Vendredi 22 novembre 2024

Société

Pénurie du carburant: Plus les jours passent, plus l’espoir s’envole…

Pénurie du carburant: Plus les jours passent, plus l’espoir s’envole…
Une queue de voitures à la station Pont Muha sur la RN3.

Bientôt un mois, la pénurie de carburant bat toujours son plein en mairie de Bujumbura, les automobilistes ne savent plus à quel saint se vouer. Certaines sociétés risquent de mettre la clé sous le paillasson. Pire, avec le carburant conservé dans les ménages, des accidents sont à craindre. Iwacu a fait à pied le tour de la ville.

Par Hervé Mugisha, Egide Harerimana, Renovat Ndabashinze, Guy Arsène Izere et Alphonse Yikeze

11 heures. A la station dite « Pont Muha », sur la RN3, les voitures en attente de carburant forment des queues gigantesques. Une file part de la station-service et s’étire jusqu’aux abords de l’école internationale sur la même RN3. Une autre partie de la station-service, longe une partie de la façade nord de l’école belge avant de s’aligner sur une grande partie de la belle avenue Yaranda qui traverse le quartier Kabondo.
Les conducteurs de taxi-motos, venus avec leurs réservoirs, sont allongés, exténués, à côté des pompes à essence de la station-service désertée par ses employés.

« J’ai stationné mon véhicule pour attendre le carburant depuis dimanche », confie K.G, un conducteur de taxi-voiture. Il fait savoir que son manque à gagner quotidien lié aux heures d’attente aux stations-service tourne aux alentours de 70.000 BIF. « Quand des employés sont présents ici, ils nous assurent que le carburant nous sera servi très bientôt. Or, certains automobilistes sont ici depuis jeudi », se lamente K.G.

S.R, lui, a passé la nuit de lundi à mardi à cette station-service. « J’ai passé toute la journée à chercher du carburant auprès de plusieurs stations-service, en vain. A 19h30, je me suis résolu à venir stationner », témoigne le propriétaire d’une voiture auto-école. L’homme d’un âge mûr avance un manque à gagner avoisinant les 50.000 BIF par jour.
La mélancolie de l’enseignant de la conduite automobile est palpable. « Je n’ai presque plus de quoi nourrir mes enfants, car l’auto-école est ma seule source de revenus », lâche S.R, amer.

Marché noir du pétrole

Mercredi 27 avril, 17 heures. Retour à la station « Pont Muha. » La fourniture de carburant tant attendue vient à peine de commencer que des heurts éclatent entre les automobilistes et les taxi-motards. Ces derniers, venus se procurer de l’essence à l’aide de réservoirs, sont la cible de la part des automobilistes en colère. « Le carburant dont ils se procurent est destiné à la revente clandestine pour des automobilistes fortunés. Ce n’est absolument pas normal qu’ils bénéficient de carburant avant d’autres alors qu’ils ne se mettent jamais en rangs contrairement à nous ! », se plaint un automobiliste rencontré sur les lieux.

Les disputes s’enveniment. Le brouhaha s’installe. Les policiers présents sont vite débordés et les pompistes suspendent la fourniture de carburant. Le temps que l’ordre revienne. « Pourquoi les taxi-motards se risqueraient-ils à continuer à travailler à perte alors qu’ils peuvent se procurer du carburant qu’ils revendent illégalement », confie un autre automobiliste.

Habitué à se procurer du carburant au marché noir, F.D raconte les coulisses de ce trafic. « Un réservoir rempli absorbe 12 litres d’essence. Un taxi-motard sans scrupules va le revendre 6000 BIF le litres. En considérant qu’il va verser le montant équivalent à un litre d’essence par jour, il va empocher 66.000 BIF en une seule journée. Une bonne affaire pour lui ! ».

Transport en commun, un casse-tête

Manque de bus, de longues files d’attente, des spéculations sur les prix de transport, le transport en commun en mairie de Bujumbura devient de plus en plus un casse-tête. La population appelle le gouvernement à annoncer des solutions sur la pénurie du carburant.

« Les bus ne sont pas disponibles. Nous sommes vraiment fatigués. On est obligé de marcher des kilomètres chaque matin pour aller au travail dans le centre-ville et le soir pour rentrer », se lamente un habitant de Kanyosha dans le sud de la mairie de Bujumbura rencontré ce matin 26 avril. Il raconte qu’il soit souvent en retard pour manque de déplacement.
A 7h, mardi 26 avril, plusieurs habitants de la zone Musaga attendaient les bus sur différentes avenues. A l’arrivée d’un bus, après une longue durée d’attente, des combats pour entrer. Seuls les plus forts physiquement obtiennent des places. Désespérés, d’autres décident de marcher pour ne pas être en retard. Un flux d’hommes, femmes, enfants en uniformes se déplacent à pied à destination du centre-ville.

« La situation devient plus compliquée. Ces dernières semaines, le manque de bus se remarquait dans le centre-ville surtout dans la nuit, mais aujourd’hui on doit aussi marcher pour aller au travail les matins », regrette une quinquagénaire, habitant la zone Musaga. Elle soutient que le manque de déplacement rend la vie plus chère dans la ville de Bujumbura.

Même son de cloche avec les habitants des quartiers du nord de la ville de Bujumbura. Des longues files d’attente pendant la nuit forcent certains à rentrer à pied malgré une longue distance à parcourir.
« Au lieu de passer des heures sur la file d’attente dans le centre-ville, je préfère marcher. Malheureusement, la situation est devenue la même les matins quand on doit quitter les quartiers pour vaquer au travail. « C’est stressant », fustige un habitant de la zone Kamenge.

Des spéculations sur les prix de transport

Des passagers se battent pour entrer dans un bus.

« Avec la pénurie du carburant, des conducteurs maltraitent les clients. Lorsqu’on paie 500 BIF pour un trajet où on devrait payer 450 BIF, ils retiennent tout sous prétexte qu’ils n’ont pas de monnaie d’échange », se plaint un passager dans le centre-ville. Et de déplorer que certains bus transportent un nombre de passagers supérieur à leur capacité.
Pour ceux qui ne supportent pas l’attente des bus et trouvent difficile de marcher et font recours aux taxis voitures, ils dénoncent la hausse infondée des prix de transport.

« Ces derniers jours, on prenait un taxi à quatre et on payait 1500 BIF chacun pour arriver à Kanyosha. Hier, les taximen ont profité du manque de bus pour doubler les prix », regrette une passagère habitant la zone Kanyosha. Elle appelle l’administration et la police à protéger la population contre ces spéculations.

Les conducteurs des bus nient toute spéculation sur les prix de transport : « Malgré la pénurie du carburant, nous n’avons pas haussé les prix. Nous attendons une décision émanant de la haute autorité.» Néanmoins, ils demandent que le ministère du Transport revoie les prix.

Pour les conducteurs des taxis, la hausse des prix du transport est évidente. « On peut passer même trois jours sans carburant. Plusieurs stations-service sont sèches. Il faut recourir au marché noir pour acheter un litre à un prix variant entre 5000 et 15 000 BIF », explique un taximan. Et d’appeler le gouvernement à prendre des mesures adéquates pour juguler la pénurie du carburant.


Face à ses multiples conséquences, la débrouillardise

C’est une issue quasi incertaine face à la très pertinente et préoccupante question liée à la pénurie du carburant. Outre les conséquences directes sur la vie quotidienne, les effets ont commencé à se faire sentir sur le fonctionnement tant des institutions publiques que des entreprises privées.

De longues files d’attente attendant un bus en plein centre-ville.

Quasi à l’abri dans un premier temps, les sociétés (entreprises/ privées ou institutions publiques ne sont plus épargnées par l’actuelle pénurie du carburant. Certes, tous ne sont pas touchées de la même manière. Mais, les effets sont évocateurs. Dans les directions respectives, l’alerte est maximale.
A en croire des témoignages concordants, certaines entreprises auraient déjà franchi le Rubicon. En témoigne, N.D, chauffeur dans la société de transport Volcano.

A la maison, depuis bientôt deux semaines, il se dit inquiet. « Au départ, certaines lignes ont commencé à ne plus être desservies. Après notre responsable est venu dire qu’au vu de la situation, il était préférable que nous rentrions chez nous, le moment venu qu’il nous appellera. Depuis, c’est le silence radio ». Bien qu’il affirme qu’ils continuent de percevoir leurs salaires. Pour lui, il est clair comme de l’eau de roche que si la situation reste ainsi, ce sont leurs emplois qui seront supprimés.
A la peine, ce sont également, les sociétés de télécoms. Selon des sources à l’interne, toutes ont déjà activé « l’alerte rouge ».

Les réservoirs de motos sont désormais démontés pour chercher le carburant.

Suite à la pénurie, à certaines heures en fonction de la densité et de l’activité économique. Dans certaines localités du pays, leurs antennes de relais sont en veilleuse voire à l’arrêt. « Un sauve -qui-peut » pris à contre-cœur, surtout qu’il engendre des manques à gagner sans nom », regrette un cadre sous anonymat de la société Smart Mobile. Rien qu’en deux semaines, leur chiffre d’affaires va decrescendo. « Et si la situation perdure, sans doute que nous allons procéder aux ajustements budgétaires ».

Pour préserver le peu qui reste de leurs stocks, ce cadre indique que depuis quelques jours ils font recours au marché parallèle. « Au risque que les groupes de secours soit à sec et tombent à l’arrêt, autant acheter le litre à 7 – 8 000 BIF ». Toutefois, concède-t-il, une alternative de courte durée, parce que si la situation se corse. « Je ne vois pas comment on pourra alimenter un groupe électrogène de 500Kva qui consomme environ 10.000litres par semaine »

Même cas de figure au sein du ministère de la Santé publique. F.R, chauffeur dans le district sanitaire de Cankuzo, est assez catégorique. Il voit mal comment ils pourront réquisitionner les médicaments s’ils peinent à avoir 50 l pour le groupe électrogène de l’hôpital provincial. « Si des mesures claires ne sont pas prises, sans doute que l’on risque de faire face à des ruptures de stocks de médicaments. Au cas échéant à de très graves problèmes en cas de transfert de malades »

Entre autres, conséquences directes de cette pénurie de carburant, les chantiers au point mort. S.E, est chauffeur de bennes sur le chantier en construction de la RN17. Bientôt une semaine que sa benne est sans carburant, il ne désire qu’une chose : rentrer chez lui au lieu de dépenser sans rien gagner.

Des vies en danger suite au carburant

Les compagnies de téléphonie mobile craignent de mettre leurs antennes à l’arrêt.

Des victimes sont déjà là. A Kinama, commune Ntahangwa, au nord de Bujumbura. Selon Astère Niyokwizera, chef de zone Kinama, un incendie s’est produit, dimanche 24 avril, dans le quartier Carama, à la 6ème Avenue, suite à l’essence. « Un motard est allé chercher du carburant. Comme ils ne sont plus autorisés à aller dans cette zone, il a amené le réservoir. Normalement quand on voit de tels gens chercher du carburant dans ces objets, on croit qu’il va utiliser cela dans le transport. »

Malheureusement, déplore cet administratif, quand il est rentré, d’autres jeunes gens sont venus. «
Ils se sont partagés la quantité reçue dans des petits flacons peut-être pour la revendre sur le marché noir. Et ils l’ont fait tout près d’un braséro. Et un incendie s’est déclaré : trois enfants ont été blessés dont deux grièvement.
M. Niyokwizera interpelle la population. « Il faut respecter la mesure du maire de la ville interdisant l’usage des bidons pour chercher du carburant. C’est un danger public de conserver l’essence dans les maisons”. Selon lui, l’essence s’enflamme très rapidement et facilement. « Ce qui peut causer des dégâts énormes, des morts. »

Au moment où nous mettons sous presse, le ministère de l’Hydraulique, de l’Energie et des Mines vient de revoir à la hausse les prix des produits pétroliers à la pompe. L’essence passe de 2700 BIF à 3250 BIF le litre, le mazout de 2650 BIF à 3450 BIF. Quant au pétrole, il passe de 2450 BIF à 3150BIF le litre.

Signalons également qu’au sortir de la prière œcuménique organisée tous les derniers jeudis du mois par le parti au pouvoir, le Chef de l’Etat s’est exprimé par rapport à l’actuelle pénurie du carburant. Via le compte officiel de la présidence de la République, il a promis que « Des solutions seront bientôt communiquées ». Une occasion pour lui de féliciter le peuple burundais pour sa sérénité.


Réactions

Mettre en place une stratégie de gestion de la situation, plaide l’ABUCO

Noël Nkurunziza : «Les policiers doivent être vigilants pour éradiquer la spéculation de certains conducteurs. »

Noël Nkurunziza, secrétaire général de l’Association Burundaise des Consommateurs (ABUCO), regrette que la situation perdure : « Les longues files d’attente des véhicules, des personnes espérant avoir de bus, une hausse exponentielle du ticket de transport des personnes et des marchandises, et bien d’autres impacts sur le quotidien des burundais. Cela a trop duré ».

Pour lui, le gouvernement devrait mettre en place une stratégie de gestion de la situation actuelle, avant de trouver une solution durable pouvant atténuer le choc : « Partager le carburant disponible en évitant de faire le plein, de telle sorte que tous les véhicules surtout ceux assurant le transport en commun soient priorisés, déployer les forces de l’ordre pour garantir le respect du ticket de transport, etc. »

Autre bémol, le comportement de certains conducteurs. « Ils font le plein de leurs voitures et à la fin, ils vident le carburant pour le revendre à un prix élevé ». Selon M. Nkurunziza, une malhonnêteté spéculative doit cesser au risque d’empirer la situation. « Les policiers doivent être vigilants pour éradiquer ce comportement. »

Olucome condamne le silence du gouvernement

Gabriel Rufyiri : « Le gouvernement devrait prendre des mesures efficaces pour atténuer le choc.»

Gabriel Rufyiri, trouve que cette pénurie du carburant est due aux causes endogènes et aux causes exogènes.
Les principales causes endogènes sont entre autres : « Une seule société approvisionne en grande partie le pays, le manque d’un stock stratégique. Une situation aggravée par le peu de devise et qui ne sont pas distribuées équitablement entre les importateurs. »

Quant à la cause exogène, la crise russo-ukrainienne, il rappelle qu’il est difficile de l’éviter. Mais, il est possible de changer la donne face aux causes endogènes.
Plus déplorable, M. Rufyiri regrette qu’aucune mesure n’ait été prise jusqu’à présent pour limiter l’impact de cette pénurie. Le pire d’après lui, c’est que le gouvernement garde son silence alors qu’il a le devoir moral de communiquer : « Même les communiqués du Conseil des ministres ne disent rien dessus. Il est urgent d’avoir un message du gouvernement sur ce qui est en train d’être fait. »

Au vu des conséquences de cette pénurie du carburant, le président de l’Olucome indique que le gouvernement devrait prendre des mesures efficaces pour atténuer le choc et éviter de telles situations dans l’avenir, notamment en constituant un stock stratégique, en explorant toutes les voies pour la canalisation des devises.

Il conseille au gouvernement que dorénavant pour donner une autorisation à une société qui veuille importer du carburant, il faut tenir en compte sa capacité logistique et sa capacité d’avoir le crédit-fournisseur.
« Le plus important est d’exiger à ces sociétés de constituer un stock de sécurité et avoir un réseau de distribution (louer ou construire leurs propres stations-service) ».

Quand bien même victime des menaces lui empêchant de parler dans les médias par rapport aux problèmes qui hantent le pays, M. Rufyiri rappelle : « La liberté de parole est garantie par la Constitution du pays. Ce que nous faisons, c’est dans le but de contribuer et non de nuire à l’image du pays. »
Contacté, le directeur général d’Énergie au sein du ministère de l’Hydraulique, de l’Energie et des Mines, nous a promis de s’exprimer ultérieurement.

Hausser le prix à la pompe, plaident les importateurs

Une station d’Interpetrol en train de servir du carburant.

Plusieurs importateurs du carburant contactés sont unanimes. Ils convergent à dire qu’une une hausse du prix à la pompe quelque peu permettra de désamorcer la situation. La raison : pour le moment, ils travaillent à perte. Des propos que corrobore un employé de la société Mogas, sous le sceau de l’anonymat. Ce dernier révèle que le peu de carburant disponible n’est pas distribué suite au prix de vente jugé minime.

Bien qu’à demi-mot, Interpetrol soutient cette hausse. Un haut cadre de cette société explique que contrairement à ce qui se dit Interpetrol n’a pas diminué la quantité du carburant importée. Avec cette pénurie, il dit qu’Interpetrol s’est trouvée confrontée à une forte demande, résultant d’une nouvelle catégorie de clientèle auparavant servie par d’autres importateurs, dont les stocks sont à sec actuellement. D’après ce cadre, une situation complexe. « Il nous est difficile de servir tout le monde ».

Face à cette situation, notre source affirme que la priorité est d’abord accordée aux stations gérées par Interpetrol et leurs clients habituels. « Ceux qui viennent parce qu’ils en manquent chez leurs habituels fournisseurs, vous comprenez qu’ils sont servis après ».

Forum des lecteurs d'Iwacu

2 réactions
  1. Jereve

    Mais il n’y a rien de nouveau: nous subissons des pénuries de carburant depuis des dizaines d’années. Aujourd’hui le covid et la guerre russo-ukrainienne ne font seulement qu’exacerber le phénomène. Cela signifie que nous avons depuis longtemps échoué à élaborer des stratégies pour faire face à toutes ces pénuries récurrentes. L’état ayant perdu la main dans ce dossier, quelques petits malins en profitent pour se remplir les poches par diverses contrebandes. La crise est pour eux une aubaine, ils ont compris comme d’ailleurs tous les adeptes de la corruption que « urutaguhitanye, ruraguhitaniza », littéralement, ce (crise) qui ne t’emporte pas t’apporte (des richesses – mal acquises, bien sûr).

  2. Kamana

    Situation mondialement compliquée. Au fait, le carburant utilisé au Burundi est importé de quel pays ? Il y a quelques années, si mes souvenirs sont bons, le Burundi avait signé des accords avec une banque russe. Notre pays ne détient pas des roubles dans cette banque pour importer du carburant russe dont les Européens ne veulent pas payer en roubles ?

    https://www.leparisien.fr/international/gaz-russe-barbara-pompili-assure-que-les-factures-europeennes-seront-payees-en-euros-et-en-dollars-02-05-2022-F3U6HULG2BE45EJS2CSS6DKR4U.php

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