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Pie Masumbuko : « Une vie éclair mais éclairante »

22/03/2012 Commentaires fermés sur Pie Masumbuko : « Une vie éclair mais éclairante »

Les portraits du cinquantenaire : cette semaine témoignage du docteur Pie Masumbuko, compagnon de lutte du prince Louis Rwagasore.

« Au Burundi, on n’a une capacité extraordinaire à oublier, à effacer l’histoire ». Quand on lui demande de parler du passé, le retraité ne se fait pas prier. Pour lui, c’est un devoir, surtout envers la jeune génération. Dans le jardin de sa villa, sous un parasol, les mots sont réfléchis, dits tranquillement. A 81 ans, le docteur Pie Masumbuko parle avec l’assurance de ceux qui ne risquent plus rien. Il a déjà tout vécu. Les honneurs : il a été vice-premier ministre, ministre plusieurs fois, ambassadeur itinérant, etc. Il a frôlé la mort lors de ce qu’il appelle « les orages » qui ont traversé l’histoire du Burundi après l’indépendance. C’est une mémoire vivante. Une bibliothèque ambulante. Son album photo, répertoire de l’élite de toute une époque est une véritable nécrologie : « Rwagasore. Assassiné. Ngendandumwe. Assassiné. Bamina. Assassiné. Muhakwanke. Assassiné. Baredetse. Ngunzu. Assassiné… » Il montre les photo jaunies par le temps, chargées d’histoire. La liste donne le tournis. Et pourtant, c’est cette génération même, de Hutu et Tutsi réunis, sous le leadership du Prince Louis Rwagasore, qui avait arraché l’indépendance. Pie Masumumbuko est amer : « Rwagasore tué, l’autre leader qui pouvait reprendre le flambeau, qui avait autant de charisme, c’était Pierre Ngendandumwe. Lui aussi assassiné. C’était la voie ouverte à tous les dérapages. » Justement, de Rwagasore, qu’il avait connu à l’école primaire de Bukeye dans les années 30, le médecin à la retraite ne tarit pas d’éloge : « A l’école primaire, il ne se conduisait pas vraiment comme un enfant du roi. C’était un jeune extraordinaire, avec un grand charisme. » En 1951, selon Pie Masumbuko, Rwagasore est envoyé pour des études en Belgique. C’est là qu’il va se frotter aux milieux progressistes. D’abord par ses lectures. «Rwagasore lisait beaucoup, des auteurs qui étaient à l’index chez nous, des écrivains comme Frantz Fanon. Il échangeait aussi avec des africanistes, des Congolais notamment.» Petit à petit, raconte toujours Masumbuko, une idée a germé puis une conviction : L’indépendance est possible. De retour d’Europe, Rwagasore a commencé à parler d’indépendance à certains proches. « Mais il faut dire que le Prince prêchait dans un terreau fertile. Le peuple burundais, au fond, n’avait jamais vraiment plié sous l’envahisseur allemand d’abord, la tutelle ensuite. Des batailles mémorables sont restées dans l’histoire, les notamment les milliers de Badasigana qui ne voulaient pas reculer devant les mitrailleuses de « Digi Digi »(surnom donné à un officier allemand -NDLR). Mwezi Gisabo ne s’est incliné que pour que ses vaillants guerriers ne se fassent pas tuer jusqu’au dernier. Quand Rwagasore a parlé indépendance, l’adhésion a été immédiate » explique le retraité. Et Pie Masumbuko d’évoquer toutes les stratégies déployées par la tutelle pour combattre Rwagasore : « Intimidations, emprisonnements, créations de partis satellites, etc. » Mais rien n’arrêtera Rwagasore et ses amis dans leur lutte pour l’indépendance.

Un Tanzanien, un Hutu et un Tutsi

Sur la pensée politique même du leader de l’Uprona, Pie Masumbuko rappelle que le Prince était hanté par la lutte contre la pauvreté. Il voulait implanter des coopératives à travers tout le pays pour développer le monde rural. Et surtout, le parti qui se déchirera plus tard avec des querelles intestines liées à l’ethnie, était à la base une formation unitaire, voire panafricaniste : «  Rwagasore avait installé son bureau à Buyenzi, à la 14 ème avenue. C’est là où une machine offerte par Nyerere pour multiplier les tracts avait été installée, chez un musulman uproniste d’origine tanzanienne du nom de Mashangwa.» Selon Masumbuko, l’ancêtre de l’Uprona, le premier parti burundais, l’UNARU, l’Union du Rwanda Urundi avait été formé « par un Tanzanien, un Tutsi, Ntungunguka, le Papa de Muhozi, et un certain Bagiraneza, un Hutu » Pour l’ancien compagnon de lutte du Prince, la vision politique du Prince Louis Rwagasore se révèle avec éclat lors de son discours du 18 septembre 1961, après la victoire de son parti, juste un mois avant sa mort. « On y retrouve résumé la pensée du grand homme : l’humilité. « C’est la victoire de tout le peuple burundais ». L’appel à l’unité : «  les élections sont finies, ceux qui étaient des adversaires d’hier doivent travailler désormais main dans la main. », etc. » Au souvenir de ces paroles, le docteur a des tremolos dans la voix. Beaucoup de choses ont circulé sur les rapports entre le Roi Mawambutsa et son fils. Plusieurs sources indiquent que le roi ne partageait pas les idées nationalistes de son fils. Pie Masumbuko, très introduit dans l’entourage du Prince est formel. Les deux hommes étaient complices : « Mwambutsa soutenait son fils, mais il devait composer, il a été un fin stratège. » Interrogé sur le côté flambeur, les nombreux voyages du monarque en Suisse notamment, Pie Masumbuko est indulgent et avance une explication : « On le disait pas très haut mais Mwambutsa était très malade et devait subir régulièrement des examens. »

La réponse claque comme deux détonations

Très proche de Rwagasore, Pie Masumbuko donne un témoignage touchant sur le prince : « Je crois que c’est un homme qui avait compris qu’il ne vivrait pas longtemps. Il voulait aller vite. Et véritablement son action politique la plus intense se déploie à peine durant 3 ans à peine. De 1959 à son assassinat en octobre 1961. » Et Masumbuko de a cette belle formule qui résume admirablement le parcours du prince : « Une vie éclair mais éclairante. » Puis, avec tristesse, le docteur Masumbuko cite de mémoire, admirez la prouesse à 81 ans, les vers de l’écrivain grec Plaute : «  Il meurt jeune celui que les dieux chérissent .» Après une vie très active en Afrique (Tchad, Côte d’Ivoire, Burkina Faso,etc.), Pie Masumbuko ne compte plus les distinctions honorifiques. Lui qui a survécu à tous les orages comme il le dit, estime que « C ’est grâce à Dieu ». Il se dit également très redevable à l’amour de son épouse et ses quatre enfants qui sont « toujours restés à ses côtés pendant les moments difficiles. » Question : quel est le souvenir le plus douloureux de sa vie si remplie ? La réponse claque comme deux détonations : « L’assassinat de Rwagasore et Ngandandumwe. »

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