Riche de son expérience en tant que président de la CENI lors des élections de 2005, le professeur Paul Ngarambe propose des pistes pour que le scrutin de 2015 soit une réussite. Il analyse le Code électoral, revisite l’accord d’Arusha et décortique, la feuille de route des acteurs politiques lors de l’Atelier onusien de mars dernier.
Tout d’abord, quelle est la pertinence de la feuille de route des acteurs politiques de l’Atelier du 11 au 13 mars 2013 ?
Il convient d’abord de relever la pertinence des « Éléments d’une feuille de route vers 2015 » dégagés lors de l’Atelier « Le Processus Electoral au Burundi : Enseignements et Perspectives » (Bujumbura, 11-13 mars 2013) organisé sous les auspices des Nations Unies au Burundi à l’intention des acteurs et partis politiques burundais. Les principes généraux retenus dans cette feuille de route et les différentes recommandations émises indiquent dans les grandes lignes ce qu’il faut pour que le Processus électoral soit une réussite. Et déjà, dans les 42 points de la feuille de route, nous notons les points 41 et 42 qui sont une contribution de taille pour la réussite du processus électoral de 2015 : « veiller à la mise en œuvre des recommandations de l’atelier dans un cadre inclusif comprenant les partis et acteurs politiques avec l’appui des Nations Unies et les partenaires internationaux » (Point 41) ; « au Gouvernement d’organiser dans les meilleurs délais des ateliers de suivi et d’élaborer un chronogramme pour la mise en œuvre des recommandations en étroite collaboration avec les institutions nationales compétentes, les partis et acteurs politiques burundais, les Nations Unies, ainsi que les partenaires internationaux » (Point 42).
Qu’en est-il du Code électoral ?
Quand on parle du processus électoral de 2015, ce qui vient à l’esprit immédiatement, c’est la révision du Code électoral, et il y a de la matière. Le Code électoral impose cependant au préalable d’autres étapes dont il est impératif de tenir compte pour fixer le contexte, mieux comprendre et mieux faire comprendre l’opportunité de sa révision.
Quelles sont ces étapes ?
La première de ces étapes est la relecture de la Constitution pour identifier les amendements à apporter à certaines de ses dispositions en rapport avec les changements à apporter au Code électoral. A ce sujet, il est heureux que l’Atelier du 11 au 13 mars 2013, parmi les recommandations, insiste sur le « consensus sur les dispositions de la Constitution qui méritent d’être révisées avant les élections » (Point 13), demande « au Président de la République, conformément aux articles 297 et 299 de la Constitution, de préciser les dispositions de la Constitution à amender dans les délais raisonnables » (Point 14). L’initiative de la révision de la Constitution pourrait également provenir de l’Assemblée Nationale ou du Sénat. Avant d’aligner les amendements à apporter à la Constitution, il serait judicieux d’évaluer l’Accord d’Arusha pour la Paix et la Réconciliation au Burundi (28 août 2000) pour ce qui a été mis en œuvre et pour ce qui reste à mettre en œuvre. Et, sur la base du constat, dégager alors les principes de consensus devant guider la révision de la Constitution comme projet de société. Les amendements à apporter deviendraient alors plus clairs et plus faciles.
Pourquoi revisiter l’Accord d’Arusha ?
Pour établir les principes de référence en vue de la révision de la Constitution. Car, s’il est acquis que la Constitution devrait être amendée dans telle ou telle de ses dispositions, il est impossible de le faire sans relire au préalable l’Accord d’Arusha. C’est le texte dont le constituant s’est inspiré pour présenter le projet de Constitution qui a été soumis au vote référendaire (le 28 février 2005) et qui a généré ensuite le texte du Code électoral du 20 avril 2005, remplacé par la version du 18 septembre 2009, et de la Loi Communale (20 avril 2005).
La relecture de l’Accord d’Arusha s’impose pour évaluer ce qui a été fait dans le cadre de sa mise en œuvre, faire le constat de ce qui n’a pas pu être mis en application et engager un débat sur les perspectives ouvertes par l’Accord d’Arusha. Ceci en vue d’obtenir, par consensus, les éléments devant servir de référence pour les amendements à apporter à la Constitution. Le fait de revisiter serait l’initiative du Chef de l’Etat avec, entre autres : les anciens Chefs de l’Etat, les actuels et anciens Vice-Présidents de la République, les anciens Premiers Ministres ; les Chefs des partis politiques ; les Eglises et la Société Civile ; la Communauté Internationale ; les Médias ; etc. Une telle initiative pourrait profiter des acquis de l’ouverture démocratique depuis l’époque du rapport de la Commission Constitutionnelle (1991) jusqu’à ce jour : la population et les acteurs politiques partiraient vers le processus électoral de 2015 l’esprit apaisé.
Cette relecture de l’Accord d’Arusha est-elle suffisante en soi ?
Il faudra aussi parcourir le rapport de la Commission Constitutionnelle datant d’août 1991 ! La relecture de l’Accord d’Arusha pour la Paix et la Réconciliation au Burundi amènera, à son tour, à revisiter ce à quoi il était censé être un remède : la crise sociopolitique consécutive au coup d’Etat du 21 Octobre 1993 dont les concepteurs et les planificateurs ont ignoré les leçons et les recommandations du débat national organisé suite au rapport de la Commission Constitutionnelle sur la Démocratisation des institutions et de la vie politique au Burundi (Bujumbura, août 1991). A la veille du processus électoral de 2015, les effets et les conséquences du coup d’Etat du 21 Octobre 1993 sont toujours actuels sur la vie de la nation burundaise, et c’est pourquoi il faudrait pousser la recherche jusqu’à il y a vingt-deux ans et revenir sur les éléments du Facteur Humain (Troisième Chapitre du Rapport de la Commission Constitutionnelle) qui avaient été épinglés comme indispensables pour une culture démocratique : Respect de l’option démocratique de la société ; Respect des lois et des institutions démocratiques ; Respect des valeurs communes ; Respect du verdict électoral ; Sens du compromis ; Solution pacifique des conflits ; Respect mutuel des protagonistes politiques ; Tolérance ; Honnêteté ; Sens patriotique et conscience nationale ; Respect de l’administré ; Transparence dans la gestion de la chose publique ; Sens du service public ; Solidarité nationale ; Dialogue social ; Conciliation de la liberté individuelle et celle des autres ; Primauté de l’intérêt général sur les intérêts particuliers ; etc.
La révision du Code électoral peut-elle être consensuelle ?
La recherche des points de consensus sur la révision du Code électoral est primordiale. Avant de procéder effectivement à la révision du Code électoral qui est un travail technique, les acteurs politiques devraient se retrouver pour dégager les points de consensus qui devraient guider un tel travail : adoption du bulletin unique en lieu et place du bulletin multiple (consensus déjà acquis depuis l’Atelier du 11 au 13 mars 2013, point 35), nécessité du regroupement de certains scrutins (consensus déjà acquis depuis l’Atelier du 11 au 13 mars 2013, point 36), carte nationale d’identité et carte d’électeur devant être maintenues distinctes et être des documents infalsifiables. Les autres points sont que tous les acteurs concernés doivent être impliqués pour constituer le fichier électoral, suffisamment à temps pour éviter les pressions de dernière minute, à l’issue du scrutin, le comptage des voix des électeurs doit être effectué en présence des mandataires politiques. L’autre point important du consensus est le maintien ou non de l’exigence d’avoir totalisé à l’échelle nationale un nombre égal ou supérieur à 2% de l’ensemble des suffrages exprimés pour être considérés comme élus et siéger à l’Assemblée Nationale. En vue de la préservation des équilibres politico-ethniques hérités de l’Accord d’Arusha, maintenir ou non le système de listes bloquées pour la présentation des candidats députés.
Quid de la CENI ?
Il est important que les acteurs politiques connaissent le cahier de charges de la CENI et de ses démembrements, soient informés de sa mise en œuvre et des obstacles éventuels rencontrés ainsi que des solutions préconisées.
Ne sommes-nous pas en retard pour la préparation du processus électoral de 2015 ?
Pour que le processus électoral de 2015 soit une réussite, il n’est pas inutile d’avoir la réponse à la question suivante : d’ici (premier trimestre 2013) aux élections de 2015 (à partir de mai 2013), n’est-il pas trop tôt ou trop tard déjà de penser, maintenant, à la mise à jour du Code électoral ainsi qu’à celle des autres textes, par déduction ou implication, en vue du processus électoral de 2015 ?
Pour savoir si oui ou non ce temps est suffisant, il faut savoir que, pour organiser une élection, l’on compte généralement un minimum de 90 jours (3 mois) pour la préparation immédiate, à distinguer de la préparation lointaine. Dans le cas de 2015, la préparation immédiate se situera aux mois de mars, avril et mai 2015 puisque l’on sait que les premiers élus de 2010 (les Conseillers Communaux) l’ont été le 24 mai 2010 et que, en conséquence, ils seront élus dans la dernière semaine de mai 2015. La préparation immédiate comprend trois types d’activités : les activités pré – électorales, les activités le jour du scrutin et les activités post – électorales. Il n’est pas nécessaire de les détailler ici.
La période de la préparation lointaine peut-elle être claire ?
La préparation lointaine du processus électoral de 2015 se situera dans la période de temps entre maintenant (en fait depuis la mise en place des membres de la Commission Electorale Nationale Indépendante le 05 décembre 2012) et fin février 2015 où différentes activités doivent être réalisées dont l’élaboration des textes internes, l’identification et les contacts avec les partenaires internes et externes, la mise en place des démembrements et les formations conséquentes à différents niveaux depuis le sommet jusqu’à la base, le recensement électoral, le calendrier électoral. Les activités ainsi énumérées de manière très succincte sont des opérations complexes faisant intervenir plusieurs personnes et institutions : à chaque fois il faut préparer et rendre disponible le budget nécessaire. La non disponibilité des textes de référence dans leur version révisée peut causer un retard préjudiciable à la préparation du processus électoral.
Emery.U.Alworonga @fbnbankdrc.com