Pour certains, Pierre Buyoya aura été un « visionnaire » qui a su conduire des négociations difficiles. Pour d’autres, un politicien sans état d’âme, froid, calculateur.
Par Antoine Kaburahe
De retour au Burundi, après un séjour de recherche au sein du Watson Institute for International Studies dans l’Etat de Rhode Island aux Etats-Unis, le Président Buyoya m’a demandé de l’aider dans la rédaction de son livre « Les négociations inter burundaises ou la longue marche vers la paix(1) . » J’ai accepté. Je précise ici qu’il arrive aux journalistes d’être ainsi sollicités. J’ai fait ce travail pour lui comme pour d’autres, de tous les bords, dans le souci de contribuer à la connaissance de l’histoire.
« Ayant dirigé le Burundi pendant plus d’une dizaine d’années, j’ai suivi tout le processus des négociations dans tous ses états et je me sens dans l’obligation de livrer mes idées sur cette importante période du Burundi contemporain », m’a dit l’ancien Président lors de notre première rencontre. Ainsi, pendant plus d’une année, j’ai eu l’occasion de travailler avec l’ancien Président pour la rédaction de son livre.
Je l’ai trouvé un peu froid au début, même distant. Au fil des mois nos échanges sont devenus plus chaleureux. Ponctuel, très structuré, l’homme écoutait beaucoup et jouissait d’une grande mémoire. Il s’estimait incompris et avait une grande envie de s’expliquer devant l’histoire.
Dans cet ouvrage, centré sur les négociations d’Arusha, Pierre Buyoya reconnaissait qu’au début, l’idée de « négocier » était même taboue. Surtout qu’au même moment la rébellion était très active. « Nous étions qualifiés d’ “alliés de la rébellion”, de “traîtres”. Nous étions accusés de ne pas donner à l’armée tous les moyens pour gagner la guerre. Nous avons été traités de tous les noms. »
Pour rappel, le sujet était tellement sensible que les contacts ont commencé en secret, par l’intermédiaire de l’organisation Sant’Egidio. « Les négociations ont été très difficiles. Au début, les gens refusaient de se serrer la main, de se parler et même de s’asseoir ensemble ! Les médiateurs de Sant’Egidio devaient faire la navette entre les deux délégations. Le premier objet des négociations concernait l’appellation des deux parties. Après plusieurs séances, nos négociateurs ont proposé d’être appelés “représentants du gouvernement de Bujumbura.”
Les représentants de la rébellion refusaient de reconnaître qu’il y avait un gouvernement. Pour eux, le gouvernement de Bujumbura était simplement “putschiste”. Alors qu’ils étaient arrivés à s’accorder sur un agenda en sept points, le secret a été divulgué. Pierre Buyoya écrit : “Un des négociateurs de la rébellion a vendu la mèche à feu Mathias Hitimana, Président du parti P.R.P. Ce dernier a étalé sur la place publique tout ce qui s’était passé jusque-là, accusant le gouvernement de négocier dans le secret avec les ‘génocidaires’.
Le processus désormais éventé, Pierre Buyoya a décidé de reconnaître officiellement les négociations. C’était le début de la longue route vers Arusha. Dans nos entretiens et dans son livre, il a expliqué combien il avait eu du mal à faire passer l’idée même de « négocier ». Il a d’abord rallié l’armée à son projet. Il écrira : ‘J’étais conscient que dans ce processus de paix, l’armée devait jouer un rôle important. Pour avancer, il fallait avoir avec nous cette institution. Autrement, le processus de paix pouvait s’arrêter à tout moment. Je savais qu’au moment de la signature des accords, les militaires allaient payer un prix très lourd. Il a fallu préparer les esprits pour l’intégration des anciens rebelles d’abord et pour l’inévitable démobilisation ensuite. Ce n’était pas toujours facile de rallier les gens autour d’un processus dont l’aboutissement pouvait signifier la perte de leur emploi !’
Pour lui, Arusha a été d’abord une sorte de ‘thérapie de groupe’. Selon lui, chaque camp essayait de démontrer que c’était lui et son groupe ethnique qui étaient les victimes de la méchanceté de l’autre. Tout le monde était sur la défensive. Tous ceux qui ont suivi le processus d’Arusha confirment que la situation était tendue. Pierre Buyoya me dira : ‘Les partis d’obédience tutsi accusaient les Hutu d’avoir toujours eu un plan d’extermination des Tutsi qu’ils ont tenté à plusieurs reprises de mettre en exécution. (…) Les Hutu, de leur côté, montraient que depuis longtemps ils étaient exclus du pouvoir, victimes d’extermination, de massacres perpétrés notamment par l’armée.’
Pour Pierre Buyoya, Arusha aura donné aux Tutsi l’occasion et le temps suffisant d’écouter les revendications des Hutu. Et, inversement, les Hutu ont fini par comprendre que les Tutsi avaient des préoccupations sérieuses dont il fallait tenir compte.
Pierre Buyoya était assez fier de la signature de l’accord d’Arusha. Il a écrit: ‘Sur le plan de la sécurité, les Burundais ont abouti à ce que j’appelle ‘un compromis historique’ : la représentativité égale des Hutu et des Tutsi dans les institutions de sécurité. C’est une avancée spectaculaire parce que cet arrangement éloigne la peur d’extermination des Tutsi par les Hutu et vice-versa. Une peur qui était un piège énorme pour toute la société, puisqu’elle était à la base de tous les dérapages que nous avons connus.’
Malgré tout, Pierre Buyoya savait que rien n’était acquis définitivement. Il s’interrogeait : ‘La question qui se pose actuellement et à laquelle les Burundais doivent réfléchir est de savoir pour combien de temps cet Accord continuera à régir le fonctionnement des institutions au Burundi? Le contenu de l’Accord d’Arusha va-t-il survivre à l’épreuve du temps ? Demain, les politiciens ne seront-ils pas tentés, pour des raisons politiques ou politiciennes, de manipuler tout cela et sortir de ce compromis historique ?’
Avec une lucidité prémonitoire, il répondait à son interrogation. ‘Au Burundi, comme ailleurs, il n’y a pas d’accord qui assure la paix et la stabilité d’une façon définitive. Tout dépendra de la manière dont les Burundais vont gérer et intérioriser l’esprit de cet Accord à moyen et à long terme voire à y insérer des amendements éventuels. La stabilité du pays dépendra des choix bien pensés que les hommes politiques d’aujourd’hui et de demain feront dans le sens de préserver le compromis d’Arusha et de faire des réformes qui vont dans le sens d’une amélioration du mieux vivre ensemble. C’est par ces stratégies qu’il faut chercher la paix et la stabilité à long terme.’
Il souhaitait un vrai procès
L’ancien président venait d’être condamné dans le dossier concernant l’assassinat du Président Ndadaye. Il y a quelques semaines, quand il a démissionné de son poste de médiateur de l’UA pour le Sahel, je l’ai appelé pour avoir sa réaction. Il a énuméré plusieurs irrégularités qui ont entaché son procès : « refus de visa à nos avocats étrangers, refus à nos avocats burundais d’accéder au dossier, refus du greffe de réceptionner nos dossiers d’appel ». Pour lui tout ‘a été orchestré pour le condamner à huis clos.’ Il disait son envie de se consacrer désormais à sa défense.
Plusieurs zones d’ombre subsistent dans ce dossier. Tout le monde se rappelle notamment que pendant plusieurs années, Pierre Buyoya a vécu tranquillement au Burundi, sans être inquiété par la Justice . Mieux, en 2014, le gouvernement a même appuyé sa candidature au poste de secrétaire général de la Francophonie…
Un jour, un journaliste a demandé à l’avocat Jacques Vergès pourquoi il défendait des ‘dictateurs’. L’avocat a dit que ‘le pire des hommes a droit à la meilleure défense possible. C’est le seul moyen pour que sa condamnation ait un sens. Sinon il dira qu’il a été injustement condamné.’
Je ne dis pas que Pierre Buyoya était innocent. Je dis simplement qu’un procès juste, transparent, équitable aurait levé tous les doutes à ce sujet. Quant à son rôle dans l’histoire du Burundi, il me semble charnière, puisqu’il a été président sous le régime du parti unique avant de l’être pendant la transition démocratique. Destin exceptionnel d’un militaire arrivé au pouvoir, à deux reprises, par un coup d’Etat avant de le céder pacifiquement.
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(1). Buyoya, P, Les négociations inter burundaises ou la longue marche vers la paix. Ed. L’Harmattan, 2012, 254 p.