Même si le ministère de la Sécurité Publique affirme que toutes les bandes armées ont été démantelées, il semble que certaines pullulent encore dans le sud du pays. De plus, des embuscades commencent à s’observer au centre et à l’ouest du pays.
Dans la zone Kibezi de la commune Mugamba en province Burundi, on ne parle pas à n’importe qui. On se méfie des «étrangers». Il faut décliner d’abord ton identité pour voir si on peut vous parler. Quand on pose une question, la réponse est pour la plupart la même : «Je ne suis pas d’ici. Posez la question aux autres.» On peut interroger une dizaine de personnes sans avoir une réponse. Ceux qui ont du courage chuchotent : «Retrouvez-moi à quelques kilomètres, on pourra discuter.» Selon ces habitants, ils s’espionnent entre eux. «Tu ne sais pas qui est à côté de toi. Il faut peser les mots sinon…» Cette situation montre le climat qui règne dans cette région du sud du pays.
Cette localité a été le théâtre d’affrontements, mercredi 12 octobre 2016, entre une bande armée et des militaires. «Nous avons reçu un coup de fil nous informant que des hommes armés essaient de dépouiller des marchands de vaches qui se rendaient à Tora », racontent des administratifs à la base. Ces derniers accompagnés des militaires se rendent sur les lieux. «Les affrontements ont lieu sur la rivière Dama. C’était une bande de six personnes armés de kalachnikovs et des grenades», confie un témoin.
Dans la foulée, deux hommes parmi les malfaiteurs sont tués et les autres réussissent à fuir. Par après, un d’entre eux sera appréhendé et il est incarcéré au chef-lieu de la commune Mugamba. Selon les habitants de la colline Mutobo, les deux dépouilles sont restées deux jours dans les marais de Kagongo de la même zone. Ils seront enterrés, le vendredi suivant, à quelques mètres de cet endroit.
Pour les habitants de la zone Kibezi, la sécurité n’est pas encore effective. «On s’attend à tout moment à des attaques de ces bandes armées», indique un habitant. «L’administration essaie de nous tranquilliser mais la peur ne peut pas manquer», renchérit un autre.
Assassinat politique ou simple banditisme?
La veille de cet incident de Kibezi, une bande d’hommes armés avait attaqué une buvette d’un dénommé Marius sur la colline sur la colline de Saga, zone de Ruteme de la commune de Bugarama en province Rumonge. «C’était une bande de 4 personnes avec deux kalachnikov. Ils sont entrés dans la buvette et ont commencé à mitrailler les clients. Le bilan est de 3 morts, 2 blessés et une somme d’argent volé», a souligné, après ce forfait, Pierre Nkurikiye, porte-parole de la police. Les personnes tuées sont Romuald Bigirindavyi, directeur de l’ECOFO Ruteme, membre du conseil communal et militant du CNDD-FDD, un prénommé Vianney, enseignant au même établissement et Edouard alias Kinyata. Les deux blessés sont Firmin et un certain Richard.
Les habitants de la zone Ruteme, toujours sous le choc, penchent pour des assassinats ciblés à base de mobiles politiques. «On avait jamais connu cela dans notre commune de Bugarama. Nous pensons que c’était lié à la politique», confie Aaron. « C’était une exécution. Ces assaillants semblaient chercher Romuald Bigirindavyi. Nous craignons des règlements de comptes», indique un autre habitant. Même les militants du parti au pouvoir ont aussi peur. «Personne n’est à l’abri aujourd’hui. On peut être frappé d’un moment à l’autre par des inconnus ou par tes propres camarade», confie un d’entre eux sous anonymat.
Joachim Manirakiza, administrateur de la commune Bugarama, réfute cette hypothèse d’assassinat politique. «Il n’y a pas lieu d’avoir peur. C’était de simples bandits. La preuve, il y avait un Uproniste parmi les victimes et les assaillants avaient l’intention de tuer tous ceux qui étaient dans ce bar.» Selon lui, la sécurité est bonne à part cette attaque. Et pourtant, Pierre Nkurikiye a déclaré que ça faisait un bout de temps que Romuald Bigirindavyi recevait des menaces de mort.
D’après toujours Joachim Manirakiza, les hommes qui ont perpétré cette attaque de Bugarama sont les mêmes qui voulaient tendre une embuscade en commune Mugamba dans la zone de Kibezi. «Celui qui a été appréhendé a déjà avoué que ce sont eux qui ont commis ce crime. Nous sommes à la recherche des autres.» D’aucuns se demandent si c’est une bande organisée qui opèrerait dans les provinces de Rumonge et Bururi. Ou si ce sont plusieurs bandes armées toujours en activité.
Des embuscades tous azimuts
En province Gitega, samedi 15 octobre 2016, un minibus de l’Université Espoir d’Afrique est tombé dans une embuscade d’une bande d’hommes armés. C’était à une dizaine de kilomètres de la ville de Gitega sur la colline de Songa. «En provenance du campus de Mweya, des hommes armés ont attaqué ce minibus. Les pare-brises du véhicule ont été endommagés», racontent les témoins. Selon des sources à Gitega, les soupçons se dirigeraient vers les policiers qui étaient sur cette route avant l’attaque.
Dans la foulée, la police a arrêté deux hommes, Ladislas Sabokwigura de la colline de Rutegama en commune Gitega et Edouard Nzambimana, originaire de la commune Bugendana en province Gitega. Ils sont soupçonnés d’avoir participé à cette embuscade et dans d’autres. Selon leurs familles, ce sont des accusations bidon. Pour elles, ce sont des mobiles politiques qui sont derrière vu que ces prévenus sont militants du Fnl Pro Rwasa.
Sur la route RN5, Cibitoke-Bujumbura, des hommes armés et en tenues militaires ont aussi tendu une embuscade contre un véhicule de type Fuso transportant des fruits. C’était dans la soirée du 11 octobre 2016 entre la 8ème et la 9ème transversale. Selon nos sources, cette route est bien quadrillée par l’armée burundaise. Les habitants de cette localité ne comprennent pas comment une telle attaque peut se produire.
Réactions
Des bandes naissent mais sont vite démantelées
Pour Pierre Nkurikiye, porte-parole de la police, la bande qui a attaqué en zone Kibezi est la même que celle qui a tué des gens en commune Bugarama de la province Bujumbura. Après avoir tué le directeur de l’école et un vieil homme dans un bistrot et blessé trois enseignants, indique-t-il, le groupe a voulu tendre une embuscade à Kibezi contre un camion qui transportait du bétail : « Les militaires sont intervenus, et après échange des coups de feu avec les malfaiteurs, deux bandits ont été tués, un capturé et un autre a fui. » Une arme de type Kalachnikov et ses 50 cartouches, 2 grenades, 1 pistolet ont été saisis.
Lors de l’interrogatoire, la police a découvert que le bandit capturé faisait partie de la bande qui avait attaqué des commerçants à Gasanda puis démantelée par les forces de l’ordre : « Apparemment il a formé une autre bande. » Le malfaiteur est actuellement emprisonné à la prison de Bururi.
Concernant les deux personnes arrêtées à Gitega, accusées d’avoir participé à une embuscade contre un bus de l’Université Espoir d’Afrique à Songa, Pierre Nkurikiye réfute les accusations de ceux qui parlent d’une chasse à l’homme à l’encontre des membres du Fnl pro-Agathon Rwasa : « Les deux jeunes ont attaqué ce bus pour faire diversion parce qu’ils avaient attaqué, quelques jours avant, un camion-citerne transportant du carburant sans succès. » D’après Nkurikiye, l’attaque s’était passée dans la localité de Mutwenzi à 3 kilomètres du chef-lieu de la ville de Gitega. Le chauffeur du camion a été blessé.
Bien plus, affirme Nkurikiye, les enquêtes de la police montrent que les deux personnes s’étaient évadées de la prison centrale de Gitega : « Qu’elles soient membres du FNL n’est pas un problème de la police. Nous avons fait notre travail d’arrêter des malfaiteurs. »
A la question de savoir si la multiplication de ces embuscades (Songa, Gihanga, Mugamba, Bugarama) ne contredit pas le discours du ministère de la sécurité publique qui dit que tout va bien, Pierre Nkurikiye rétorque que des bandes naissent mais sont vite démantelées : « Sinon le Burundi serait un paradis. »
Arrêtés parce que sympathisants d’Agathon Rwasa
Térence Manirambona, député Fnl pro Rwasa élu dans la circonscription de Gitega, réfute ces assertions du porte-parole de la police. Il affirme qu’Edouard Nzambimana et Ladislas Sabokwigura sont des militants du Fnl pro Rwasa.
«Je les connais. Ce sont des démobilisés du Fnl.» Selon le député, ce n’est pas la première fois qu’ils sont arrêtés. Avant, ils étaient accusés de collecter des vivres pour des combattants mais ils ont toujours été relâchés sans passer devant le juge. «Même aujourd’hui, la police n’a pas de preuves de leur culpabilité et personne ne les charge. Il y a quelque chose qui se cache derrière.» Térence Manirambona trouve que c’est le fait d’être militants du Fnl pro Rwasa qui a motivé leur arrestation.