deuxième fierté, c’est ce renforcement des compétences en constituant une pépinière de cadres qui ont suivi et organisé les élections de 2010 et qui restent en permanence. Sur ce plan, le Burundi gagne déjà. Troisièmement, les élections de 2010, quel que soit ce qu’en disent certains acteurs politiques, ce sont des élections jugées dans le monde comme des élections répondant aux normes et standards internationaux, un modèle. La présence des observateurs locaux et étrangers sur le terrain a attesté de cette avancée significative, même si tout n’a pas été parfait.
Que regrettez-vous ?
Une seule chose: un manque de cadres compétents nationaux dans les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC). La plupart des ressources humaines que nous sollicitons pendant les élections viennent de l’extérieur. Or, c’est la confection du fichier qui est la grande activité coûtant chère en moyens financiers ainsi qu’en énergie physique et intellectuelle. Si je devais laisser un message à ceux qui vont nous succéder, ou aux autorités de ce pays, je leur dirai d’investir en informatique. {Que pensez-vous de deux qui estiment que votre mandat de 2010 a été un échec, vu le retrait de plus d’une dizaine de partis à la course électorale?} La plus belle femme du monde préfère qu’on vante sa beauté au lieu que ce soit cette beauté même qui vante ses mérites et qualités. Je n’ose pas parler de ceux qui ont leurs propres problèmes mais qui ne voudraient pas les reconnaître.
Quelles leçons en avez-vous tiré ?
Que les élections de 2010 soient aujourd’hui citées comme modèle sur la scène internationale. Le PNUD et les Nations Unies sont en train de conduire des études tirées du processus électoral du Burundi. Il y a aussi cette représentativité des femmes à des fonctions électives. Le respect des quotas, conformément au code électoral et à la constitution résultant de l’Accord d’Arusha, montre que nous avons des piliers solides pour renforcer et faire avancer la démocratie, la bonne gouvernance et les réflexes électoraux dignes.
Quid des politiques en exil ?
Pierre Claver Ndayicariye est direct : « Le Président de la République a déclaré solennellement à la fin de 2011 la volonté politique d’amender la constitution et le code électoral. » Quand une autorité comme le chef de l’Etat s’exprime sur cette question, lance M. Ndayicariye, c’est cette même autorité qui intègre toute la dimension politique de l’inclusion, surtout lorsqu’il s’agit d’amender les textes normatifs fondamentaux : « Dans la mesure du possible, la participation de tous les acteurs politiques est incontournable. »
Et quelle image gardez-vous de la classe politique burundaise ?
C’est une classe qui mérite d’être renforcée démocratiquement à l’intérieur d’elle-même. Ce renforcement doit aussi viser le sens de l’honnêteté de tous ceux qui veulent entrer dans la compétition politique par la grande porte. J’ai en plus retenu que la plupart des partis en Afrique sont comme des montagnes dormantes. C’est malheureux. Entre les élections, c’est le silence total et à la veille des élections, ils se réveillent. {Voulez-vous être plus concret ?} Animer un parti politique tant qu’on a l’ambition de conquérir le pouvoir, c’est une tâche de longue haleine. C’est comme un bataillon qui va au front. Il y a les chefs, les hommes de troupe, il y a aussi ceux qui restent à l’Etat-major pour affiner les stratégies. Quand ces trois piliers de combat manquent, on perd facilement la guerre. Même si les élections ne sont pas comparables à la guerre, elles restent une compétition avec des règles de jeu connues. En politique, on naît, croît et grandit.
Concrètement, qu’est-ce qui vous a déçu ?
Quand on est un leader, il faut avoir une vision et aller devant pour orienter ses militants. Rester derrière, c’est les dérouter. Comment veut-on promouvoir la démocratie quand on n’a ni idéologie, ni conviction, ni militant, ni moyens financiers ?
On vous a accusé de rouler pour le parti au pouvoir. Quelle est votre réaction ?
Je suis sûr que ceux qui le disaient n’y croyaient pas eux-mêmes. Ce sont des allégations sans preuves. Heureusement qu’aujourd’hui, en matière électorale, rien ne se fait plus dans la clandestinité. C’est une chance pour le pays et pour la CENI. Des observateurs sont des regards qu’on ne peut pas battre en inventant des mensonges. Et quand il n’y a pas de preuves, l’acteur politique se piège lui-même.
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Des chantiers mais des priorités d’abord
La révision du code et du fichier électoraux ainsi que la mise en place des séances intensives d’éducation civique et citoyenne : tels sont les dossiers prioritaires pour Pierre Claver Ndayicariye dans les six mois à venir. Au niveau du code électoral, M. Ndayicariye explique que beaucoup de voix s’accordent pour l’usage d’un bulletin de vote unique en ce sens qu’il coûte moins cher, facile à dépouiller et à contrôler. D’autres pensent au décalage des scrutins parce que c’est un travail lourd ou proposent encore que deux ou trois scrutins soient mis ensemble. Pour le fichier électoral, une mise à jour est nécessaire parce qu’il y a eu des morts et des jeunes qui auront atteint à cette époque l’âge de voter. Une éducation civique pour permettre à la population et aux acteurs politiques d’avoir une même lecture et compréhension de la notion de démocratie. Toutefois, quelle que soit la formule que les politiques auront adoptée, Pierre Claver Ndayicariye demande qu’il soit accordé un temps suffisant pour que la CENI en place procède à la vulgarisation des innovations. Sinon, conclut-il, des changements qui tombent à la veille des scrutins ne facilitent pas le travail de la CENI.