Ne plus jeter une corne de vache ! C’est le slogan que brandit depuis deux ans la coopérative « Bishasha mw’ihembe » de Nyanza-Lac. À partir d’une corne, elle propose différents modèles d’accessoires. Audace Havyarimana, le coordinateur raconte.
Parlez- nous des débuts de cette coopérative
L’aventure a commencé en mars 2014. Au tout début, nous avons suivi une formation sur la technique d’exploitation et de transformation des cornes de vaches. Un savoir que nous devons à un Kenyan du nom de Ben Omondi. Il a été envoyé par l’ONG Opportunity Accross Africa qui parrainait cette initiative. Six mois plus tard, nous avions un savoir-faire suffisant et « Bishasha mw’ihembe » a démarré avec sa gamme Horn Product
Des difficultés au début ?
Pas vraiment. Opportunity Across Africa a pris les choses en main. Elle nous a aidés pour l’apprentissage, mais aussi l’équipement.
Et maintenant ça marche ?
Oui. Déjà nous avons su pérenniser le savoir- faire de notre formateur. En second lieu, via la participation dans différentes expositions, nos produits ont eu un écho outre Atlantique. Nous recevons, de temps à autre, des commandes de l’étranger. Un autre atout nous vient aussi de la quasi-exclusivité de cette technique. Avec une autre coopérative de Kayanza, nous sommes les seuls à vendre des dérivés des cornes. Bref, Horn product est notre principale source de revenu et il fait vivre les douze artisans de la coopérative.
Que propose actuellement votre coopérative ?
Des vases, des sous-verres, des portes bougies, des bracelets, des boucles d’oreilles, des bagues, bref, une multitude d’accessoires produits à base des cornes de vaches. Les gens peuvent aussi passer des commandes pour des produits réalisables en cornes.
Comment s’opère la transformation ?
Nous polissons la corne jusqu’à ce qu’elle devienne lisse et luisante avec une machine sur laquelle est enroulé du papier de verre. Pour cela nous utilisons successivement un papier de verre 2800, 120, 400 et enfin un papier de verre 1500. (Papier de verre : papier recouvert d’une couche abrasive, utilisé souvent pour polissage ou ponçage NDLR)La dernière étape est d’oindre la corne avec un savon de polissage. Pour ce qui est des accessoires qui nécessitent un trou à l’intérieur, nous utilisons une petite tronçonneuse.
Vos prix sont-ils abordables ?
Oui. Ils sont malgré cela différents selon les produits et sont toujours discutables (rires). Un porte-clé est proposé à 5000 Fbu, les boucles d’oreilles sont elles aussi à 5000Fbu, les petits bracelets sont vendus à 2000Fbu un vase peut coûter 15.000Fbu
Quels sont vos clients ?
Les hôtels, les touristes, mais aussi les citadins de la capitale et de Rumonge.
Pensez-vous à l’exportation ?
Nous avons déjà participé dans des expositions. Récemment nous étions dans celle organisée par le Trade Mark Fair préparé par l’ambassade du Kenya. Nous avons eu aussi la chance de participer dans des expositions organisées par le CHASAA (Chambre Sectoriel de L’Art et de l’Artisanat)
Des défis actuellement ?
Oui. D’abord le courant électrique. Nyanza-Lac connaît ce problème de coupure permanente de courant. Or la procédure de polissage de cornes nécessite des machines qui fonctionnent à l’énergie électrique. Ensuite les prix de la matière première (cornes) changent constamment. Au tout début, nous achetions une corne à 800Fbu, aujourd’hui, il varie entre 1000 et 1500Fb. Beaucoup l’exportent vers la Tanzanie. Enfin, nous sommes malheureusement dans un environnement qui n’est pas propice à la vente. Il y a trop de protestants et ils ne sont pas fans des accessoires pour femmes (Rires).
Et vos projets ?
Nous aimerions ouvrir une unité de vente à Bujumbura. Nous aimerions aussi ouvrir une boutique ici à Nyanza-Lac pour vendre.
Bio express
Âgé de 40 ans, Audace Havyarimana est coordinateur de la coopérative « Bishasha mw’ihembe ». Cette dernière a été créée en 2014 sous le parrainage de l’organisation Opportunity Accross Africa. Cette coopérative regroupe aussi des unités de femmes œuvrant dans l’artisanat. Située au chef lieu de la commune Nyanza-Lac, elle compte une dizaine d’employés. Une coopérative similaire est basée dans la province de Kayanza.
Témoignages
L’esthétique d’abord !
Pour Claude Hakizimana réceptionniste et serveur à l’hôtel Palm Beach de Nyanza-Lac, les produits « Horn Product » sont prisés pour leur beauté et simplicité.
À l’entrée de la réception de cet hôtel de Nyanza-Lac, un objet capte immédiatement l’attention des clients : deux cornes de vaches incorporées dans un bois trônent sur une étagère.
Sur cette dernière, des porte-clés, eux aussi à base de cornes. Tout laisse croire que Palm Beach est un bon client de « Horn product ».
Employé à cet hôtel, Claude Hakizimana explique leur choix » Ce sont de bons accessoires, ils sont lisses au toucher, ne s’abîment pas et durent par ailleurs longtemps »
Claude ne s’empêche même pas de comparer les anciens porte-clés en bois aux nouveaux «Les numéros de chambres inscrits sur celles en bois, s’effacent plus rapidement que sur les porte-clés en cornes».
La promotion de l’artisanat, l’objectif de la CHASAA
Directeur exécutif de la CHASAA, Adalbert Hakizimana assure que cette institution suit de près l’évolution de la coopérative
La coopérative «Bishasha mw’ihembe» est aussi membre de la CHASAA Pour M. Hakizimana, la transformation des produits dérivés de la corne des vaches est un secteur nouveau et à succès. «Les membres de la coopérative ont suivi une très bonne formation. Ils produisent des produits de qualité et ils sont compétitifs au niveau régional ».
Le directeur exécutif admet toutefois que le secteur de l’artisanat y compris la coopérative de Nyanza- Lac connaît des difficultés, notamment en rapport avec l’écoulement. «C’est dans ce souci que nous les aidons dans la participation à différentes expositions avec les partenaires de la CHASAA comme la récente foire sur le terrain Tempête ».
M. Hakizimana espère même une participation de cette coopérative à une foire qui aura lieu en décembre à Kampala. Pour pallier au manque de marché d’écoulement la CHASAA vient de mettre sur pied une coopérative lumière des artisans et artistes du Burundi. «Elle a une implantation commerciale à Kigobe. Tous les artisans innovateurs y compris Horn product auront une place », rassure M. Hakizimana.
Conseils d’un pro
Un bon marketing, de bons résultats !
Pierre-Claver Nduwumwami suggère, entre autres, à cette coopérative de relocaliser leurs points de vente.
«Tout est question de marketing», fait savoir le directeur du Burundi Business Incubator.
Pour cet expert, les activités de cette coopérative sont innovantes, mais par contre connaissent peu de visibilité et peu de ventes. «L’idée de créer des dérivés de la corne n’est pas assez répandue et cela constitue un atout».
Selon cet expert si la coopérative se rend compte que le marché n’est pas prometteur à Nyanza-Lac, elle doit nécessairement repenser à une autre stratégie de vente «Elle peut signer des contrats de distribution chez d’autres vendeurs comme au Musé Vivant ou dans les pays de la sous région où des clients potentiels sont identifiés ».
Au problème de courant électrique, M. Nduwumwami préconise de considérer d’autres énergies alternatives «Si leur machine peut supporter l’alimentation par énergie solaire, il est grand temps et judicieux d’y penser».
M. Nduwumwami recommande également à cette coopérative d’agrandir leur réseau de fourniture à Bujumbura «Une corne peut être moins cher à Bujumbura qu’à Nyanza-Lac. Ce groupement doit expérimenter de nouveaux horizons»
Des produits innovants, subventionnés, un savoir-faire et un marché assuré, le directeur croit en l’avenir prometteur pour cette coopérative.
Bravo !
Voilà là où il faut mettre de l’argent pour diversifier les métiers. A force de nous concentrer sur nos divisions, nous oublions le développement. Cela est plus dangereux que tout étant donné que les terrains agricoles se réduisent à vue d’œil.
C’est un très bon article. Nous félicitons et encourageons beaucoup le journal IWACU qui approche davantage les sans voix en général et les artisans et artistes en particulier. Les artisans étaient depuis très longtemps marginalisés alors qu’ils sont des pionniers de création d’emploi. Que la Chambre sectorielle d’Art et Artisanat (CHASAA), la structure qui coiffe les secteurs artisanal et artistique au Burundi, soit soutenue par tous les PTFs afin de faciliter la mise en œuvre de ses missions régaliennes de promotion de l’artisan et de l’artiste pour la création d’emploi.
Que les articles sur ce secteur soient régulièrement produits pour faire connaitre au plus grand public possible ce bijou des artisans du Burundi.