A l’heure de la révolution cybernétique et de l’éclosion de toutes sortes de TIC (Technologies de l’Information et de la Communication), le décès brutal de Philippe Dahinden le 1er Octobre 2012 est passé quasi inaperçu à Bujumbura. Et pourtant, ce n’est pas faute de n’y avoir pas d’amis et de n’y avoir pas travaillé ces vingt dernières années.
<doc6968|right>Je voudrais évoquer ici l’homme que j’ai appris à connaître, avec qui j’ai collaboré pour des interviews et/ou des reportages, mais surtout que j’ai beaucoup estimé et profondément aimé.
Pourtant, notre première rencontre ne fut pas du tout sous de bons auspices. Elle eut lieu à l’époque du gouvernement de Sylvie Kinigi à la suite de l’élection de Melchior Ndadaye. A ce moment, en dehors de l’organe d’information du parti vainqueur, « L’Aube de la Démocratie », et des journaux catholiques comme « Ndongozi » très mesurés, la presse nationale tant publique que privée m’est tombé dessus à bras raccourcis pour me dépeindre comme le pire des ministres liberticides que la nation ait jamais engendréi. Reporter Sans Frontière a aussitôt dépêché une mission de « facts finding » dans laquelle Philipe faisait partie. De ma vie, j’ai rarement vu, durant les investigations de RSF, un regard plus méchant que celui de Philippe Dahinden.
Plus tard, après le renversement des institutions démocratiques et l’assassinat du leadership au pouvoir dont le président Melchior Ndadaye, je retrouve Philippe Dahinden à Genève. Il me dit se souvenir de ce que je lui avais dit au Burundi lors des enquêtes de RSF et il m’a prié de lui pardonner pour sa myopie politique d’alors. Depuis, une amitié est née et chaque fois que cela était possible nous nous retrouvions. Durant mon exil en Afrique du Sud, il m’a rendu visite deux fois à Prétoria. La deuxième fois, nous avions réveillonné en famille avec sa merveilleuse compagne, la révolutionnaire angolaise Bebiana d’Almeidaii. Sa dernière visite fut ici à Bujumbura en 2007. Ensembles, nous avons visité le Centre Jeune Kamenge avec lequel il a fait une série de reportages à la Radio Télévision Suisse (RTS).
Philippe Dahinden est un précurseur de très haut niveau de la pratique du Deltaplane dans le monde. A l’origine, Philippe était un avocat Suisse appelé à vivre dans la haute bourgeoisie européenne sous les lustres et les lambris des maisons bourgeoises et tranquilles occidentales. Puis il a vécu une crise personnelle et il s’est enfoncé doucement mais résolument dans l’alcoolisme jusqu’à devenir un véritable « SDF » (un Sans Domicile Fixe) ; euphémisme pour dire un clochard tout platement… C’est l’Association des Alcooliques Anonymes qui l’a aidé à se reprendre et à devenir petit à petit l’homme que nous avons connu. Il n’a jamais cessé de fréquenter AAA. L’association était devenue aussi une partie de sa famille. Il a alors troqué la dive bouteille contre sa passion pour le jazz car c’était un pianiste de jazz doué et il fait partie de ceux qui ont animé et fait connaître le festival de Montreux à travers la Télévision de la Suisse Romandeiii. Sa seconde passion fut l’Afrique et la liberté d’expression. A la suite de la tragédie burundaise en 1993 et de la rwandaise en 1994, il remue ciel et terre pour secourir les populations et les familles dispersées, déchirées et perdues dans notre sous-région. Il l’a fait par le truchement de ce qu’il faisait de mieux c’est-à-dire par les media. Avec deux amis, Jean-Marie Etterm et François Gross, il met sur pied la Fondation Hirondelleiv en 1995 chargée de créer des media indépendants en zones de crise. Et ce sera elle qui contribuera à l’éclosion d’une radio privée dans la sous région appelée « Radio Agatashya ».
Cette radio a rassemblé des milliers de familles dispersée par la guerre et la haine des hommes durant ces vingt dernières années. Parallèlement, il a formé des jeunes au métier de journaliste au Burundi, au Rwanda, en RDC et en Tanzanie. Il leur a appris à dire la vérité, à chercher à toujours s’en approcher, à n’avoir peur que du mensonge et de la médiocrité. La Fondation Hirondelle aura très vite un rayonnement international et contribuera au retour à la paix au Kosovo, au Soudan, en Sierra Leone et au Libéria.
Quand je pense à Philippe, me viens toujours à l’esprit la morale d’Antoine de Saint-Exupéry. Méditons, en souvenir de cet homme qui a tant aimé ses sœurs et frères humains, cette phrase de l’auteur de {Pilote de Guerre} : « L’intelligence ne vaut qu’au service de l’amour »
Au revoir et merci de tout cœur Philippe !
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1 {J’étais ministre en charge de la Communication et Porte-Parole du Gouvernement. Un livre reviendra sur cet épisode en me chargeant aussi subjectivement ; il s’agit de l’ouvrage suivant : Sebudandi, G. & Richard, P. – O., "Le Drame Burundais : hantise du pouvoir ou tentative suicidaire", Paris, Karthala, 1995.}
2 {Elle fait partie des femmes extraordinaires qui ont accompagné la révolution angolaise aux côtés d’Agostino Neto depuis le maquis. Elle fera ensuite une brillante carrière diplomatique avant d’entrer au sein du système des Nations Unies. Aujourd’hui, elle se bat pour l’épanouissement des enfants pauvres de son pays.}
3 {Le festival de jazz de Montreux créé en 1967 par Claude Nobs, Géo Voumard et René Langel est mondialement connu et rassemble chaque année tous les grands noms du jazz, du rock et du blues du monde.}
4 {Fondation Hirondelle – Media for Peace & Dignity fut créée à Lausanne en 1995. Elle est de droit suisse.}