Le 6 juin dernier, le ministre de l’Intérieur, du Développement communautaire et de la Sécurité publique a fortement critiqué la démarche de déclaration des enfants sous le statut de père inconnu à l’Etat civil. Pour certains activistes, l’usage des tests ADN dans la recherche de la paternité peut atténuer ce phénomène.
« Père inconnu, qu’est-ce que cela signifie ? », s’est un brin agacé le ministre de l’Intérieur lors d’une réunion avec les gouverneurs de province. Il a demandé à l’administration à la base et aux services de l’Etat-civil de faire pression sur les mères qui enregistrent leur enfant sous le statut de père inconnu afin qu’elles déclarent l’identité des pères de leurs enfants. Pour lui, ce phénomène constitue un problème de société. Son message a fait tâche d’huile sur les réseaux sociaux burundais.
Une internaute a expliqué au ministre que plusieurs causes peuvent être à l’origine de la déclaration de l’enfant sous le statut de père inconnu. D’après elle, c’est surtout le refus de la paternité, les viols collectifs ou encore l’indiscipline de la mère. Elle estime ainsi que l’enfant ne peut pas être victime de l’irresponsabilité de son père.
Pour illustrer l’importance de la question des origines de l’enfant, David Ninganza, président de Solidarité de la Jeunesse chrétienne pour la Paix et l’Enfance (SOGEPAE), rappelle les usages en termes de salutation en vogue dans le Burundi ancien. « Gira so, gira izina, gira iyo uva… » (Que tu aies un père, que tu aies un nom, que tu aies des origines…). Donc, pour lui, quand un enfant est inscrit à l’état-civil sous le statut de père inconnu, c’est un affront contre lui et contre le pays.
Il souligne que les pères sont connus de différentes façons. Soit c’est le mari de la mère de l’enfant le jour de sa naissance ou bien il a déclaré son enfant s’il s’agit d’un enfant né en dehors du mariage. Dans ce dernier cas, fait-il savoir, il peut arriver que cela soit les juridictions qui se prononcent. Il pense de plus que ces juridictions n’ont pas les moyens nécessaires pour trouver des preuves de paternité. C’est la raison pour laquelle, estime l’activiste dans le domaine de l’enfance, il faut que le gouvernement fasse un pas en avant dans la disponibilité des tests ADN dans différents districts sanitaires.
Plus de 5 mille enfants déclarés sous le statut de père inconnu chaque année
« Quand il y aura des tests ADN, il y aura moins de pères qui refusent la paternité vis-à-vis de leur enfant», espère David Ninganza. Pour lui, ledit test aidera aussi les jugent qui font souvent face aux difficultés de trouver des preuves de paternité puisque l’acte sexuel se fait dans l’intimité. Puisque cette technologie existe, Ninganza juge qu’il faut en profiter, pas question pour lui de rester en arrière. Sinon, avertit-il, plus de 5 mille enfants sont déclarés sous le statut de père inconnu chaque année au Burundi. « C’est un danger pour l’avenir. Après 10 ans, nous aurons une nouvelle catégorie de Burundais qui vont réclamer l’identité de leurs géniteurs ».
M. Ninganza va plus loin. Il rappelle qu’un enfant enregistré sous le statut de père inconnu est issu d’une mère qui n’a pas droit à la succession. «Donc l’enfant est victime doublement ». Selon le président de SOJEPAE, bon nombre de ces enfants finissent à la rue et sont exploités économiquement. Au vu de la cherté du processus de la vérification par l’ADN, il recommande au gouvernement de le subventionner.
«Le ministre explique dans son discours que les enfants ne peuvent pas être de père inconnu. En réalité, ce qu’il dit est exact », réagit de son côté Pamela Mubeza, fondatrice de l’Association des Mamans célibataires (AMC). La militante soutient que la quasi-totalité des enfants enregistrés sous le statut de père inconnu ont des papas bien connus. Cependant, elle déplore que le ministre semble condamner les femmes qui enregistrent ainsi leurs enfants, alors qu’aucune mère, fait-elle remarquer, ne voudrait jamais faire subir cela à son enfant.
En réalité, poursuit cette activiste des droits des femmes et des filles, la loi burundaise n’est pas assez contraignante envers les hommes pour qu’ils puissent accepter leurs responsabilités en cas de grossesse non désirée. «Tout retombe sur les épaules de la femme et les pratiques socio-culturelles ne semblent pas du tout condamner les hommes qui refusent de reconnaître leurs enfants du point de vue légal. » Mme Mubeza salue beaucoup la proposition du ministre de l’Intérieur d’exiger des hommes qu’ils viennent reconnaître légalement leurs enfants. Mais elle considère que l’on ne doit pas oublier combien de filles enceintes ont déjà perdu la vie parce qu’elles ont exigé que les géniteurs reconnaissent leurs enfants.
Le ministre compris, mais…
Cependant, sans mesures d’accompagnement, juge Mme Mubeza, la proposition du ministre sera sans effet. « Il y aura des enfants qui vont injustement perdre leurs droits de citoyens, des femmes qui vont subir des violences car elles auront osé déclarer les vrais pères de leurs enfants. Notamment les femmes de ménage enceintes de leurs employeurs et le cas des adolescentes enceintes, au moment où elles dénonceront les vrais pères. Craignant que leur identité soit dévoilée, les auteurs de la grossesse s’en prendront à ces filles et femmes comme cela a déjà été constaté dans certaines provinces, » craint Pamela Mubeza.
Pamela Mubeza déplore qu’à ce jour, les hommes ont le loisir de se comporter comme des irresponsables, car la loi n’est pas assez contraignante contre eux. « Pourquoi ne pas accepter d’instaurer automatiquement le système de l’utilisation de l’ADN, au lieu des questions habituelles du genre : ‘’Vous vous êtes rencontrés où ? Combien de fois?, Etiez-vous en relation ?’’».
Elle pense de plus que la question de l’accès des femmes et des filles à la terre peut également contribuer à réduire le nombre de pères inconnus. «Lorsque les femmes ont un accès égal à la terre, elles ont plus de contrôle sur leur vie et leur corps, ce qui peut contribuer à réduire le nombre de grossesses non désirées et de pères inconnus », observe-t-elle. Elle soutient que les droits des enfants et des femmes sont étroitement liés et qu’il est essentiel de travailler à la fois sur les droits des enfants et sur l’autonomisation des femmes pour créer un monde plus juste et équitable pour tous.
« La loi est claire »
Par rapport à la déclaration des naissances, fait savoir Me Emery Bayizere, avocat associé à Salof Advocates, la loi est claire. Il indique que le Code des personnes et de la famille en son article 37 dispose que chaque enfant doit être déclaré à sa naissance. « D’ailleurs, il y a un délai qu’on ne doit pas dépasser ». Et la première personne à déclarer l’enfant, c’est son père. A défaut du père, il explique que la mère peut le déclarer, mais avec le consentement du père, selon les circonstances, comme être en mission de travail. « Il y a aussi des circonstances où on dit que toute personne intéressée peut déclarer l’enfant », précise Me Bayizere.
Quant à la paternité inconnue, souligne notre source, l’article 40 du Code des personnes et de la famille dispose que face à enfant naturel, c’est la mère qui doit déclarer la naissance et au père inconnu. « Mais cela ne veut pas dire que c’est fini, que l’enfant n’a pas de père », éclaire ce juriste. Le même code régit le régime de recherche de paternité.
encore une censure?
Selon moi la terminologie « père inconnu » n’est pas correcte. Il faudrait la remplacer par » père non déclaré » pour attenuer la nuance qui victimise l’enfant issu d’un géniteur irresponsable.
Le terme « inconnu » renferme une connotation de » inexistant » tandis que « non déclaré » a une signification plus juste, l’élément existe.
Nos législateurs devraient s’y pencher et apporter cette correction.
Comment voulez-vous qu’il n y’aient pas d’enfants qui ne se font pas reconnaitre par leurs peres dans un pays ou l’on defile a longueur des journees, en face de l’administration, en criant qu’il faut engrosser et engrosser encore une categorie de la population? Too little too late Mr le Ministre.
Les tests d’ADN coûtent chers et il n’y a aucune garantie que le laborantin qui fera le test ne va pas tricher moyenant quelques pots plein de vin. Si on doit recourir à l’ADN, il faudrait qu’on procède à au moins 2 tests faits par 2 laboratoires différents. Ce qui revient à tester 4 échantillons : 2 de l’enfant et 2 de chaque père présumé si les premiers résultats sont inconcluants.
À mon avis, ce n’est pas au gouvernement de payer. Ou s’ils décident de payer, il faudrait qu’ils mettent en place des règles claires et précises pour éviter des demandes abusives.
De toute façon, où est l’intérêt s’il n’y a aucune loi qui oblige le père à s’occuper de son enfant? L’exigence d’une pension alimentaire par une loi, jusqu’à ce que l’enfant ait l’âge adulte, pourrait servir d’incitatif encourageant les mères à déclarer le papa de leur enfant. À partir de ce moment, ce ne sera plus aux femmes seules de subir les conséquences économiques découlant de la naissance d’un enfant et de son éducation.
Une conséquence insoupçonnée : il se pourrait qu’il ait une diminution de naissances hors mariage ou hors relation maritale légale, et un engouement pour les contraceptifs. Une autre façon de contrôler la démographie.
Notez également qu’une pension alimentaire ne devrait pas être exigible seulement aux hommes. Chaque parent devrait subvenir aux besoins de son enfant, dans la limite de ses moyens.
@Gacece
» L’exigence d’une pension alimentaire par une loi,…. »
Ah non! Ne me dis pas que la pension alimentaire peut ne pas être obligatoire, pour un père qui a reconnu son enfant!
@Yan
Sous réserve de me tromper, la notion de pension alimentaire n’existe même pas dans les lois burundaises!
C’est un terme juridique à ne pas confondre avec la ration (repas) quotidienne d’une famille.
Tous les parents qui reconnaissent leurs enfants ne s’en occupent pas. Dans le meilleur des mondes, tout parent devrait subvenir aux besoins de sa progéniture jusqu’à son âge adulte. Si vous avez vécu un tant soi peu au Burundi, vous savez que ce n’est pas le cas. Je connais des familles dont un des parents (vivant encore sous le même toit) préfère dilapider l’argent familial dans les boissons plutôt que de payer le minerval de leur enfant… ou d’y contribuer.
Imaginez-vous alors quand les parents sont séparés et qu’il n’y a aucune disposition légale qui les y contraint.
Une loi donnerait à l’’État le pouvoir de prélever à même la source (employeur, comptes bancaires, ou autres débiteurs et sources de revenus) un pourcentage destiné à couvrir les besoins des enfants vivant à une autre résidence que le parent.
Jusqu’à ce que l’enfant devienne autonome, adulte ou finisse ses études, les parents devraient être obligés par une loi, de s’en occuper… même quand ils ne le veulent pas.