Dimanche 22 décembre 2024

Politique

Pierre Buyoya : incompris jusqu’à sa mort

24/12/2020 Commentaires fermés sur Pierre Buyoya : incompris jusqu’à sa mort
Pierre Buyoya : incompris jusqu’à sa mort
Le président Pierre Buyoya sera provisoirement inhumé au Mali.

Décédé le 17 décembre 2020, l’ancien chef d’Etat Pierre Buyoya laisse un héritage ambigu. Des hommages fusent de partout. Ses détracteurs élèvent aussi la voix. Ce qui étonne plus d’un, le gouvernement burundais n’a pas encore dit un mot. Selon sa famille, il sera inhumé au Mali. Des voix s’élèvent pour demander que le corps de l’ancien président soit rapatrié au pays. Iwacu revient sur la vie du Major Pierre Buyoya.

Dossier réalisé par Fabrice Manirakiza, Abbas Mbazumutima, Rénovat Ndabashinze, Hervé Mugisha et Alphonse Yikeze

« L’Epouse, les enfants et petits-enfants du Président Pierre BUYOYA annoncent aux parents, amis, et connaissances que les funérailles du défunt se dérouleront au Mali, où le Président Buyoya et son épouse résidaient depuis quelques années », a indiqué un simple communiqué de la famille de l’ancien président burundais, Pierre Buyoya. Selon la famille, la date des funérailles sera communiquée ultérieurement. « La famille du Président Pierre Buyoya exprime encore sa profonde gratitude aux autorités maliennes, à la commission de l’Union Africaine, et à tous ceux qui lui ont manifesté leur solidarité en ces moments de dures épreuves. »

Les bribes d’informations commencent à circuler sur réseaux sociaux dans la matinée du 18 décembre 2020. L’ancien président du Burundi, Pierre Buyoya, est décédé. Faute d’une information officielle, aucune confirmation. Certains commencent à penser à des fake news. L’information se confirme petit à petit. Un proche de la famille du défunt a confié à Iwacu : « Il nous a quittés hier soir. » Il a aussi indiqué qu’il était atteint de la covid-19. « Evacué vers Paris, il n’a pas supporté le voyage. ».

Plaidoyer pour des obsèques nationales

Des hommages fusent de partout depuis le décès du président Pierre Buyoya. Le président de la Commission de l’Union africaine Moussa Faki Mahamat a déploré la perte de cet homme qui a tant œuvré pour la paix dans son pays et sur le Continent. « Haut Représentant du Président de la Commission de l’Union Africaine pour le Mali et le Sahel jusqu’au mois de novembre dernier, Pierre Buyoya a fait preuve d’un engagement exceptionnel dans l’accomplissement de sa mission. » Pour lui, Pierre Buyoya a été un infatigable promoteur de la paix dans cette région et a mis sa riche expérience d’ancien Chef d’Etat au service de cette cause à laquelle il avait consacré tout son temps et toute son énergie. Maréchal Idriss Deby Itno, président du Tchad, s’est dit attristé par son décès et a adressé ses sincères condoléances à la famille éplorée et au peuple du Burundi. Le président malien de transition, Bah N’Daw, parle d’un grand Burundais, un grand Africain, un grand Malien, un grand Sahélien qui « s’investi sans calculer pour la préservation de l’intégrité territoriale et de la souveraineté du Mali tout en plaidant de manière constante et pédagogique pour la mise en œuvre de l’Accord de paix et la réconciliation. » Roch Marc Christian Kaboré, président du Faso, a également réagi : « J’ai appris avec tristesse le décès de Pierre Buyoya, ancien Président du Burundi et Représentant spécial de l’UA pour le Sahel. Je salue sa contribution inestimable aux efforts de stabilisation du Sahel. Je présente mes condoléances à sa famille et à ses proches. » Pour le Cnared, l’Afrique et la communauté internationale perdent « un grand homme ». Le Part UPRONA salue la mémoire d’un grand homme politique qui laisse une empreinte dans l’histoire politique du Burundi.

Paradoxalement, le gouvernement du Burundi n’a pas encore réagi. Toutefois, plusieurs personnalités ont demandé à ce que la dépouille de l’ex-président soit rapatriée au Burundi. Entre autres, Jean-Marie Ngendahayo, adversaire politique acharné du défunt ex-président. « Qu’on l’aime ou qu’on le déteste, l’ancien président du Burundi, Pierre Buyoya, a marqué profondément la fin du 20ème siècle et le début du 21ème siècle dans son pays et au niveau du continent africain ». Et d’ajouter : « Au nom de toutes les valeurs sacrées de notre civilisation reposant sur le socle du concept sacro-saint de l’UBUNTU, je plaide pour qu’il soit loisible à sa famille de ramener sa dépouille au pays afin que tous les siens puissent lui rendre un dernier hommage et qu’il puisse reposer dans sa patrie » C’est aussi l’avis de Daniel Kabuto, ancien Conseiller principal à la vice-présidence de la République (2008-2010) et porte-parole du ministère des Affaires Etrangères (2013-2015). « Quoi que le pouvoir de Gitega dise ou concocte, l’ancien président Pierre Buyoya mérite les obsèques nationales. Dans les moments difficiles, il a pris les devants de la scène politique et a placé, mutatis mutandis, la nation au cœur de son action. Comme tous les héros, il a sa part d’ombres et de lumières. »


Pierre Buyoya, la discrétion ambulante

En 1979, le futur tombeur du président Bagaza est propulsé membre du comité central de l’Uprona. A ce moment, personne ne doute de sa force et de son aura auprès des hommes des casernes. Pourtant, le futur président observe, jauge, construit son cercle d’influence…

Il lui était impossible de prendre une décision en se fiant aux propos d’une seule personne.

Nous sommes le 2 septembre 1987. A ce moment, le 2ème sommet de la conférence de la Francophonie bat son plein à Québec. En marge du sommet, le président Bagaza s’entretient avec François Mitterrand, son homologue français de l’époque. A la fin de leur entretien, il lui assène : « Fais attention, ces gens sont puissants ». A ce moment, les relations du président Bagaza avec l’Église catholique sont tendues*. Un clin d’œil prémonitoire ou le président français est déjà au courant du coup d’Etat qui se prépare à Bujumbura ? En effet, le lendemain tard dans la soirée, on lui annoncera le renversement de son régime. A la tête de la junte, un certain Major Pierre Buyoya. A ce moment, il est G3 (chargé des opérations à l’Etat-major du ministère de la Défense nationale. Plus tard, le président Bagaza confessera à Cyprien Mbonimpa : « en avril 1987, les services des renseignements m’ont fait part de ses possibles agissements. Mais, ressortissant de la même commune que moi, je n’y ai pas prêté attention ». Une passivité que n’affichera pas le président Buyoya au cours de son exercice du pouvoir. « Dans les moindres détails, il planifiait tout. Même en cas de doute, il avait un plan B, propre à lui », se souvient un ancien militaire de sa garde rapprochée.

Footballeur, cet ancien militaire, explique que son amour pour le ballon rond l’aidera à être proche des hommes des casernes. « Des fois, c’était lui qui arrangeait les matches entre les camps militaires. A l’époque, une chose impensable pour un commandant de bataillon ».

Sans doute, estime-t-il, un atout qui penchera de son côté, lorsque vient le moment de rallier les hommes de troupe à la cause des membres du Comité du salut public.

L’écoute à tout prix

Fidèle à ses principes, un autre ancien officier de sa garde rapprochée, confie sa propension à écouter autrui. « Impossible de prendre une décision en se fiant aux propos d’une seule personne. Il recoupait l’information jusqu’à ce qu’il ait sa propre opinion ».

Selon lui, une capacité qui l’aidera à se préserver des subtilités courtisanes de la cour présidentielle. Et de faire remarquer : « C’est avec la crise de Ntega-Marangara qu’il marque de son empreinte la présidence. Alors que les tensions ethniques sont à leur comble, ses choix et orientations politiques étonnent plus d’un ».

« Homme providentiel » en 1996, il revient après que feu Colonel Firmin Sinzoyiheba se soit désisté à prendre le pouvoir. La suite de l’histoire : contre l’avis de tout le monde, surtout de l’élite intellectuelle tutsie, il engage le pays sur la voie des pourparlers avec les mouvements rebelles. Une étape inédite, avec l’Accord d’Arusha qui permettra de recouvrer l’accalmie.

* (Tiré de l’ouvrage de l’Ambassadeur Cyprien Mbonimpa, Mémoires d’un diplomate (1973-2006) : Entre tourmentes et espoir


Un bilan mitigé

La crise de Ntega-Marangara, le processus de réconciliation, le multipartisme, la défaite lors des élections présidentielles de 1993, l’affaire Ndadaye, l’Accord d’Arusha… Le président Pierre Buyoya aura connu des hauts et des bas.

Le premier gouvernement d’unité nationale mis en place par le président Pierre Buyoya.

A la tête du Comité militaire pour le salut national (CMSN), le Major Pierre Buyoya renversa le Colonel Jean Baptiste Bagaza, le 3 septembre 1987. Ce dernier assistait au sommet de la Francophonie au Québec au Canada. Selon le nouveau régime, le peuple burundais avait perdu toute confiance dans un régime caractérisé par le pillage, le gaspillage et les injustices de toute nature ; la violation des droits fondamentaux de la personne humaine et les libertés individuelles ; des mises en prison des personnes innocentes sans autre forme de procès. « Ce régime avait terni l’image du Burundi à l’extérieur à telle enseigne que les relations avec nos partenaires, y compris nos voisins les plus proches étaient entachées de méfiance et de suspicion, etc.»

A peine une année, à partir du 15 août 1988, le Major est confronté à une explosion de violence qui ravage plusieurs communes, surtout Ntega et Marangara. C’est la crise dite de Ntega-Marangara. Plusieurs personnes, Hutu et Tutsi, sont massacrées.

Dans une rencontre avec la presse nationale et internationale, le 25 août 1988, le Major Pierre Buyoya donne les premières estimations des pertes en vie humaine : 5.000 victimes. Pour les dégâts matériels, il parle des maisons brûlées ou saccagées, des ponts détruits, des champs et des collines de boisement brûlés, du bétail tué…

Quant aux auteurs, le président Buyoya a pointé du doigt les commanditaires des événements « qui sont des groupuscules de réfugiés burundais résidant à l’étranger. Des éléments palpables le montrent. Bien sûr, ces groupuscules ont trompé une partie de la population de ces zones qui s’est adonnée alors au massacre et au pillage. Il y a donc les commanditaires et les exécutants. »

Sur la question des militaires qui auraient tué des civils non armés, le président Buyoya a répondu : « (…) Ces rebelles qui ont commencé les massacres étaient drogués et ils agissaient en masse. Il est évident que les forces de l’ordre sont intervenues pour rétablir la situation. Il ne peut en aller autrement. Quand les gens sont en train de tuer, de brûler les maisons, de saccager, de violer, on ne peut intervenir qu’avec les moyens, avec la force. Cette intervention entraîne inévitablement des pertes. (…) Je pense que dans cette circonstance, on peut comprendre qu’il y ait des blessés, même des blessés par balles. (…) Je pense que toutes les interventions de ce genre font des victimes, mais ce que je peux vous assurer, c’est que l’armée est allée là pour rétablir l’ordre. Et en rétablissant l’ordre, il peut arriver qu’il y ait des victimes, ça on ne peut pas le nier. » Le président Buyoya a également nié en bloc l’utilisation du Napalm par l’armée burundaise : « L’armée burundaise ne détient pas dans ses stocks du Napalm. » Quant au Palipehutu, il continuait à dénoncer les massacres des Hutu dans plusieurs provinces du pays.

Ntega-Marangara, point de départ d’un processus de transition politique

« Paradoxalement, les massacres interethniques qui se déroulèrent dans les deux communes du nord-est en août 1988 permirent de lancer simultanément et de manière très directe le débat sur le « dépassement des clivages ethniques » et la « démocratisation » », a écrit André Guichaoua, professeur de Sociologie, dans les colonnes d’Iwacu en 2013. « Aussi bien à l’échelle régionale qu’internationale, ces affrontements connurent un grand retentissement et décidèrent le Major Pierre Buyoya, qui venait de s’emparer du pouvoir, d’engager le pays dans la voie d’une ouverture politique contrôlée. »

Le 4 octobre 1988, les Burundais ont assisté à la mise sur pied d’une Commission nationale chargée d’étudier la question de l’unité nationale. Elle était composée de 12 Hutu et de 12 Tutsi. Le problème ethnique est ainsi formellement reconnu au plus haut niveau. Le 19 octobre, le président Buyoya a nommé un Premier ministre hutu, Adrien Sibomana. Il a également remanié le gouvernement qui devenait ethniquement paritaire. La Charte de l ‘Unité est publiée en avril 1990 et approuvée par référendum populaire, le 5 février 1991 (89,21%). Une commission constitutionnelle est mise sur pied en mars 1991.

La défaite du président Buyoya

Des ministres du gouvernement de l’unité nationale, lors des réunions de pacification.

Dès le début des années 1990, de nombreux subsahariens ont connu des modifications de leur régime politique. Le Burundi n’a pas échappé à cette règle. Lors de la conférence des chefs d’Etats de La Baule, le président François Mitterrand a clairement signifier aux Etats Africains que l’aide de la France sera subordonnée à l’avancée du processus de démocratisation.

Le Burundi avait déjà amorcé le processus. Lors du lancement des travaux de la Commission constitutionnelle, le Major Pierre Buyoya avait lancé : « Nous pouvons avancer en effet et franchir une nouvelle étape dans la construction d’un Burundi nouveau : étape de la démocratie. Nous pouvons entamer la marche vers la démocratie, sereins et d’un pas sûr, car, avec l’unité retrouvée, nous tenons le viatique, avec la charte de l’unité, nous tenons la boussole ».

Dans la foulée, plusieurs partis ont vu le jour : PRP, le PP, le RADDES, le FRODEBU, RPB, l’ANADDE, le PL, le PIT, l’ABASSA, le PSD, … De plus, il y a eu aussi éclosion de la société civile. Entre autres, la Ligue ITEKA est créée en 1990 et la Ligue SONERA en 1991.

En 1993, Pierre Buyoya a organisé les premières élections démocratiques depuis l’indépendance du pays. Battu le 1er juin 1993, il va remettre volontairement le pouvoir au premier président Hutu démocratique élu du parti FRODEBU, Melchior Ndadaye. Ce dernier sera assassiné 3 mois après sa prise du pouvoir. Le président Pierre Buyoya reviendra, en 1996, après un coup d’Etat contre le président Sylvestre Ntibantunganya. Il va engager le Burundi sur la voie des négociations d’Arusha qui vont aboutir en 2000 à la signature de l’accord de paix pour le Burundi. Du coup, il devient le premier président de transition. En 2003, il remettra le bâton de commandement au président Domitien Ndayizeye.


Accord de Paix d’Arusha : L’acmé du régime Buyoya

Au début des années 2000, furent signés l’Accord de Paix d’Arusha sous l’égide de l’ancien président sud-africain, Nelson Mandela. Des témoins de l’époque reviennent sur cet évènement qui a marqué la gouvernance de l’ancien président défunt.

Le président Pierre Buyoya, lors de la signature de l’Accord de Paix d’Arusha.

Godefroid Hakizimana, président du Parti Social-Démocrate, relate la genèse de l’Accord d’Arusha. « Quand Buyoya revient au pouvoir en 1996, partout, il y avait des tueries notamment sur les collines à l’intérieur du pays, à Bujumbura, des jeunes qui se révoltaient, la rébellion, etc. »

En 1998, le président Pierre Buyoya appelle tous les partis politiques à la table des négociations. « A cette époque, j’étais président du PSD-Dusabikanye. C’est à ce moment-là que nous nous sommes dirigés vers Mwanza, avec la présence du président Nyerere où on voulait nous réunir pour une entente », témoigne M. Hakizimana.

Selon le président du PSD, l’enjeu de ces accords était de savoir comment ramener la paix dans le pays en négociant avec les mouvements armés et aboutir à un partage du pouvoir. « Nous avons signé une déclaration formelle que nous voulions la paix et pouvoir former un gouvernement unitaire », précise-t-il.

Godefroid Hakizimana affirme également qu’à l’Uprona, certains ne voulaient pas de cet accord. « Certains prônaient la vengeance face aux massacres. ». Une vengeance à laquelle s’oppose l’ancien président putschiste. « Il a vu que sans la paix et l’unité nationale, le Burundi ne survivrait pas ».

L’ancien ministre de l’Artisanat, de l’Enseignement des Métiers et de l’Alphabétisation des Adultes fait aussi l’éloge d’un homme conciliant : « Il a accepté l’accord de paix obtenu sur la base d’un partage du pouvoir où même ceux qui combattaient son pouvoir ont acquis la majorité, que ce soit au Parlement ou au Gouvernement. Quelqu’un d’autre n’aurait pas accepté que son camp soit mis en minorité.» Et d’ajouter : « C’était un homme de paix, d’unité et au service de la Réconciliation.»

Gaspard Kobako, porte-parole du Cndd, évoque ses souvenirs de l’époque. « Nous avons été impliqués presque à la dernière minute, la veille de l’Accord d’Arusha pour la Paix et la Réconciliation. Après nous avoir expliqué que c’était un passage obligé pour faire la paix, nous avons accepté sans abdiquer d’être intégrés dans cet accord ». M. Kobako explique que l’objectif poursuivi par l’Accord de Paix d’Arusha était la cogestion, avec des hommes et femmes politiques de toutes tendances, de la transition politique jusqu’à des élections. Et de faire un clin d’œil aux détracteurs de cet accord. « Pour ceux qui disent qu’il faut y mettre une croix de Saint-André, ils se trompent. Cet accord est incontournable et continue à nous régenter jusqu’à preuve du contraire. Il ne faudrait pas penser qu’on puisse l’enterrer aussi évasivement, subtilement ou rapidement».

Du président Pierre Buyoya, le haut responsable du Cndd garde l’image d’un homme modéré et qui parlait peu. « Il invitait les combattants que nous étions (Cndd-Fdd de Jean-Bosco Ndayikengurukiye) à prendre part à l’Accord de Paix d’Arusha. Un accord que nous avons signé sous l’insistance du médiateur d’alors».

Pour rappel, après de longues et difficiles négociations, les protagonistes dans le conflit burundais ont abouti à la signature de l’Accord pour la Paix et la Réconciliation au Burundi, le 28 août 2000 à Arusha, en Tanzanie, sous l’égide de Nelson Mandela et du président américain de l’époque, Bill Clinton. L’Accord d’Arusha a mis fin à une décennie de guerre civile et aux divisions ethniques qui ont endeuillé le Burundi.


>>Réactions

Adrien Sibomana : « Une mort qui ne devrait pas laisser les gens indifférents »

Pour l’ancien premier ministre (1988-1993), Adrien Sibomana, la mort de toute personne humaine est douloureuse : « J’ai, personnellement, été consterné en apprenant la mort du président Pierre Buyoya. Il a laissé des traces indélébiles. »

D’après lui, il a été très fortement engagé dans le processus d’unité nationale, de la paix : « C’était aussi quelqu’un qui était de renommée internationale. L’UA lui avait confié certaines missions. Bref, c’est une mort qui ne devrait pas laisser les gens indifférents. »

Ayant travaillé avec le président défunt, Adrien Sibomana le décrit comme quelqu’un qui avait une franche collaboration. « Quand vous lui disiez la vérité, il ne se fâchait pas. Il était aussi un grand travailleur. Il était rare de le voir fatigué. » Selon M. Sibomana, le président Buyoya avait vraiment des qualités humaines d’un bon chef, un sens critique. « Il appréciait un travail bien fait. »

A son actif, l’ancien premier ministre parle aussi du processus de démocratisation du Burundi et l’Accord d’Arusha. « Il y a des faits indéniables même si certains disent qu’il était obligé. Mais, on peut être obligé et ne pas accepter, s’exécuter. »

Cyprien Mbonimpa : « Ce n’est pas le moment de porter des jugements »

Pour sa part, Cyprien Mbonimpa, son ancien ministre des Relations Extérieures, le président Buyoya savait faire confiance à ses collaborateurs. « Quand il vous confiait une mission, il vous laissait la marge de manœuvre. Il aimait toujours travailler en équipe. Il était un homme très discipliné, très mesuré dans tout. Nous avons travaillé ensemble dans une très belle ambiance. Il me faisait confiance. »

D’après ambassadeur Mbonimpa, c’est un homme qui a déployé beaucoup d’efforts pour résoudre la crise ethnique au Burundi.

Vu la situation actuelle, il estime que Buyoya s’en va probablement avec trois regrets. Ici, il cite l’Accord d’Arusha qui est mis à l’épreuve, les discours de haine ethnique qui sont nombreux. « Buyoya doit avoir été choqué par sa condamnation à perpétuité dans l’affaire de l’assassinat du président Ndadaye, une condamnation qui l’obligeait à ne plus revenir au Burundi et à terminer sa vie en exil. Ce n’était pas une chose facile à supporter pour quelqu’un qui a dirigé le Burundi. »

Pour lui, le président Buyoya a fait ce qu’il avait à faire. Ce qu’il a pensé être correct. Lui souhaitant de se reposer en paix, il laisse un conseil à ceux qui s’adonnent aux jugements : « Ce n’est pas le moment de porter des jugements. Respectons nos morts, faisons le deuil, et l’histoire se chargera du reste. »

Godefroid Hakizimana : « Un leader charismatique »

De son côté, Godefroid Hakizimana, président du Parti Social-démocrate (PSD) reconnaît que le président Buyoya était un leader charismatique : « C’est une personnalité qui restera vivante dans la société burundaise. Elle a marqué notre société. C’était un homme de paix, un homme d’unité nationale et de réconciliation. » D’après lui, en 1991, après Ntega-Marangara, il a fait adopter la Charte de l’unité nationale pour que la question Hutu-Tutsi puisse être résorbée à travers un pacte social. Il indique qu’en 1993, les partis politiques sont allés aux élections avec une Constitution et un code électoral qui les obligeaient d’intégrer dans leurs structures toutes les ethnies. « Et son retour en 1996 a contribué à ramener la paix dans les centres urbains malgré que dans le monde rural, il y avait poursuite de la guerre. » Pour ce politicien, le président Buyoya avait l’intention de rassembler le peuple burundais.

Même après son départ, il souligne qu’il a continué à soutenir les institutions en place et à conseiller son propre parti Uprona à rester dans la ligne de paix et de l’unité nationale.

M. Hakizimana rappelle d’ailleurs qu’en 2014, le président Pierre Nkurunziza l’a soutenu pour la candidature au poste de secrétaire général de la Francophonie. Il ajoute que M. Buyoya était un homme de parole. « Il a toujours remis le pouvoir tel qu’était recommandé dans les différents accords de cessez-le-feu et de paix. » Ainsi, Godefroid Hakizimana conseille au gouvernement de permettre à sa famille de rapatrier son corps au pays natal pour un enterrement digne.

Tatien Sibomana : « Un héritage très riche »

Le politicien Tatien Sibomana garde du président Pierre Buyoya, un héritage très riche. « Peu importe la façon dont il est arrivé au pouvoir, il a su le quitter de façon pacifique. Que ça soit en 1993, en 2003, il a transmis le pouvoir à son successeur de façon pacifique. Ce qui n’est pas courant en Afrique. » Il évoque en outre la politique de l’unité nationale qui, selon lui, s’il avait eu le temps nécessaire d’être cimenté, elle aurait produit des résultats escomptés.

D’après lui, même jusqu’aujourd’hui, il y a même quelques fruits qu’on récolte de cet héritage. M. Sibomana ajoute que l’héritage historique est l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi. « Il a préféré la négociation, le dialogue pour résoudre la crise burundaise de façon durable. » Bref, il trouve que Pierre Buyoya était un homme de paix. Ce qui a d’ailleurs poussé, selon lui, des organisations telle l’UA à lui confier des missions de résolution des crises comme au Mali et au Sahel.

Interrogé sur différentes crises qui ont marqué son règne telle Ntega-Marangara, M. Sibomana s’interroge : « Quand vous êtes un homme d’Etat, rassurez-vous que vous n’êtes jamais aimé de tout le monde. Est-ce que c’est Buyoya qui avait commandité les massacres ? Et sa gestion ? C’est discutable. »
Pour les évènements de 1993, ce politicien en même temps juriste, se demande si le verdict rendu contre Buyoya et ses ‘’co-auteurs’’ a suivi les règles. « Tant que la loi n’a pas été respectée, je les considère toujours comme des personnes innocentes. »

Pour lui, l’année 2020 est spéciale pour le Burundi qui vient de perdre deux présidents. Et de plaider pour le rapatriement de sa dépouille : « Je sais qu’il y a des gens qui en veulent au président Pierre Buyoya. Qu’on le veuille ou pas, il a dirigé le Burundi. C’est un ex-Chef d’Etat qui mérite des honneurs, des obsèques dignes d’un ancien chef d’Etat du Burundi sur sa terre natale. »

Gaspard Kobako : « Haï ou aimé, il a été président de la République »

Pour Gaspard Kobako, porte-parole du parti Cndd de Léonard de Nyangoma, le début du règne Buyoya a coïncidé avec la crise de Ntega-Marangara qui a emporté beaucoup de vies humaines. « C’est lui qui gérait. Il avait désigné un commandant pour circonscrire la crise afin que le pays ne soit pas embrasé. »

Après, est venue la politique de l’Unité nationale. En effet, explique-t-il, on a compris finalement que le pays ne pouvait pas être géré ethniquement, qu’il fallait associer tout le monde. « Même s’il est revenu au pouvoir, Pierre Buyoya a accepté de quitter le pouvoir. Il faut noter qu’il y a des présidents qui s’accrochent et préfèrent mourir au pouvoir. »

Interrogé sur les crimes que Buyoya aurait commis, M.Kobako refuse de porter une accusation en âme et conscience à quelqu’un sans les preuves réelles. « Sinon, il y a eu des morts sous son régime, il y en a qui meurent aujourd’hui. Idem pour son prédécesseur. Des avions qui sont tombés. On disait que c’est lui. Mais je n’ai pas des preuves pour confirmer ou infirmer. »

Cet opposant souhaite qu’il repose dans son pays. Il estime que même si les institutions ont décidé de ne pas sortir des déclarations après l’avoir condamné à mort, c’est son droit d’être enterré dans la terre de ses ancêtres. « Ça serait même un honneur pour le pays parce que c’est un Burundais. Haï ou aimé, il a été président de la République. Bien géré ou mal géré, il a été président de la République. »

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Qui est le président Pierre Buyoya ?

Condamné, le 19 octobre 2020, à la prison à perpétuité avec d’autres anciens hauts dignitaires dans le dossier de l’assassinat du président Melchior Ndadaye, le 21 octobre 1993, avait promis de « laver son honneur ». Il avait même démissionné de son poste de Haut représentant de l’UA au Mali et au Sahel pour se consacrer à sa défense. « Nous rejetons le verdict prononcé ce 19 octobre 2020 dans le dossier Ndadaye. Il s’agit d’un dossier politique mené de manière scandaleuse en violation de toutes les règles de droit. Nous décidons de faire appel devant les juridictions burundaises et le moment venu devant les tribunaux extérieurs », avait-il déclaré, vendredi 23 octobre 2020, dans une conférence de presse à Bamako. Cet homme d’Etat est né le 24 avril 1949 à Rutovu au sud du Burundi. Cet officier formé en Belgique à Ecole royale des cadets puis à l’Ecole royale militaire, en France à l’Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr et en Allemagne à l’Ecole de guerre, est plus connu pour ses deux coups d’Etat. Il ne reconnaîtra que le premier en 1987 contre le colonel Jean-Baptiste Bagaza. Pour le deuxième, contre Sylvestre Ntibantunganya le 25 juillet 1996, qu’il n’assumera qu’à demi-mot, le qualifiant d’« acte de sauvetage». En 2003, il remet le pouvoir à Domitien Ndayizeye afin de se consacrer à sa carrière internationale. De 2004 à 2012, Pierre Buyoya était envoyé spécial de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) pour une médiation en République de Centrafrique et l’observation d’élections en Mauritanie, au Bénin, au Cameroun, en Guinée-Bissau… En 2012, il est nommé Haut représentant de l’Union africaine (UA) au Mali et dans le Sahel. Il occupera ces fonctions jusqu’à sa démission en novembre 2020. En 2014, il était candidat à l’élection de Secrétaire général de la Francophonie. Il avait reçu le soutien du Burundi. Dans une lettre envoyée au président de la République hellénique, l’ancien Chef d’Etat burundais, Pierre Nkurunziza, écrivait : « Le Président Pierre Buyoya est une haute personnalité qui a marqué profondément la vie politique de notre pays en menant des politiques historiques: la politique d'unité nationale, la démocratisation de la vie politique qui a conduit aux élections présidentielles et législatives en 1993, les négociations de la paix qui ont rassemblé tous les partis politiques et qui ont abouti à l'accord d'Arusha pour la Paix et la Réconciliation au Burundi, la négociation d'un cessez-le-feu avec des groupes armés. » Compte tenu du bilan largement positif à la tête du pays, poursuivait-il, diverses organisations internationales lui ont souvent confié des missions tels que l'observation des élections, la médiation, le dialogue politique, missions à travers lesquelles il a rendu d'éminents services au continent africain et à l'Organisation Internationale de la Francophonie. Le défunt président est auteur des livres ’’Mission possible’’ et ’’Les négociations inter-burundaises : une longue marche pour la paix’’.

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