Ce 9 avril, les défenseurs des droits de l’homme burundais commémoraient le 4ème anniversaire de l’assassinat d’Ernest Manirumva, ancien vice-président de l’Olucome. Pacifique Nininahazwe dresse un bilan négatif des enquêtes menées. Annonçant la fin de son mandat à la tête du Forsc, il estime toutefois que tout n’est pas perdu.
<doc7730|left>{Quel bilan faites-vous du travail abattu par la justice jusque-là ?}
La famille d’Ernest Manirumva, son organisation et la société civile se trouvent toujours dans la désolation. Nous avions espéré que la justice du Burundi pouvait faire la lumière sur l’assassinat de ce grand homme, en vain. Elle a continué à travailler sur des enquêtes incomplètes.
{C’est-à-dire ?}
Il y a eu trois commissions d’enquête mais seule la troisième est parvenue à produire un rapport. La commission indiquait qu’elle avait encore besoin d’autres éléments pour compléter son travail. Elle demandait notamment de confronter trois officiers de police à savoir David Nikiza, Godefroid Barampanze et Albert Bisaganya. Et ce, juste pour savoir ce qu’ils faisaient dans la nuit du 9 avril 2009 parce qu’ils avaient déclaré des contradictions quant à leur emploi du temps le jour fatidique. La commission avait également besoin des relevés téléphoniques de certains responsables du Service National de Renseignements et de la Police nationale. Jusque-là, à la justice, c’est le silence radio.
En outre, ils escomptaient à l’instar du FBI, avoir des tests ADN sur un certain nombre de personnes afin de confronter avec les échantillons trouvés sur les lieux et les outils utilisés pour l’assassiner. Ils voulaient aussi établir un lien entre l’assassinat de Manirumva et celui du capitaine Pacifique Ndikuriyo (celui qui commanderait les opérations dans l’assassinat de M. Manirumva. Il sera tué dans la nuit du 30 avril 2009 pour, dit-on, fausser les enquêtes, ndlr). Mais cela n’a pas encore eu lieu.
{D’après vous, pourquoi la justice traîne-t-elle autant ?}
Probablement que cette affaire risque de compromettre des hauts gradés du SNR et de la police, plus précisément le patron du SNR et le directeur adjoint de la police de l’époque. Le juge, que ce soit celui du tribunal de grande instance de Bujumbura ou celui de la cour d’appel, a préféré avancer avec un dossier incomplet. Ceci donne l’impression d’un juge qui n’a pas besoin de la vérité, qui sait à l’avance qui il va condamner et qui veut couvrir les vrais assassins.
{Pour quel(s) intérêt(s) ? }
Il a toujours été dit que Manirumva était en train d’enquêter sur des armes qui avaient été commandées par la police mais qui n’arrivaient pas dans les stocks. Ces armes auraient été envoyées au Congo aux rebelles du FDLR. Des experts des Nations unies l’avaient mentionné dans leur rapport. Et les mêmes autorités policières burundaises étaient pointées du doigt. Il y a lieu alors de s’interroger pourquoi la justice ne veut pas connaître le mobile du crime. De surcroît, ce dossier avait été donné à M. Manirumva par un sénateur du Cndd-Fdd qui a dû s’exiler une semaine après l’assassinat d’Ernest Manirumva. Il se trouverait aujourd’hui au Canada. Il y a tout un tas d’éléments sur lesquels la justice ne veut pas travailler. C’est incompréhensif.
{Qu’est-ce qui va suivre puisque toutes les voies semblent épuisées ? }
Ce qui nous reste au niveau de la société civile, c’est le pourvoi en cassation. Nous allons attendre la décision de la chambre de cassation de la cour suprême. Si elle choisit de casser le jugement, on suivra encore les audiences et l’instruction du dossier. Si ce n’est pas le cas, il faudra saisir d’autres instances internationales.
{Vous vous êtes beaucoup impliqué dans ce dossier mais votre mandat prend fin. Ne craignez-vous pas qu’il risque d’être classé dans les oubliettes ?}
Je ne doute pas que mon successeur continuera à mener la coordination de la campagne ‘Justice pour Manirumva’. Je compte également sur d’autres défenseurs des droits de l’Homme. Je reste membre de la société civile en tant que président de l’association Focode. En outre, je viens d’être élu comme président de la coalition burundaise de la Cour Pénale Internationale. A ces deux titres, je serai d’une manière ou d’une autre appelé à travailler sur ce dossier. Dans tous les cas, les auteurs de l’assassinat d’Ernest Manirumva ne devraient pas dormir sur leurs lauriers. Un jour ou un autre, la justice va les frapper et ils paieront cher.