Après sa disparition, dimanche 29 décembre dernier, Tharcisse Macumi, un caporal-chef du 22e bataillon blindé en commune et province Gitega, a été trouvé, deux jours après, pendu, dans une grande brousse sur la colline Mwumba de la même commune. Qui l’ont tué ? Pour quelles raisons ? Iwacu a mené une enquête.
Par Edouard Nkurunziza et Fabrice Manirakiza
Une information tombe : un cadavre d’un homme, suspendu sur un arbre, a été retrouvé sur la colline Mwumba dans la journée de mardi 31 décembre. Des habitants qui cherchaient de la paille dans la vaste forêt dite «Kwa Birihanyuma» ont découvert ce corps autour de 13h. Des gens qui étaient dans les parages accouraient sur place pour en être sûr. Iwacu décide d’enquêter.
A la rencontre des témoins
La petite route qui zigzague à travers Mwumba en provenance du quartier Nyabututsi-rural n’est pas très fréquentée ce mardi 7 janvier. Deux jeunes vendeuses de mangues conversent familièrement tout près de la route, non loin de l’Ecole fondamentale de Mwumba. Au loin, un jeune gardien de chèvres patauge dans une flaque d’eau au milieu de la route. Il connaît un peu l’histoire de l’homme découvert pendu : «J ‘ai entendu dire que l’homme était suspendu à l’aide d’un lacet de chaussure sur une branche. Ses chaussures étaient par terre. Je ne sais pas si c’est lui qui les avaient enlevées».
Pour atteindre l’endroit dit «Kwa Birihanyuma», le jeune homme nous dissuade : «Le chemin n’aboutira pas. Rebroussez chemin et empruntez celle qui passe au niveau du terrain de football de l’Ecofo Mwumba». Nous faisons demi-tour.
La nouvelle trajectoire se fait dans un semblant de route. Un passage enherbé, visiblement peu fréquenté. Difficile. Nous nous demandons si nous ne sommes pas perdus. Selon des informations non encore vérifiées, le cadavre aurait été évacué à l’aide d’un véhicule militaire. Par où est-il passé ? La question restera sans réponse.
A un moment, notre voiture ne peut plus avancer. Faut-il rebrousser chemin? Nous sommes déboussolés. Un vieil homme survient soudain d’un champ de maïs. «Bonjour, c’est où ‘‘Kwa Birihanyuma’’?», lançons-nous. «Bonjour, continuez tout droit. Ce n’est pas loin d’ici», réplique-t-il. Au sujet des informations faisant état d’un homme retrouvé pendu ces derniers jours, le vieil dit: «Non, ils mentent».
La voiture ne peut plus avancer. Nous continuons à pied entre des bananiers, des arbres géants. Déterminés, mais un brin inquiets. A l’horizon, des montagnes à perte de vue. Toutes inhabitées. Nous rencontrons encore deux personnes avant d’entrer dans la grande brousse dite «Kwa Birihanyuma».
Suicide ou homicide?
Surprise. La brousse n’est pas faite d’arbres géants. Mais des eucalyptus de taille moyenne, séparés par un tapis herbacé. Nous nous demandons sur quel arbre l’homme aurait pu être pendu. Pendre un homme adulte sur de tels arbres ? Cela nous semble Invraisemblable. Dans la brousse, nous marchons. Nous prenons des photos. Trois quarts d’heure. Nous rencontrons le premier homme. Il garde des vaches. « Je l’ai appris. L’homme aurait été découvert non pendu, mais attaché à un arbre à l’aide d’une corde au niveau du cou». Mais nous ne voulons pas des personnes qui « ont entendu ». Nous voulons pousser plus loin. suicide ?. Homicide ? Nous arpentons la brousse encore quelques kilomètres. Soudain, nous sommes interpelés. Nous sursautons. Un homme nous scrute. Nous ne l’avions pas vu. «Bonjour», salue-t-il. Nous faisons quelques présentations. Gentiment, il nous parle de tout ce qu’il a entendu à propos de ce cadavre.
Enfin, de la vallée, des échos des voix d’hommes nous parviennent. Nous apprenons qu’ils sont tout le temps là-bas, à fabriquer des briques. «Eux ont pu peut-être se rendre à l’endroit où se trouvait l’homme pendu. Ils peuvent vous dire plus», conclut notre interlocuteur. Nous y descendons. Difficilement. L’herbe est glissante, la terre également. Il a plu la veille…
«C’était un homme de teint noir, de taille moyenne. Il était pendu à l’aide d’un lacet de ses chaussures qui étaient par terre. C’était vraiment effrayant». C’est la description que fait J.D, l’un des fabricants de briques de la vallée de Mwumba. Il dit l’avoir vu de ses yeux. «Ceux qui l’ont tué l’avaient attaché à un tronc d’arbre.»
Certains parlent de suicide, ce témoin lève toute confusion : «Non, jamais. Se suicider avec un petit lacet ? C’était visible qu’il a été tué étranglé. Et puis, pour se suicider, pourquoi aurait-il choisi de faire des kilomètres? Il l’aurait fait chez lui. Car ici, nous ne l’avons pas reconnu».
Selon J.D, le jeune homme aurait été tué ailleurs puis emmené dans cette forêt. Longtemps avant ? «Non, peut-être la veille. Car son corps n’avait aucune enflure. Son ventre n’était même pas gonflé. Il oscillait dans l’air comme une feuille, emporté par le vent». Se serait-il battu avec ses ravisseurs ? Le témoin oculaire indique qu’il n’avait aucune blessure. «Il avait une petite cicatrice au niveau des épaules, rien de plus». Avant d’arriver dans cette forêt, continue notre témoin, il aurait traversé une vallée. De l’argile était visible sur ses habits.
Après la découverte de ce corps, l’administration locale a appelé la police de proximité qui a fait son constat. L’identification du cadavre s’est aussitôt faite grâce à la carte mutuelle trouvée dans les poches de son pantalon. C’est là qu’ils sauront que c’est Tharcisse Macumi, un militaire avec le grade de caporal-chef au 22è bataillon blindé. Un tireur d’élite, selon les témoignages.
Une délégation de ce camp viendra vers 19 h récupérer le cadavre. Le corps de Tharcisse Macumi sera déposé à la morgue de l’Hôpital de Gitega. Selon les témoignages, l’armée a refusé de reconnaître un homicide. Elle parlerait de suicide. Un refus qui contrasterait néanmoins avec le rapport de l’officier de police judiciaire (OPJ) qui a été sur terrain selon les mêmes témoignages. Tharcisse Macumi a été inhumé lundi 6 janvier à Rutovu, sa commune natale. L’enterrement a eu lieu sur les frais de la famille. Il n’a pas bénéficié des honneurs militaires suite au malentendu sur les raisons de sa mort.
Les signes avant-coureurs de la mort
Les informations recueillies au sujet de cette mort s’accordent sur un point : «Zénon (c’est comme ça qu’on l’appelait sur sa colline) était mal vu ces derniers jours». Alors en déplacement dans sa famille, fin 2019, Tharcisse Macumi aurait fait une forme d’adieu à sa famille. «Au revoir. Je ne sais peut-être pas si nous nous reverrons». Les membres de sa famille n’avaient pas compris, mais il avait tenu à insister et à se faire comprendre. «Il y a des individus qui me suivent, me guettent depuis peu. Ils sont à bord d’un véhicule Hilux aux vitres teintées».
Qui le guettaient? Il les soupçonnait. D’après des sources du 22e bataillon blindé, Tharcisse Macumi se savait suspecté depuis quelques semaines. D’après elles, des agents du service des renseignements lui auraient pris son téléphone portable qu’ils auraient fouillé avant de le lui remettre quelques jours après. Des témoins soutiennent que ces agents auraient découvert à travers les messages téléphoniques que Tharcisse Macumi aurait une certaine collaboration avec un groupe rebelle. «C’est là qu’il a commencé à être poursuivi».
Avant sa disparition, il aurait reçu plusieurs appels téléphoniques de contacts connus ou anonymes l’accusant de collaborer avec des rebelles. Des amis lui auraient suggéré de s’exiler. Mais il aurait i refusé en disant qu’il était innocent et ne s’accusait de rien. Il a continué à travailler au palais présidentiel de Gitega où il était affecté jusqu’au 29 décembre. Le jour où tout a basculé.
L’enlèvement et l’exécution
Les témoignages recueillis se partagent entre deux versions sur la mort de Tharcisse Macumi. Néanmoins, toutes les deux se rejoignent sur deux détails. Le premier : «Il a été appelé dans la soirée du 30 décembre par un ‘‘ami’’, probablement un collègue, pour partager une bière. Depuis, on ne l’a plus revu». Le second est que dimanche 29 décembre, Tharcisse Macumi avait échappé à un enlèvement. «Des inconnus à bord d’une voiture aux vitres teintées avaient tenté de le kidnapper, vers le soir, alors qu’il vaquait à ses activités au palais présidentiel de Gitega. Il s’est échappé et a couru jusqu’au camp (le 22e bataillon blindé) et l’a dit au commandant qui lui a dit de rester là-bas».
L’une des deux versions est l’enlèvement au bar « Tuyage » situé à la colline Masenga. L’homme qui aurait appelé Tharcisse Macumi lui aurait demandé de le rejoindre à ce bar. C’est là que ses ravisseurs l’attendaient. Il aurait été kidnappé quelques minutes après son arrivée au bar Tuyage par quatre jeunes hommes.
Macumi aurait été ensuite conduit dans la Kinyamaganga, une vallée qui sépare les quartiers Nyabututsi-rural et Mushasha, non loin de la brousse «Kwa Birihanyuma». Un autre groupe de jeunes gens auraient rejoint les premiers dans cette vallée et auraient sectionné la langue de la victime. Certains de ceux qui ont rendu le dernier hommage à Tharcisse Macumi à la morgue de Gitega attestent le sectionnement de sa langue. Au Bar Tuyage, Iwacu a interviewé plusieurs personnes qui soutiennent n’avoir jamais été au courant d’un quelconque enlèvement d’un des clients. «Comment ne le saurais-je pas ? Je suis toujours ici», indique une sentinelle de ce bar.
La seconde version est qu’après l’appel, des inconnus l’auraient entraîné vers le palais présidentiel de Gitega où ils l’auraient ensuite tabassé avant de sectionner sa langue.
Dans tous les cas, des habitants de Nyabututsi rapportent des cris d’un homme appelant au secours au milieu de la nuit du 30 décembre alors qu’au même moment, ils entendaient le vrombissement du moteur d’un véhicule. Au niveau de l’Hôpital SOS de Nyabututsi, des patients se seraient même levés en cette nuit pour voir ce qui se tramait. Néanmoins, le «véhicule était déjà parti».
Interrogé, le porte-parole de l’armée nationale soutient qu’il pourra s’exprimer incessamment après des enquêtes.