Jeudi 30 janvier 2025

Économie

Pénurie des carburants : Une crise qui se renforce

Pénurie des carburants : Une crise qui se renforce
File d’attente des passagers à l’arrêt bus du centre-ville de Bujumbura.

Depuis le 6 janvier 2025, les stations-service sont presque totalement à court de carburants et particulièrement l’essence. Les coûts de transport ont explosé plongeant ainsi la population dans une situation de plus en plus difficile.

Les files d’attente sur les stations-services ont disparu. Les pompes sont vides des carburants. Autour du marché central de Cotebu, la scène a radicalement changé : les parkings, autrefois pleins de véhicules, sont désormais presque désertés. Les passagers, auparavant nombreux à se presser pour monter dans les minibus, sont rares.

Les chauffeurs, quant à eux, sont contraints de solliciter les clients pour remplir leurs véhicules. « Avant, les gens venaient en grand nombre. Mais, avec l’augmentation des tarifs, les déplacements sont devenus très rares », confie un chauffeur, visiblement frustré. La situation est encore plus tendue depuis l’aggravation de la pénurie des carburants. Même les quelques véhicules présents dans les parkings peinent à se repartir.

« Normalement, à 9h, il n’y avait plus de place ici. Aujourd’hui, personne ne se déplace plus comme avant », raconte-t-il désabusé.

Les tarifs du transport font peur

Comme les chauffeurs sont obligés de s’approvisionner sur le marché noir, les frais de transport ont explosé. Sur la route reliant Bujumbura à Ngozi par exemple, les prix des trajets en minibus ont doublé, passant de 15 000 à 30 000 Fbu par personne. « Comment voulez-vous que l’on gère un bidon de 20 l à 500 000 FBu ? », s’indigne un chauffeur, en évoquant les prix exorbitants des stocks obtenus illégalement. « Cela fait presque un mois qu’on n’a pas vu de carburant dans les stations. Il nous reste peu de choix : acheter à un prix fort ou mourir de faim », déplore un autre chauffeur soulignant la précarité de la situation.

Les chauffeurs, fatigués de la situation, constatent un manque criant de passagers. « Il fut un temps où passer une semaine sans carburant dans les stations était impensable », raconte un chauffeur de taxi exaspéré. Selon lui, les clients hésitent à monter dans les taxis à cause des tarifs élevés. « Quand tu leur proposes une course, ils se réfèrent à des trajets comme celui entre la Gare du nord et Kanyosha qui coûte désormais 150 000 Fbu. Même si ce n’est pas leur destination », se lamente le chauffeur.

Lorsqu’ils réussissent à obtenir du carburant, les chauffeurs restent souvent sans clients. « Je peux passer des heures sans faire une seule course », confie un chauffeur de taxi visiblement démoralisé.

Les fonctionnaires pris au piège

Le manque des carburants touche également les fonctionnaires. A.N, infirmière habitant dans la colline Gasenyi, en commune Mutimbuzi, se plaint des frais de déplacement qu’elle doit désormais supporter. « De chez moi jusqu’à l’endroit dit arrêt chez Busigo, je dois payer 3 000 FBu pour une moto, puis 1 000 FBu pour le bus. C’était 2 000 FBu pour la moto il y a à peine deux semaines », explique-t-elle soulignant ainsi une énorme pression financière que cela génère. « Je me lève très tôt pour éviter d’être en retard. Je me prive même de déjeuner pour ne pas en rajouter au charges. Et parfois, je marche pour économiser mon salaire, mais cela me laisse épuisée », ajoute-t-elle.

Un médecin qui travaille à Gitega, quant à lui, évoque des dépenses mensuelles de 500 000 FBu liées à ses déplacements. Il prend le transport en commun, mais cette solution reste coûteuse en raison des nombreux allers-retours. Sa famille réside en effet à Bujumbura. Il leur rend visite chaque weekend. « Pour joindre les deux bouts du mois, je travaille même le week-end dans une clinique privée à Bujumbura », confie-t-il épuisé par le rythme imposé par cette crise des carburants.

On s’assoit comme du « ndagala »

Les usagers du transport public, qu’ils soient fonctionnaires, employés privés, commerçants ou élèves, se retrouvent à se lever bien plus tôt qu’avant. Aux arrêt-bus, la situation est devenue chaotique. Les passagers se bousculent pour monter dans les véhicules, souvent déjà bondés. « Dans les coasters, on doit être à six sur des rangées prévues pour cinq, et cinq dans les minibus au lieu de quatre », témoigne la prénommée Diane, une élève rencontrée au rond-point de Mirango. « Je viens dès 5h30 pour me donner une chance d’avoir un bus. Et à mon école, si un élève arrive en retard, il doit s’agenouiller pendant longtemps », précise-t-elle. Elle souligne que le retrait des points en éducation n’est plus infligé comme punition car certains élèves rentreraient avec zéro point.

Le palliatif de taxis changa-changa qui transportent cinq passagers à la fois exige désormais 8 000 FBu/personne au lieu de 4 000. Une dépense de plus en plus insupportable pour de nombreux fonctionnaires. « Le lundi, je ne peux pas me permettre d’arriver en retard. Alors, je prends un taxi. Mais, les chauffeurs prétextent que les prix des carburants ont doublé », se plaint une employée du secteur public.

Le mazout, ultime recours

Cependant, certaines institutions arrivent encore à limiter les retards grâce au mazout. Sœur Flora Nduwayezu, directrice de l’école Saint-Michel Archange, souligne l’ingéniosité des élèves et enseignants face à cette crise. « Les retards sont moins fréquents ici. Les bus scolaires, qui consomment du mazout, aident à maintenir une certaine régularité », explique-t-elle. Bien que certains élèves profitent de la situation pour arriver en retard, l’école a su maintenir une certaine stabilité grâce à la disponibilité du mazout, qui est encore plus facile à se procurer que l’essence.

Le manque de devises serait la cause principale

Gabriel Rufyiri, président de l’Observatoire de lutte contre les malversations économiques, Olucome, interpelle le gouvernement à prendre des mesures d’urgence pour remédier à cette situation. « Il est vrai qu’il n’y a carrément plus de carburant dans les stations depuis quelques semaines. Mais, cette situation vient de durer plusieurs années. Cela est dû à divers facteurs que seules la Sopebu, la société qui s’occupe de l’importation et de la commercialisation des produits pétroliers et la BRB (Banque de la République du Burundi) qui donne les devises, peuvent correctement identifier », souligne-t-il.

Il avance diverses hypothèses comme causes de cette pénurie des carburants cyclique qui hante le pays depuis plus de trois ans. « Ma première hypothèse est le manque de devise au Burundi. La deuxième est la manière dont le marché des carburants est attribué. Il n’y a pas de transparence dans ce domaine. La dernière c’est le retard dans la livraison du côté de la Tanzanie », indique-t-il.

Demander un crédit d’urgence

Gabriel Rufyiri estime que la grande probabilité est que cette pénurie des carburants est causée par le manque de devises à la Banque centrale.

Gabriel Rufyiri : « Il faut prioriser le transport en commun pendant la distribution des carburants sur les stations-services. »

Pendant ce temps Gabriel Rufyiri incite le gouvernement à engager tous les moyens possibles. « Si cette situation est causée par le manque de devises, il incombe à l’État d’établir des mesures efficaces pour importer les carburants. Contracter un crédit d’urgence de 500 millions de dollars par exemple. Ou encore attirer les investisseurs par des projets méticuleusement conçus pour qu’ils amènent les devises ; engager des accords diplomatiques permettant des échanges bénéfiques pour le pays et également exploiter la politique de la diaspora », suggère-t-il.

Néanmoins, il rappelle que les organismes de crédit imposent certaines conditions notamment la démocratie, la bonne gouvernance et la transparence de la part des instances de prise décision dans un pays.

Et de préciser que le Burundi a besoin de 30 millions de dollars par mois pour importer une quantité suffisante des carburants : 60% pour l’essence et 40% pour le diesel. « En attendant, il faut réorganiser le secteur du transport et promouvoir l’intérêt général. Et continuer à favoriser les transports en commun dans la distribution des carburants. Ainsi, la classe moyenne de la population en profite au lieu de subventionner les riches. Quelqu’un capable de s’acheter six voitures (jeep) n’a besoin d’aucune assistance en matière d’approvisionnement en carburants », conclut-il.

Au moment où nous mettons sous presse cet article, la Sopebu vient de publier sur son compte X, une liste de 35 stations ayant reçu les carburants le jeudi 23 janvier.

Forum des lecteurs d'Iwacu

2 réactions
  1. Gito

    Mr Rufyiri.
    Ce n’est pas une grande probabilité.
    La raison à 100% de la pénurie du carburant est le manque de devises.
    Pourquoi est ce que le Burundi est le seul pays incapable d’avoir un peu de devises pour acheter le carburant?

    Les raisons sont multiples:
    Corruption abyssale et mauvaise gouvernance depuis 2005

  2. Nzigo

    Pourquoi maintenir la frontière fermée avec le Rwanda?
    Au moins les gens habitant Ngozi et Kayanza pourraient avoir di carb urant

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