Etudiante en psychologie, Oda Niyonkuru, s’est lancée dans la broderie pour boucler ses fins de mois. Avec cinq camarades, elle développe peu à peu cette activité.
Pourquoi le choix de la Broderie?
C’est une passion d’enfance. Lorsque nous étions réfugiés en Tanzanie, je voyais d’autres filles faire de la broderie et je les imitais. A l’école primaire, déjà, je brodais des petits sacs pouvant contenir mes cahiers et stylos. Je le faisais à la main, comme aujourd’hui, sans l’assistance de machines à broder. A l’école secondaire, j’ai appris à faire des napperons et à dessiner des fleurs et toutes sortes de dessins sur des draps ou autres tissus. Il m’a donc été facile de démarrer une affaire dans un domaine qui me passionne.
Comment avez-vous démarré cette affaire ?
En 2014, j’ai acheté une aiguille (50Fbu) et un rouleau de fils (1500Fbu). J’ai brodé de petits napperons justes pour le plaisir de décorer ma chambre au campus. Des étudiants ont aimé et c’est là que m’est venue l’idée de créer différents modèles de nappes. Et puis il fallait absolument que je fasse quelque chose pour ne pas toujours solliciter l’aide financière de mes parents : avec la bourse que nous recevons (9000Fbu pour les internes), il est très difficile voire impossible de joindre les deux bouts du mois.
Et ça a marché ?
Au début je ne faisais qu’une ou deux petites nappes. Aujourd’hui je peux broder des nappes pour tout un salon. Je fais aussi d’autres modèles, des dessous de plats, des sous verres etc. Je reçois de plus en plus de commandes.
Cinq étudiantes dont j’ai fait la connaissance partagent ma passion. Pour l’instant chacune travaille pour son propre compte. Mais parfois, nous nous répartissons les commandes, et nous nous complétons si l’une d’entre nous est débordée. Cette coopération avance progressivement mais plutôt bien
Des difficultés au démarrage ?
Certains étudiants ont voulu me dissuader de me lancer dans ce projet. Une question les taraudait «comment une jeune étudiante peut-elle faire ce genre de métier ?». Par contre d’autres m’ont encouragée.
Quels sont vos prix ?
Les prix varient selon le produit à broder, le nombre de rouleaux de fil utilisés, et le temps que j’y consacre. Les nappes pour tout un salon peuvent coûter entre 50000 Fbu et 70000Fbu. Une fleur brodée coûte 20000Fbu. Mais les prix peuvent toujours être débattus.
Et la rentabilité ?
Je ne dirais pas que ce métier soit rentable. Mais quand même il me permet d’avoir des moyens pour m’acheter les syllabus, les stylos. Juste le strict minimum.
Quels sont vos défis actuels?
D’abord le manque d’un local. Beaucoup de personnes ne savent même pas que nous existons parce que nous n’avons pas d’endroit fixe où travailler. Nous travaillons entre deux cours ou pendant les moments de pause. La deuxième difficulté est liée aux prix du marché. Les rouleaux de fil changent constamment de prix et il nous est difficile de modifier les prix de vente. Troisièmement, nous sommes confrontées à un manque de matériel. Nous pourrions par exemple fabriquer des tricots pour les uniformes d’écoles mais faute de matériel adéquat ce n’est pas possible. En dernier lieu, trop de gens préfèrent curieusement des nappes importées à celles que nous fabriquons.
Et vos perspectives d’avenir ?
Nous voulons, dans un futur assez proche, créer une association pour conjuguer nos efforts dans un cadre plus connu. Nous sollicitons aussi auprès de toute personne physique ou morale qui le peut une aide technique et financière pour moderniser nos productions.
Quel message à un jeune qui veut se lancer ?
Etudier c’est toujours bon. Toutefois, cela n’empêche pas d’exceller dans tel ou tel autre domaine. Il faut savoir déceler son talent et chercher à en tirer profit. On ne doit pas tout attendre de l’Etat.
Bio express
Oda Niyonkuru est étudiante à l’université du Burundi. Elle fait la faculté de psychologie et des sciences de l’éducation. Elle est née en 1990 dans la commune Gihogazi de la province Karusi. Suite à la guerre civile de 1993, sa famille se réfugie en Tanzanie dans le camp de Mtabila. De retour en 2005, elle entre au Lycée Sainte Marie de Gitega. Depuis 2013, elle est locataire de l’université du Burundi. Outre la broderie et les études, Oda Niyonkuru aime manier un ordinateur.
Témoignages
« Oda a embelli ma chambre »
Condisciple d’Oda à l’université, Paul Nkurunziza est devenu un client et un supporter.
Paul ignorait que son amie faisait de la broderie : «Un jour, elle m’a montré et m’a offert un napperon qu’elle venait de finaliser. Il était bien fait ».
Captivé par le modèle du napperon, M. Nkurunziza a passé commande : «J’avais besoin de nappes pour couvrir mes tables et autres armoires. J’aime le décor ainsi réalisé. Le résultat est parfait !».
Devenu un client inconditionnel, Paul Nkurunziza a ensuite commandé une fleur brodée à 20000Fbu : «Cette fleur a la forme d’un chou qui éclot. Elle est plus belle qu’une fleur artificielle ».
Il se rappelle qu’après avoir prêté la fleur à un couple d’amis, ces derniers ont à leur tour passé des commandes.
Paul nous confie que ses amis sont toujours séduits par la chaleur qu’offre sa chambre. «Des amis me demandent continuellement où j’ai fait réaliser ces nappes. »
« Elles m’ont aidée à affiner ma technique »
Aline Emerusabe est la dernière à avoir intégré l’équipe des Cinq. Elle reconnaît y avoir bien perfectionné sa technique.
Etudiante elle aussi en psychologie, il y a neuf mois qu’Aline a rejoint le .groupe. «J’ai récemment fait la connaissance des filles et comme j’aime la broderie je leur ai demandé de m’exercer avec elles. Elles ont accepté. »
Aline Emerusabe avait fait ses premiers pas dans la broderie pendant son adolescence : «Je voyais d’autres filles le faire et je m’y étais essayée, mais ma technique n’était pas au point et je n’avais pas continué».
Grâce à l’aide de l’équipe, Aline Emerusabe assure qu’elle peut maintenant à elle seule effectuer une commande.
«J’avais déjà des notions, elles m’ont permis d’affiner ma technique».
Aline souligne que loin de sous-estimer ce travail, elle le prend bien à cœur, parce qu’il lui rapporte. «Je peux passer un mois, voire deux sans demander un soutien financier à mes parents.»
Conseils d’un pro
« Il leur faut une visibilité »
Pierre-Claver Nduwumwami loue cette initiative. Pour assurer son développement, il conseille à Oda Niyonkuru et à ses camarades de se regrouper en coopérative.
Pour le directeur de la BBIN, ces étudiantes sont à encourager. «Elles sont à un âge où les idées bourdonnent, où l’on tente des choses et elles ont pris ce risque».
Pour se faire connaître et assurer une visibilité à leur business, M. Nduwumwami estime que ces filles doivent maintenant se «vendre ensemble». Le directeur de la BBIN leur suggère de travailler à la manière d’un cabinet d’avocats, au sein d’une coopérative. «Mme Niyonkuru et ses consœurs pourraient ainsi demeurer autonomes tout en versant des parts au sein de leur coopérative».
M. Nduwumwami précise sa préférence, dans ce cas précis, pour le choix d’une coopérative : « Dans une coopérative, on se partage facilement les dividendes, et, entre autres avantages, on paie moins d’impôts ».
Par ailleurs M. Nduwumwami conteste l’idée selon laquelle les produits locaux ne se vendent pas. L’important souligne-t-il est d’en soigner la finition. «Il y’a toujours des touristes qui souhaitent partir avec des produits locaux».
Le directeur de la BBIN estime qu’une fois leur coopérative en place, Oda Niyonkuru et ses amies pourraient se permettre de contracter un petit crédit : «Elles peuvent déjà ouvrir un petit compte, y verser de petites sommes et adopter une discipline financière»
En attendant, le directeur de la BBIN conseille à ces jeunes de toquer chez certaines associations comme l’AFAB des (Association des Femmes Entrepreneures du Burundi) pour une assistance technique.