Le rapport d’activités 2011 et celui du 1er semestre 2012, présentés ce mardi 21 août, lors d’une conférence publique à l’hôtel Waterfront par l’Olucome, a eu l’effet d’une bombe. Surtout que son président, Gabriel Rufyiri, a évoqué des cas d’enrichissements illicites et des lacunes dans l’application de la loi anti-corruption.
<doc5032|right>Aux environs de 15 heures, les participants arrivent en grand nombre. Des policiers sont déjà sur place. Les membres du parti au pouvoir sont au rendez-vous, comme cela a été le cas lors de la conférence publique du 7août à Waterfront. Un cameraman du service national de renseignements prend des images.
15 h 50, c’est le début de la conférence. Une minute de silence pour feu Ernest Manirumva est respectée. Après, Gabriel Rufyiri, président de l’Observatoire de la lutte contre la corruption et les malversations économiques (Olucome) et conférencier du jour, donne quelques résultats du rapport de 2011.
Cette organisation a reçu 2514 cas de dénonciation dont 708 ont pu être traités. L’Olucome reçoit 10 cas de dénonciations en moyenne par jour. Les secteurs les plus touchés sont la justice, l’administration publique, la police, l’urbanisme et l’enseignement.
Gabriel Rufyiri avertit que si rien n’est fait, l’Etat risque de perdre
17.705.190.613Fbu. Les dossiers jugés les plus emblématiques sont, entre autres, celui qui concerne le détournement des cahiers ougandais où l’Etat a perdu plus de 15milliards de Fbu. Aussi, le dossier ONATEL où durant les élections de 2010, il y a eu disparition de cartes de recharge pour une valeur de 1.200.000.000Fbu. Le président de l’Olucome déplore le fait que jusqu’aujourd’hui, les coupables ne sont pas inquiétés.
Il dénonce des biens mal acquis
Pour le 1er semestre 2012, Gabriel Rufyiri indique qu’à peu près 7.000.000.000Fbu risquent de s’être volatilisés. Tout en soulignant que la fourniture de plants d’arbres fruitiers par certains services dont ceux de la présidence et l’indemnisation par l’Etat du Burundi d’un commerçant de Gitega, propriétaire de la place où est érigé le monument des élèves tués à Kibimba (Kw’ibubu), sont les cas plus importants. Pour ce dernier cas, M. Rufyiri précise que le commerçant avait demandé à peu près 98.000 dollars. Paradoxalement, près de 2 milliards de Fbu risquent d’être débloqués. Il demande aux autorités d’empêcher le décaissement de cette somme.
Sur l’enrichissement illicite, le président de l’Olucome évoque le cas de la maison appelée « Villa du maire ». Il rappelle que cette maison qui devait héberger les maires de la ville a été transformée en cabaret. D’après M. Rufyiri, pour s’approprier cette maison, le locataire actuel, appelé Prosper Hakizimana alias Gisiga, a fait semblant de louer la maison à hauteur de 230.000.000Fbu et selon le contrat, cet argent devrait être versé sur le compte de la mairie. Malheureusement, regrette-t-il, cet argent n’a pas été transféré sur ce compte, il a été acheminé vers le compte du locataire. Pire encore, poursuit Gabriel Rufyiri, le locataire affirme avoir réhabilité la maison pour plus de 400.000.000Fbu, alors que ce n’est pas vrai. M. Rufyiri indique que, d’après les enquêtes menées, la maison a été enregistrée sous le nom d’Ange Gabriella Igiraneza, la fille de 6 ans du maire de la ville de Bujumbura, Evrard Giswaswa.
« Un jour, la population se soulèvera et dira non »
L’autre cas évoqué est celui de la maison de Guillaume Bunyoni, ancien ministre de la sécurité publique, à Gasekebuye. L’Olucome s’interroge sur la provenance de l’argent utilisée pour la construction cette villa.
Le président de l’Olucome déplore que les corrompus soient devenus plus forts que le pouvoir. « Un jour, la population se soulèvera et dira non à l’injustice et s’en prendra à ces corrompus », a-t-il conclu à la fin de son exposé.
Un débat très animé
Par la suite, c’est le tour de la population de s’exprimer. Les uns essayaient de disculper les gens cités sans toutefois trouver des arguments convaincants. Les autres demandaient à l’État d’asseoir la bonne gouvernance, sinon la situation ira de mal en pis. Ils exigent que la politique d’harmonisation des salaires soit une réalité. Pour eux, à cause des salaires dérisoires, certains fonctionnaires se servent du proverbe « Impene irisha aho iziritse » (la chèvre broute là où elle est attachée) tout en prenant le mauvais exemple des dirigeants qui considèrent la chose publique comme leur propriété privée.
Les participants dénoncent certaines pratiques mafieuses de la Regideso. C’est, par exemple, le retard observé dans l’élaboration des factures. De cette façon, on se retrouve avec une facture de six ou huit mois avec plus de 800.000Fbu voire un million de Fbu, alors que normalement la facture devait sortir tous les deux mois. La population se demande ce que fait le personnel de la Regideso pourtant très nombreux. A la mairie ou dans d’autres entreprises étatiques, certains employés travaillent deux fois par semaine en raison du personnel pléthorique. Les participants demandent à l’Olucome de suivre de près tous les dossiers évoqués puisque les réactions des parlementaires sont tardives ou inexistantes.
Les débats se sont clôturés vers 19h et le président de l’Olucome a souligné que ce genre de conférence va se multiplier. Rufyiri s’est réjouit de la présence incontestable des membres du parti au pouvoir, lors de cette conférence : « C’est une avancée démocratique importante. Il faut qu’ils viennent pour leur contribution.»
Pacifique Nininahazwe : « On risque de nous envoyer des perturbateurs »
Pour Pacifique Nininahazwe, délégué général du FORSC, la forte présence des gens dans les réunions de la société civile, ces derniers jours, prouve sans aucun doute qu’ils sont là pour le compte du parti au pouvoir. Lors de la conférence publique sur la problématique du délestage et de la hausse des prix des produits de la Brarudi, il soutient que ce phénomène a repris: « Nous avons appris que 2 heures avant la tenue de la conférence, le parti au pouvoir venait de tenir une réunion et avait décidé de nous envoyer un bon nombre de leurs militants pour orienter autrement cette réunion à travers leurs interventions. » Pacifique Nininahazwe précise que la salle a été occupée pleinement 30 minutes avant l’heure prévue.
D’un côté, il trouve que cette présence a un aspect positif et remercie d’ailleurs le parti au pouvoir d’avoir mobilisé des gens pour participer à cette conférence publique. De l’autre côté, il se méfie de leur intention : « C’était pour empêcher les autres membres de la société civile d’y participer. Ils ont occupé toute la salle de façon qu’on ait dû en prendre une autre. »
Le délégué général du FORSC affirme que l’inquiétude augmente avec le nouveau projet de loi sur les réunions publiques et les manifestations sur la voie publique. Il constate qu’on a beaucoup multiplié les sanctions sur les organisateurs des conférences ou des réunions : « D’après cette loi, s’il advenait qu’il y ait des dommages, des destructions, tout cela va tomber sur les organisateurs. » M. Nininahazwe craint que le parti présidentiel envoie des destructeurs afin de rendre les organisateurs responsables des dégâts.
Il demande au ministère de l’Intérieur de continuer à assurer la sécurité des réunions ou manifestations publiques et de faire en sorte que toute personne qui voudrait perturber ce genre de réunion soit mise hors d’état de nuire. Pacifique Nininahazwe rappelle que les autorités ont l’obligation de protéger tous les citoyens et de garantir la liberté de réunion.
<img5034|left>« Bujumbura par rapport à 3,5 millions d’électeurs, ça représente quoi ?
Aimé Nkurunziza, président de commission chargée des questions politiques à l’Assemblée nationale, défend : « Les activistes de la société civile veulent se substituer aux élus du peuple, alors que la loi ne le leur permet pas. » Ceux qui pensent que les représentants du peuple ont failli à leur mission, riposte-t-il, se trompent. D’ailleurs, il trouve que ceux qui les considèrent comme des démissionnaires n’ont pas les prérogatives pour évaluer le travail des parlementaires : « Il y a des gens qui nous ont mandatés. Le moment venu, ils feront leur appréciation. »
M. Nkurunziza dit comprendre le langage de la société civile dans la mesure où le pays est démocratique. Cependant, il signale que les parlementaires ont aussi leur façon de contrôler les actions de la société civile. Il se demande comment la société civile quantifie le peuple qu’il croit défendre : « Est-ce que le peuple, c’est Bujumbura seulement ou c’est tout le pays ? Ce n’est pas parce qu’on a la chance de s’y exhiber à travers les médias qu’on représente la population.» Même si Bujumbura n’est pas à exclure, nuance-t-il, elle représente une mince partie de l’électorat burundais. Il invite les activistes de la société civile d’attendre le grand rendez-vous de 2015 : « On saura qui de nous représente valablement le peuple. »
De la vie chère, nos représentants se disent conscients
Aimé Nkurunziza pense que les activistes agissent par simple et pure spéculation avec le souci de chercher des financements : « Nous sommes conscients de cette triste réalité. Il y a des actions de développement que nous encadrons sur nos collines, communes et provinces. » A ce moment même, ajoute-t-il, il y a une équipe de députés qui étudient cette problématique de la cherté de la vie. Si la mesure du président de la République de détaxer certains produits alimentaires a été prise, c’est grâce à l’intervention des représentants du peuple. Concernant le problème de la hausse des prix des produits de la Regideso, poursuit-il, les parlementaires ont appelé le ministre de l’Energie et des Mines, puis ils ont fait beaucoup de séances et des descentes sur terrain lesquelles ont été relatées par un rapport. Il confirme que c’est à partir de ce rapport que la Regideso a revu à la baisse le coût de ses produits.
Des biens mal acquis et le paiement de l’IPR
Le député de Cibitoke précise que les tribunaux et d’autres structures habilitées sont à l’œuvre. De plus, il fait savoir que le parlement a voté des lois dans le sens de décourager la corruption.
Quant au paiement de l’IPR, Aimé Nkurunziza insiste sur le fait que les élus du peuple n’ont pas refusé de le payer : «Le projet de loi qui nous a été envoyé n’était pas conforme à certaines dispositions de la Constitution. Nous avons demandé au ministre qui a les finances en charge de le revoir. » Interrogé sur l’absence de cette loi jusqu’à présent, Aimé Nkurunziza renvoie le problème au ministère des Finances : « Ce n’est pas de notre faute. Nous, nous sommes prêts à payer. »
<img5035|right>Salvator Sinomenya : « Nous possédons notre manière de travailler »
Pour Salvator Sinomenya, parlementaire issu du parti Frodebu Nyakuri, aussi membre de la commission parlementaire de la Bonne gouvernance et la privatisation, le fait que les activistes affirment qu’ils ont démissionné de leur missions prouve qu’ils ne comprennent à rien au rôle d’un député. Selon lui, l’Assemblée nationale possède sa manière de travailler et ce n’est pas à la société de dicter sa conduite. Et d’ajouter que ce n’est pas Rufyiri qui se préoccupe plus du bien-être de la population que les autres.
Concernant la cherté de la vie, le député précise que les parlementaires sont conscients de cette problématique. C’est pourquoi, quand on a augmenté les prix de l’eau et de l’électricité, l’Assemblée nationale avait demandé que la hausse « inévitable » se fasse par étape, pour ne citer que cet exemple.
Quant aux cas d’enrichissement illicite dénoncés par l’Olucome, Salvator Sinomenya précise que dans ce genre d’affaire, des commissions d’enquête mixtes sont créées. S’il s’avère qu’il s’agit d’une malversation économique ou de la corruption, le coupable est traduit devant la justice.
Pour ce qui est de la présence jugée provocatrice des militants du parti au pouvoir et de sénateurs, lors des conférences organisées par la société civile, il indique que l’opinion l’a mal interprétée. Selon lui, un sénateur ou quiconque a le droit d’y participer. De plus, cela permet aux élus du peuple d’être au courant des préoccupations de la population. Par ailleurs, s’étonne-t-il, ils n’ont intenté aucune action pour l’empêcher.
Interrogé sur le silence, durant plusieurs mois, des parlementaires sur le projet de loi concernant l’instauration de l’IPR, le député Sinomenya indique que le non payement de l’IPR est un des avantages des mandataires politiques, autorisé par la Constitution. « De ce fait, dans aucun pays dit démocratique, aucune loi ordinaire n’annule une loi organique. Pour l’instant, le projet de loi est retourné au gouvernement», conclut-il.
<img5031|right>Bonaventure Gasutwa : « On ne réagit pas comme les activistes »
Le député Bonaventure Gasutwa, issu du parti Uprona, vice-président de la commission parlementaire de la bonne gouvernance et privatisation, réfute les déclarations selon lesquelles les parlementaires ont démissionné de leurs missions. Il estime que la manière de travailler ainsi que les procédures utilisées par le parlement diffèrent de celle la société civile : « On ne réagit pas comme le font les activistes. » Devant un fait quelconque, fait-il savoir, les parlementaires issus de différentes formations politiques doivent se concerter, procéder à des débats et faire des enquêtes plus approfondies.
Quant à la cherté de la vie, il indique que la commission dont il est le vice-président a organisé des rencontres aves tous les concernés à savoir les petits commerçants, les grands opérateurs économiques et les représentants de la société civile pour réfléchir à la question. « Le rapport sera analysé lors de la session d’octobre », signale-t-il.
Quant aux dénonciations des cas d’enrichissement illicite, le député indique que le parlement ne se prononce pas publiquement sur ces cas : « Il faut des preuves pour affirmer que la personne possède des bien mal acquis. » Ce qu’il fait, selon lui, c’est de convoquer le ministre ou le concerné dans le cadre des questions orales. « S’il n’est pas convaincant, la justice est saisie », précise-t-il.
Concernant la loi anti-corruption, Bonaventure Gasutwa reconnaît qu’elle présente des lacunes. Il indique que, par ailleurs, cette loi doit être revue, car elle est muette sur l’enrichissement illicite.
Quant à l’instauration de l’IPR, le député indique que le principe a été entendu et compris par tous. « Ce qui reste, c’est seulement la mise en œuvre », assure-t-il.
Le député Gasutwa pense que la présence des membres de parti au pouvoir, lors des conférences publiques est une bonne chose : « C’est ouvert à tout le monde. Surtout qu’ils sont là pour échanger. Cela anime le débat. La loi autorise, en outre, chacun à s’exprimer sur un sujet qui lui tient à cœur. » Pour lui, ce qui serait mauvais, c’est de perturber la conférence ou d’intimider les participants ou les organisateurs.
{Les missions classiques de l’Assemblée nationale :}
– Vote des lois
– Contrôle de l’action gouvernementale
– Représentation de la population
{Les missions du Sénat :}
– Le sénat légifère
– Le sénat assure le contrôle de l’action gouvernementale
– Le sénat assure le rôle de régulateur :
– Il assure le suivi de l’application des dispositions constitutionnelles
– Il approuve certaines nominations
– Le sénat joue le rôle de conseiller