« Le CNDD-FDD n’est pas un parti de dirigeants, c’est un parti du peuple. Les dirigeants peuvent tous trahir le parti, mais ce dernier existera toujours. Vous savez, les dirigeants ont toujours trahi le parti, mais avez-vous jamais vu le parti disparaître pour autant ? Le général Adolphe Nshimirimana aimait souvent dire : ‘’demeurez dans le parti, demeurez-y !’’ Vous savez, il y en a beaucoup qui convoitent le Burundi. Avez-vous vu comment le lion opère la chasse? Le lion est très fort, mais aucun lion n’a jamais réussi à pénétrer un troupeau de buffles. Quand les buffles broutent l’herbe, aucun lion ne réussit à pénétrer un troupeau de buffles. Ce qu’il fait, c’est intimider. Quand il intimide, les buffles prennent la fuite. Et même là, il ne pénètre pas le troupeau, mais il cible le buffle en débandade et c’est celui-là qu’il poursuit pour l’attraper. Alors, sachez que si nous sommes aujourd’hui en paix, c’est grâce à notre unité […] », dixit le président Ndayishimiye à l’ouverture de la semaine dédiée aux héros de la lutte pour la paix et la démocratie, lundi 16 novembre.
Cinq mois après la mise en place du gouvernement Ndayishimiye, l’envergure de l’Aigle tend à couvrir les 27.834 km2. Présenter un ennemi stratégique est nécessaire pour sonner le rassemblement de ses troupes, les sécurocrates ne connaissant que l’obéissance sans contestation. Ce faisant, l’adhésion au CNDD-FDD se colore de patriotisme. Le chef de l’Etat file cette métaphore du lion guetteur pour accréditer l’idée que point de salut en dehors du « parti du peuple ».
Le CNDD-FDD est à l’œuvre pour culturer la société burundaise. Des ASBL pro pouvoir, certains syndicats ont les yeux de Chimène pour le système, des partis d’opposition en lambeaux, des militants du CNL encore fortement ébranlés sous l’effet de l’ampleur de la défaite résonnant comme un camouflet. Le CNDD-FDD occupe 86 sur 123 sièges à l’hémicycle de Kigobe et au Sénat, 34 sièges sur 36 sont tombés dans son escarcelle. Et l’érosion démocratique gagne encore du terrain : les articles 19 et 20 du règlement d’ordre intérieur de l’Assemblée nationale rendent facultative la présence de la 2e force politique dans son bureau.
La gestion de la crise de 2015 par le régime Nkurunziza a pavé la voie au néo-autoritarisme. Au climax de la crise politique d’avril 2015, les Imbonerakure sont devenus des supplétifs de sécurité, qui sont invités à « gukizura », veiller sur la sécurité. A ce mécanisme de contrôle politique, se superpose désormais l’incitation explicite à l’adhésion aux coopératives « Sangwe ». Samedi 7 novembre, lors des cérémonies commémoratives du raz-de-marée électoral du CNDD-FDD dans sa commune natale Isare de la province de Bujumbura, le président du Sénat Emmanuel Sinzohagera a appelé les militants du parti CNDD-FDD à devenir les fers de lance du développement du pays en adhérant aux coopératives « Sangwe ».
Réciter cette litanie du « Burundi ayant retrouvé la paix et la stabilité politique », convoque cette sentence du maître d’Aristote : « La perversion de la cité commence avec la fraude des mots.»
La démocratie, c’est apprendre à écouter les autres, à tendre la main aux membres de la communauté nationale les plus éloignés sur l’échiquier politique, et à savoir débattre plutôt que de laisser le champ libre à la discussion passionnée dont le ressort est la volonté d’imposer ses idées, son parti. C’est à ce prix que la culture politique au Burundi se démocratisera. En attendant, le système est trop fort pour ne jamais perdre et trop faible pour ne jamais gagner.
Guibert Mbonimpa