Primée à quatre reprises, la meilleure oeuvre burundaise du dernier Festicab montre, sans verser dans un discours moralisateur, un phénomène courant et prohibé…
16 minutes reparties grosso-modo comme suit : douze en s’apitoyant, les quatre restantes en hochant la tête, entre sourire (de soulagement) et regret (parce qu’évidemment, comme tout court métrage, c’est trop tôt fini)… 16 minutes où l’on comprend pourquoi L’Avortement de Pacifique Nzitonda (dit ‘Paci’) a été primé quatre fois : meilleure œuvre burundaise, meilleurs rôles masculin, féminin et scénario. 16 minutes d’une drôle d’histoire. Résumé : deux jeunes copain-copine font ‘la chose’ et résultat, la fille est enceinte. Elle vient annoncer, toute en pleurs, la terrible nouvelle à son chéri qui tripotait sur son lit une caméra.
Stupeur et tremblements chez le gars, qui fond à vue d’œil: « Que faire? » La fille: « C’est à toi de voir! » Le copain, dépassé, mains sur la tête: « Que faire? » La copine: « Avorter! » Recriements, vaines protestations : Brice, notre acteur principal (Évrard Ngendakumana de son vrai nom) finira par en appeler à la bonté des amis et autres frères d’infortune pour rassembler de quoi payer l’opération. L’argent est donné à l’enceinte Raïssa (Linda Kana, de loin la meilleure du cru 2011), pour qu’elle puisse se préparer à l’effroyable rendez-vous.
Puis, le jour du rendez-vous du docteur: la fille a disparu ! Coups de téléphone, attente insoutenable, le garçon semble se noyer sur son lit. On vient lui emprunter sa caméra : par automatisme, il s’apprête à la vider quand il s’aperçoit qu’elle a enregistré l’autre jour les grimaces de triomphe de sa ‘chérie’, prétendument enceinte, et qui singeait dans son dos la perspective de l’arnaque. Les dizaines de milliers de Fbu récoltés dans une douloureuse aumône par Brice auront servi à s’éclater ! Si Raïssa était enceinte, ce serait de mauvaise foi…
Montrer une histoire
Ce film a donc plu, par la qualité de l’image (quartier populaire, gros plans réussis sur Brice qui sue la peur), le retournement hollywoodien de la situation, la bande-son aussi, mais surtout, « l’originalité du thème » souligné par Lydia Ngaruko, présidente du Jury catégorie ‘films burundais’ au dernier Festicab (29 avril-6 juin 2011). Le réalisateur de L’Avortement distille le procédé de fabrication : « Sans le ‘truc’ de la caméra, on aurait eu une histoire banale, où j’allais dire aux jeunes : ‘Protégez-vous!’ » Explicite : « J’estime que montrer les conséquences d’une action (par exemple la guerre et ses atrocités) est souvent plus efficace que de parler de solutions (‘Aimez-vous les uns les autres!’) »
Et au-delà du fait que L’Avortement évoque un phénomène prohibé, comme le rappelle le Dr Nitunga de l’Ordre des Médécins Burundais, ce court-métrage marque une grande évolution dans la création cinématographique (et artistique) burundaise.
On n’est plus dans le politiquement correct, dans la prêche du message sensé sauver la nation des ‘jeunes’ (« Mettez les préservatifs! »; ou genre « Être copain-copine, c’est pas bien, hein! »), mais « on montre une histoire. Point ». Les mots viennent de Paci lui-même. Le spectateur tirera sa leçon, fatigué d’ailleurs de ne voir dans la rubrique ‘bons films burundais’ que documentaires sur untel, unetelle ou telle date. Joyeusement et brillamment, Paci nous donne à voir ce que l’art offre de plus douloureux (dangereux) et utile: un regard sur la société (ici le matérialisme rampant dans la jeunesse burundaise). Longue vie au mouvement !
Roland Rugero