Accusés de détournements des taxes et impôts collectés, des percepteurs de taxes et impôts ont été remplacés par la mairie de Bujumbura. Leurs remplaçants affichent déjà des recettes supérieures. Faux, rétorquent les anciens agents, les taxes ont été augmentées.
Par Pacifique Gahama, Abbas Mbazumutima, Dorine Niyungeko
Mardi, 16 heures, à la barrière de perception des taxes municipales communément appelée «Iwabo n’bantu», au nord de la capitale Bujumbura. De nouveaux jeunes percepteurs recrutés par le ministère de l’Intérieur du Développement communautaire et de la Sécurité publique pour la collecte et la perception des taxes et impôts sont en action.
Des éléments de la police chargée de la protection des institutions assurent la sécurité de ces nouveaux agents. Ils arrêtent tous les véhicules et les vélos qui transportent des marchandises venant de l’intérieur du pays. Les percepteurs eux contrôlent les marchandises et les taxent en fonction de leur nature et de la quantité. Les taxes varient entre 500 et 200 .000 BIF comme l’indique un des percepteurs rencontré sur les lieux.
Il indique qu’une somme comprise entre deux millions cinq cents et trois millions de BIF est perçue par jour contrairement à deux cent mille correspondants au montant versé dans les caisses de la mairie par les anciens percepteurs. Chaque poste de barrière compte 8 agents. Ils sont regroupés en deux équipes : quatre pour le programme du jour et le reste pour le programme de nuit.
Les anciens percepteurs d’impôts et taxes réagissent
P. K., ancien percepteur des impôts et taxes en mairie de Bujumbura rejette en bloc les accusations du ministre de l’Intérieur. «Aucune taxe ou impôt n’a été détourné. Toutes les taxes collectées étaient déposées sur les comptes de la mairie.»
Cet ancien percepteur des impôts admet tout de même que les taxes collectées par les nouveaux agents du ministère de l’Intérieur ont augmenté. Mais il situe les explications ailleurs. «Le ministère a fixé de nouveaux tarifs plus élevés par rapport aux tarifs appliqués par les anciens percepteurs.» Il donne l’exemple des camions qui transportent les moellons et le sable. Avant, ils payaient 2000 BIF par tour mais avec les nouveaux tarifs, ils payent 10000 BIF par tour. Les taxes journalières des vendeurs de diverses marchandises sont passées de 200 BIF à 500 BIF.
Une autre explication fournie par cet ancien percepteur des impôts est l’augmentation de l’assiette fiscale : «D’autres activités génératrices de revenus font maintenant l’objet d’imposition.» Il donne l’exemple du fumier et des herbes servant à l’alimentation du bétail.
E.G., un autre ancien percepteur en mairie de Bujumbura, révèle que la collecte des taxes et impôts constitue un mystère : «Pour être affecté dans le département chargé de collecte des impôts et taxes, on devrait soudoyer certains responsables municipaux. A la fin de la semaine, le percepteur versait un certain montant au responsable qui l’a affecté dans ce département.»
Le ministre remonté contre les anciens percepteurs
«40 milliards de francs burundais est le manque à gagner de taxes annuelles selon un audit mené dans 10 communes de l’intérieur du pays par an et 121 millions de BIF par semaine en mairie de Bujumbura,» a indiqué, Gervais Ndirakobuca, le ministre de l’Intérieur, du Développement communautaire et de la Sécurité publique.
Ces détournements ont été annoncés lundi 15 février, lors d’une réunion tenue avec le maire de la ville, les administrateurs communaux, les chefs de zone, les commissaires des marchés et des commissaires de la police nationale à l’Hôtel de Ville.
Présentant les résultats d’une « semaine témoin » de perception des taxes communales effectuées à la fin du mois de janvier de cette année, le ministre Ndirakobuca a fait savoir que 121 millions de francs burundais supplémentaires ont été collectés en une semaine par de nouveaux percepteurs en mairie de Bujumbura. Par ailleurs, souligne le ministre en charge du Développement communautaire, plusieurs percepteurs des impôts et taxes municipaux ont été remplacés. « L’argent du contribuable doit aller dans le trésor public et non dans les poches des percepteurs de taxes. C’est fini la récréation. Gare à ceux qui mettent les bâtons dans les roues de l’Etat!», a-t-il averti.
Le ministre Ndirakobuca a déploré, en outre, le comportement des commissaires des marchés. «Ils n’ont pas facilité la collecte des taxes au cours de la « semaine témoin. Les nouveaux percepteurs des impôts et taxes du ministère en charge du Développement communautaire n’ont pas eu accès à certains marchés de la mairie de Bujumbura. Certains commissaires ont menacé nos agents. Ils disent qu’ils vont en découdre avec eux, écraser leurs têtes !»
Le haut responsable du gouvernement a déploré également le flou qui régnait dans la perception des taxes et impôts en mairie de Bujumbura. «La municipalité cache pas mal de choses. Les taxes sont collectées, mais la mairie n’en bénéficie pas. C’est devenu une propriété privée.»
Sur un ton sévère, le ministre Ndirakobuca a mis en garde les commissaires des marchés de la mairie de Bujumbura. «Celui qui a été nommé commissaire d’un marché espérant ou croyant qu’il va construire une belle villa communément appelé Gasekebuye avec l’argent du contribuable qu’il se désillusionne, qu’il arrête ! Je dis assez !» a-t-il mis en garde.
Il a cité certaines places concernées par ce genre de détournement : Mubone, Buterere, Muha, Kanyosha, Masama, Bata, Mirango, le marché du petit bétail de Kamenge et les abattoirs de Ruziba et Kamenge. Le ministère a essayé de chercher des statistiques de base en vain.
Le ministre en charge du Développement communautaire a lancé des avertissements aux anciens précepteurs des impôts et taxes: « qui sera attrapé en train de percevoir des taxes aura de gros ennuis. Un procès de flagrance sera ouvert.» Les chefs de zone, les administrateurs, les commissaires des marchés, allez collaborer avec les nouveaux percepteurs», a intimé le ministre Ndirakobuca.
S’adressant aux commissaires des marchés, il a clairement signifié à ces responsables que le gouvernement burundais ne va pas reculer. « Je vois certains commissaires qui se grattent à la tête. Protestez, mais sachez que le programme ne va pas changer. Allez dire à un certain Richard de Kamenge, de ne plus passer des nuits sur la barrière en collectant des taxes. Qu’il rentre, c’est fini ! », a encore lancé le ministre Ndirakobuca.
L’Olucome en phase avec le ministre, pour une fois
La dernière sortie médiatique du ministre burundais de l’Intérieur, du Développement communautaire, de la Sécurité publique sur les détournements des taxes communales a laissé Gabriel Rufyiri, président de l’Olucome, sans voix.
«C’est inouï ! Je suis à 100% d’accord avec ce que le ministre Gervais Ndirakobuca a déclaré », s’est réjoui le président de l’Olucome.
Selon lui, le ministre a dit que ’’le pays est mort’’ mais l’Olucome avait dit que ’’le pays est au point mort’’. « Nous voyons que les 121 millions de francs burundais détournées chaque semaine est un montant colossal. Si on multiplie cette somme par mois, par an et par les 119 communes, c’est énorme », s’indigne Gabriel Rufyiri.
Depuis sa création, il y a 18 ans, fait-il remarquer, l’Olucome est dans l’investigation et la dénonciation et le constat est que ces pratiques sont un peu partout au niveau de ces percepteurs des taxes et des impôts. « Tout cela, c’est en amont, mais en aval, les fonds publics sont également détournés. C’est toute une chaîne ».
Et malheureusement, regrette Gabriel Rufyiri, c’est du sommet à la base, presque tous les gestionnaires des fonds publics comme la plupart de ceux qui sont chargés d’attribuer des marchés publics, exigent de l’argent pour tel service ou pour faire passer telle offre. « Et cela c’est au vu et au su de tout le monde, je le dis et je le répète, les corrompus et les corrupteurs sont devenus plus forts que l’Etat ».
« Mon pays va mal »
Selon lui, c’est l’enrichissement illicite et le ministre de l’Intérieur a bien souligné que la plupart des anciens percepteurs des impôts et taxes sont en train de construire de belles villas. « Imaginez-vous que ces gens en arrivent à menacer de tuer leurs remplaçants, s’ils osent toucher à leur chasse gardée. Le pays va mal ».
L’Olucome plaide pour un audit général de l’Etat : « Il faut que le président de la République commandite cette étude et passe au peigne fin tous les secteurs gangrénés et trouve une voie à suivre ».
Pour Gabriel Rufyiri, après avoir fait ce constat amer avec des détournements opérés par les anciens percepteurs, il faut faire des enquêtes et traduire en justice ces gens pour qu’ils répondent de leurs actes. « Il ne faudrait pas que ces percepteurs véreux se retrouvent casés dans d’autres services ».
Cet activiste de la lutte anti-corruption semble douter et remet en question cette volonté de réprimer et de sévir : « Si ces percepteurs des taxes sont des militants du parti au pouvoir, des gens vont tout faire pour qu’ils ne soient pas poursuivis. Il faut que tous les corrompus, à tous les échelons soient débusqués et écartés de tous les services publics ».
D’après Gabriel Rufyiri, il faut que les discours officiels soient suivis par des actes concrets. « C’est à ce prix que le pays reprendra son souffle et pourra avancer ».
Eclairage d’un expert en fiscalité
Jean marie Vianney Ndoricimpaye, professeur à l’Université du Burundi, estime qu’il faudrait une réorganisation au niveau de la perception des taxes et impôts communaux pour qu’il puisse y avoir des vérifications fiables. « Si c’est pendant la «semaine témoin» qu’on a constaté cette différence de 121 millions de BIF en mairie de Bujumbura, cela témoigne qu’il y a eu beaucoup de détournement au cours des années antérieures.»Ce fiscaliste considère le détournement des impôts et taxes opéré par les percepteurs des taxes comme une faute assez grave. «Ils avaient des règles à suivre. Ils ont signé des contrats avec la mairie. Ils savaient très bien que les fonds publics doivent être protégés et que personne ne doit les utiliser juste pour satisfaire ses propres intérêts.»
Il salue cette initiative du gouvernement burundais et l’encourage surtout à sanctionner tous ceux qui détournent les fonds publics. « La loi doit s’appliquer. Si un salarié ou un fonctionnaire ne satisfait pas aux exigences de l’employeur, il doit être démis de ses fonctions.»
M. Ndoricimpaye explique la situation alarmante observée à l’intérieur du pays par le laisser-faire. «Les percepteurs des taxes à un certain moment n’étaient pas contrôlés. Certains restaient même chez eux pour vaquer à leurs travaux laissant de côté le travail d’intérêt primordial pour l’Etat et la nation.»
M Ndoricimpaye souligne que les taxes collectées devraient arriver dans les caisses de l’Etat. Et comme le constat est amer, il conseille aux autorités de former les percepteurs d’impôts et taxes et de leur rappeler la déontologie ou l’éthique qui doit caractériser les personnes qui doivent gérer la chose publique.
Il faut aussi sensibiliser la population, les contribuables pour que chaque citoyen sache qu’en payant les impôts et les taxes il est en train de contribuer au développement de son pays. Qu’il va en bénéficier indirectement notamment à travers la formation l’éducation des enfants, la construction et l’entretien des routes, etc .Il faudrait qu’il y ait une réorganisation au niveau des communes pour qu’il y ait des vérifications fiables.
M .Ndoricimpaye évoque les raisons avancées par les percepteurs des impôts et taxes pour détourner les taxes : la pauvreté, le salaire bas des percepteurs d’impôts et taxes et d’autres. Ils sont donc tentés de s’enrichir rapidement en piquant dans les richesses publiques.
Aux grands maux les grands remèdes !
La corruption fonctionne bien en réseau. Celui qui détourne les taxes et les impôts le fait sous la protection d’un supérieur à qui il transmet les enveloppes, lui-même à son tour transmet les enveloppes à une autorité supérieure qui le protège, ainsi de suite. Quelques fois le réseau se grippe, et pour faire bonne figure, quelques décisions cosmétiques doivent être prises : c’est le maillon le plus faible (ici le percepteur) qui saute comme un fusible. Le système est ainsi protégé. Il y a donc très peu d’espoir que le Ministre aille « au fond de sa logique louable ». Trop dangereux.
J’ai assisté à ce que Gervais explique très bien au Nigéria il y a quelques années. Au poste de frontière par lequel je suis entré pour y faire quelques emplettes dans un marché proche et retourner chez moi le même jour, j’ai présenté mon passeport à l’agent d’immigration qui ne l’a même pas ouvert pour s’assurer que j’avais un visa d’entrée. Or, je n’en avais pas. Ce qui intéressait cet agent, c’était que je remette un billet de 20 nairas comme tous ceux qui se trouvaient dans même la file que moi. Cette collecte d’argent se faisait au vu et au su de tout le monde sans que personne ne s’en émeuve. J’ai ainsi pu voir de mes yeux plusieurs liasses de nairas entassées sur un banc. Ce travail de collecte s’effectue à longueur de journée.Cela a au moins le mérite d’une pratique claire et connue de tout le monde contrairement à ce que nous voyons chez nous. Burya ngw’inyamanza irya ubumera ikanka icese?
A mon retour du marché, j’ai récupéré mon passeport auprès du même agent toujours sans le moindre contrôle. En cours de route vers chez moi, un ami qui connaissait bien la corruption dans ce pays m’a alors expliqué le système de partage du » blé » ainsi illégalement collecté.
Sur ce sujet on a tout un tas de questions que l’on peut se poser .
Si on accuse tous les anciens percepteurs d’impôts de corruption ….vont ils être présentés devant les juridictions ?
Et les nouveaux …ne vont ils pas faire la même chose dans quelques mois ?
il ne faut jamais apporter une petite solution pour un problème très sérieux .
C’est surtout la façon dont on collecte ces impôts qui pose problème .
sinon les nouveaux percepteurs feront la même chose mais peut-être avec une nouvelle technique
Bravo monsieur le ministre .
Mais je connais un pays où quand une faute grave est commise, on demande aux échelons supérieurs d’abord de s’expliquer.
Ces percepteurs bari bafise ababatwara.
Vyagenze hurtyo bari hehe?
A propos, si les percepteurs construisaient des maisons à Gasekebuye? Eux ne construisaient nulle part?
Allez, Monsieur le ministre, au fond de votre louable logique.
La police de roulage au Burundi est corrompue aussi. Il y a même un billet de banque dédiée aux agents réhlementant la circulation.
A quand leurs tours?