À Bubanza, l’équipe de La Joconde imprime t-shirts, banderoles et rideaux … Claude Irambona et ses deux associés animent avec succès cette petite entreprise d’art plastique.
Comment La Joconde a-t-elle vu le jour ?
Mes associés et moi avons lancé cette entreprise en 2011.Sur les bancs de l’école, déjà, nous avions l’idée de faire un jour un projet dans le domaine de l’art plastique. Mais une fois terminé notre cursus artistique, nous nous sommes heurtés au chômage. Aucun d’entre nous n’avait pu trouver un emploi prometteur. Cela nous a motivés davantage. Nous nous sommes remis en question : allons-nous rester les bras croisés alors que nous sommes intelligents et que nous possédons un savoir-faire suffisant ? Et ce fut le début de l’aventure
J’imagine que vous avez galéré au début …
Oh que oui (rires). La première difficulté a été le capital. Pour démarrer, nous avons dû faire des petits boulots à gauche et à droite. Cela nous a permis d’acheter des pinceaux et de l’huile à peinture. Nous avons commencé avec de simples tableaux dont nous tirions de petits bénéfices. A l’époque nous travaillions à la maison. Heureusement, une école privée nous a passé une commande : l’impression de logos sur ses t-shirts. Avec les 250.000Fbu de ce premier marché nous avons loué un petit espace et l’affaire a décollé.
Et maintenant ça marche ?
Oui. Nous disposons maintenant d’un espace à nous et nous avons créé de l’emploi : deux salariés permanents et six temporaires. L’activité de La Joconde nous permet de vivre et d’assurer nos besoins.
En quoi consiste la sérigraphie ?
C’est une technique d’impression faite sur des rideaux, des t-shirt ou sur tout autre objet dont la matière est le tissu.
La technique que nous utilisons jusque là est manuelle. Elle est simple : il s’agit d’imprimer différents motifs (dessin, logo, texte…) sur un tissu en utilisant un cadre sérigraphique. Nous créons d’abord le motif sur ordinateur puis nous l’imprimons sur un simple papier. Ensuite nous assemblons un cadre sérigraphique (un tissu très fin, épinglé au dessus d’un cadre en bois suivant la taille du logo, ou des écrits à imprimer). Au dessus de ce cadre, nous disposons un film sérigraphique (papier plastique) puis nous y versons de l’encre. Seule la partie à imprimer retient l’encre. Il ne reste plus qu’à appuyer sur le tissu et le modèle sur le cadre est immédiatement imprimé.
Le matériel, est–il facile à trouver ?
Nous achetons presque tout à Bujumbura ou en Ouganda, sauf les cadres que nous fabriquons nous-mêmes.
Vos prix sont-ils abordables ?
Ils dépendent de la qualité des t-shirt, de la rapidité de la commande (express ou non), des logos ou dessins à imprimer, des prix du matériel sur le marché…bref de beaucoup de choses. Mais généralement les prix vont de15oo à2000Fbu pour des simples dessins, et de 9000 à 15000Fbu pour des dessins plus complexes.
A part la sérigraphie proposez-vous d’autres produits ?
Nous continuons à faire des tableaux et de la céramique.Nous faisons aussi de la photographie, des designs pour invitations, des dessins sur des panneaux publicitaires. Et nous avons plutôt le monopole de ce marché à Bubanza (rires) !
Des défis actuellement ?
Oui. Les institutions financières ne croient malheureusement pas en la jeunesse. A chaque fois que nous demandons un prêt pour mieux nous équiper, nous essuyons un refus catégorique. Malheureusement, même le gouvernement ne s’implique pas davantage dans nos projets.
Quels sont vos projets justement?
Nous voudrions passer de ce mode de production manuelle à une production mécanique, pour travailler plus rapidement. Mais cela demande des moyens que nous n’avons pas.
Bio express
Né le 24 septembre 1988 dans la province de Bubanza, Claude Irambona est directeur de l’entreprise La Joconde. Après des études primaires à l’EP Bubanza II, il continue son cycle inferieur au lycée communal Bubanza. A l’ETSA (Ecole technique Secondaire d’Art), il découvre les arts plastiques. Associé à deux de ses camarades de classe, il décide, en 2011, de lancer l’entreprise La Joconde.En dehors de son travail, Claude aime lire et rigoler autour d’un verre entre amis.
Témoignages
Une reconversion profitable
Apprenti coiffeur devenu artiste, Faustin Niyonzima ne tarit pas d’éloges sur La Joconde, cette maison qui lui a tant appris…
Faustin est l’un des deux artistes permanents de la Joconde. A l’issue d’une formation de six mois, c’est aujourd’hui un artiste touche-à-tout : de la sérigraphie à la peinture sur tableau, ce jeune se débrouille plutôt bien.
Après ses études en Lettres Modernes en 2013, Faustin Niyonzima décide d’être coiffeur pour subvenir à ses besoins.
«C’est à cette époque que j’ai fait la connaissance de Claude. Intéressé par ce qu’il faisait, je traînais souvent à l’atelier. Aussi, quand il m’a proposé un stage, j’ai saisi cette opportunité sans hésitation »
Faustin ne regrette pas cette décision. «Grâce à cette formation, je sais peindre sur des banderoles, des pancartes, etc.»
Son apprentissage ne s’arrête pas là : «Au fil des jours et des mois, j’apprends de nouvelles choses comme le design. »
Reconnaissant, Faustin constate que cet emploi lui permet de subvenir à ses besoins quotidiens. «Je paie mon loyer, je m’achète ce dont j’ai besoin et j’aide ma mère si je dégage quelques bénéfices»
«Le service en vaut la peine» !
Coursier à la DPAE de Bubanza, Donatien Nyabenda, client de la Joconde, vante ses mérites.
Joignant la posture à la parole, M. Nyabenda, affirme que le t-shirt « DPAE Bubanza » qu’il porte est le chef d’œuvre de La Joconde. : «Rendez-vous compte : nous avons fait réaliser ces t-shirt pour la fête internationale du travail en 2015. Et ils sont toujours utilisables un an plus tard ! »
Pour ce quinquagénaire cette longévité prouve la qualité des productions de la Joconde. « Même après la lessive, les couleurs – des imprimés bleus sur fond blanc – restent intactes ».
M. Nyabenda précise encore que la commande avait été livrée à temps. Et de conclure : «A 14.000Fbu, le service en vaut la peine. Sans compter l’avantage de ne pas devoir se fournir à Bujumbura. »
Conseils d’un pro
« Prudence pour de nouveaux équipements »
Pierre-Claver Nduwimana conseille à cette entreprise de miser sur leur savoir-faire pour convaincre les bailleurs.
Pierre-Claver Nduwumwami directeur du BBIN (Burundi Busines Incubator) reconnaît la nécessité pour toute entreprise d’améliorer son équipement. Pour La Joconde, toutefois, il ne voit pas d’urgence particulière. Il souligne que l’acquisition de nouveaux appareils doit répondre aux besoins du marché et aux capacités de l’entreprise. «Il ne sert à rien d’acquérir des équipements high-tech quand des matériels plus simples suffisent à produire une qualité similaire, même si c’est en plus de temps. »
Pour cet expert, il faut évoluer lentement mais sûrement, sans essayer de copier des entreprises auxquelles il a fallu beaucoup de temps pour arriver là où elles sont aujourd’hui.
M. Nduwumwami justifie les réticences des institutions financières à financer les entreprises débutantes.« Il appartient à ces dernières de convaincre, par leur savoir-faire, le respect de leurs engagements et leurs capacités techniques et managériales».
Il estime néanmoins que la sérigraphie est un secteur d’avenir sur le marché national et régional. Et si les défis ne manquent pas, ils sont, dit-il, tout à fait normaux pour une entreprise en gestation : « Le marché ne connaît pas encore les produits et l’expertise de la Joconde. Mais le potentiel est très élevé, surtout dans les villes de la région. »
Le directeur du BBIN connaît parfaitement La Joconde : « Ces jeunes professionnels ont suivi des formations sur les modules « GERME »(Gérez Mieux votre Entreprise) dans le cadre des financements du FIDA via le PRODEFI et le BBIN. »
Il ajoute que cette entreprise a même gagné un prix dans un concours d’entreprises innovantes organisé dans ce dernier cadre. « C’est une entreprise débutante, certes, mais qui est entrain de s’installer durablement sur le marché des arts plastiques.»