L’homme a certes tiré sa révérence, loin de sa mère patrie, mais la page Buyoya est loin d’être tournée. L’histoire moderne du Burundi portera pour longtemps encore l’empreinte de ses 13 ans de régime mouvementé, tumultueux, entrecoupé de quelques éclaircies, de temps d’accalmie relative, d’espoirs, vite déçus.
Son pouvoir exercé d’une main de fer dans un gant de velours a laissé des marques indélébiles. A sa mort, quelques applaudissements, des signes de reconnaissance et de déférence pour certains actes, parfois osés mais aussi des sanglots étouffés.
Il n’est pas le seul homme d’Etat burundais dont l’action est différemment appréciée. Blessée, la reconnaissance de la société burundaise est à géométrie variable. Chacun lit l’histoire à travers son prisme, ses lunettes déformantes. Mais il y a de ces actes que des générations de Burundais se souviendront, encore et encore.
Incompris, controversé, tiraillé, craint, honni, respecté, opportuniste, mauvais perdant, discret, imprévisible, calculateur, fin stratège, froid, homme sans remords, politicien sans état d’âme cédant même au machiavélisme, visionnaire, homme de dialogue, homme de compromis … La toile se déchaîne, prenant le pas à la communication officielle inexistante, plusieurs jours après l’annonce de son décès.
Tout a été dit sur ce président, le deuxième, après feu Pierre Nkurunziza, à rester pendant longtemps aux commandes, aux destinées de la nation. Cet homme d’Etat cumule à lui tout seul, à tort ou à raison, tous ces qualificatifs.
Forgé par l’armée, cet homme qui a accepté de troquer son uniforme contre un costume, n’était, selon les analystes, qu’un civil à l’âme militaire. Il a quitté l’armée, mais l’armée ne l’a jamais quitté. Quand il s’est éclipsé, ce fin diplomate avait déjà préparé son parachute. L’UA lui a fait confiance.
Personnalité complexe, par la force des choses, il est devenu ’’ennemi numéro 1 du régime Nkurunziza’’ et par conséquent de son ’’Samuragwa’’, héritier et successeur.
Mais l’opinion n’oublie pas que l’homme honni, ignoré, a eu en 2014, le soutien du ’’Guide suprême du patriotisme’’ pour tenter de ravir à la Canadienne le poste prestigieux de Secrétaire général de la Francophonie. L’opinion garde aussi en mémoire, que le disparu a vécu longtemps au Burundi, sans être inquiété par la justice…
Récemment condamné ’’in absentia’’ à perpétuité par la justice burundaise, dans l’affaire de l’assassinat du président Melchior Ndadaye, le 21 octobre 1993, avec d’autres anciens hauts dignitaires, ce ’’putschiste récidiviste’’, est parti sans avoir « lavé son honneur. » Il avait déclaré qu’il y tenait beaucoup.
Il a eu des amis, des sympathisants, des vrais qui lui sont restés fidèles, et il a eu des ennemis jurés, même dans son propre camp. Il l’avait prédit avec son sens d’équilibriste : « les uns disent ceci et les autres disent cela… » J’ai envie de rajouter : « Et le destin dit voilà ! »
A ceux qui rivalisent de le vilipender, clamant haut et fort leur haine, ils font fi d’une coutume chère aux Burundais : le respect des morts et de surcroît d’un ancien président de la République.