Acteur, metteur en scène, Freddy Sabimbona, âgé de 33 ans, a fait du théâtre sa passion et sa vie depuis voilà dix ans. A la tête de la Troupe Lampyre, il organise la deuxième édition du festival de théâtre « Buja sans tabou » au mois de mars 2016.
Qu’est-ce qui vous a poussé à entrer dans le domaine du théâtre ?
Ma rencontre avec le théâtre se passa en 1997 où j’étais élève (14 ans) à l’école internationale de Bujumbura. J’avais un professeur de français charismatique, du nom de Jean Kilapi, qui a eu la merveilleuse idée de monter une pièce de théâtre intitulé « La marmite de Koka-Mbala » de Guy Menga. C’est à ce moment-là que j’ai attrapé le virus du théâtre. Par la suite, bien plus tard, j’ai intégré la fameuse troupe Pili-Pili de Patrice Faye où j’ai réellement fait mes armes.
Quel âge aviez-vous et quelle place avait le théâtre dans la société ?
Je devais avoir 22 ans et le théâtre était génial, j’en garde de très bons souvenirs. Pili-Pili était connu, on avait un public tous les soirs de représentations, on avait des tournées à l’intérieur du pays. C’était galvanisant. Pouvoir apprendre, jouer sans arrêt, c’était magnifique. C’est d’ailleurs là que j’ai décidé que je ferai du théâtre ma passion.
Comment est née la Troupe Lampyre ?
La Troupe Lampyre est née suite à un atelier de théâtre de Patrice. On s’est retrouvé avec des jeunes passionnés comme Stanislas, Olivier ou Gaby qui avaient ce désir, cette envie de créer leur propre pièce, leur propre univers de théâtre, trouver leur propre style.
Que veut dire « Lampyre » ?
Lampyre est une luciole qui brille dans la nuit et on a cette prétention au sein de la troupe de vouloir briller sur scène comme un… lampyre.
Quelle serait votre définition du théâtre ?
Le théâtre est un outil d’expression. Il permet d’apprendre de la vie. Quand une parole nous consume de l’intérieur, on n’a qu’une seule envie : le partager sur scène… non pas pour dire aux gens comment penser mais qu’il faut « penser » comme le dit si bien Roland Mahauden.
Quels sont les ingrédients pour une belle pièce de théâtre ?
Un bon texte, un bon texte … c’est primordial. De bons acteurs, une belle mise en scène et la magie du théâtre s’opère toute seule.
Y’a-t-il des étapes pour apprendre le théâtre ?
La meilleure façon d’apprendre c’est de ne pas arrêter de jouer, de mettre en scène… C’est un métier d’artisan. Plus on interprète différents rôles, différents textes, plus on apprend le métier.
Qui sont vos modèles au théâtre ?
J’ai beaucoup appris de Patrice Faye (PiliPili), sa façon de monter une pièce, de gérer une troupe. Avoir la chance de voir Capitaine ou encore Emmanuel Gallard jouer sur scène ne m’a donné qu’une envie, c’est d’être aussi bon qu’eux, de pouvoir apprendre d’eux.
Quels sont les difficultés auxquelles tu te confrontes ?
Le théâtre au Burundi est encore jeune. Ce n’est pas encore un métier où l’on peut encore décemment gagner sa vie, même si on y travaille d’arrache-pied. Il nous faut tenir compte de l’agenda des acteurs, du metteur en scène car certains sont étudiants, ont du travail, …
Comment choisissez-vous les acteurs dans la Troupe Lampyre ?
Le premier critère c’est la passion. Il faut aimer, trouver le temps de faire du théâtre. Ensuite le talent et le travail vont parler. Si vous y arrivez, la porte est grande ouverte dans la troupe.
Pensez-vous que le théâtre peut-être rentable au Burundi ?
Il nous arrive d’avoir de très bons contrats sur une durée de quatre à cinq mois mais il y a aussi des périodes creuses il faut se l’avouer. Le défi est de les combler. C’est pour cette raison que la Troupe a le projet de créer une industrie de théâtre au Burundi. Le but étant que, sur le long terme, nous puissions avoir une pléthore d’auteurs, de comédiens, de metteurs en scène.
Avez-vous eu l’opportunité de bénéficier de formations ?
Oui j’ai eu la chance au fil des ans de pouvoir acquérir de nouvelles connaissances, que ce soit à Kisangani avec le théâtre de poche de Bruxelles ou encore avec Sundance Institute à Addis-Abebba et à Utah. Prochainement, si tout se passe bien, je devrais me rendre à Ouagadougou avec Récreâtrales Elan pour une formation sur la mise en scène.
La concurrence est donc quelque chose de positif …
La concurrence est magnifique. Mais, le mot adéquat à utiliser serait plutôt l’émulation. A partir de là, il y aura de l’art, du théâtre, différentes pièces, donc différentes sensibilités suivant les thèmes choisis.
En 2014, la troupe Lampyre a organisé le premier festival de théâtre au Burundi, pouvez-vous nous en dire plus?
On est très fiers d’avoir pu réaliser cette première édition de « Buja sans tabou » d’autant plus que ce fut une réussite. Sur quatre jours de festival, nous avons reçu pas moins de 3500 personnes. Ce qui nous a prouvé que les burundais aiment le théâtre. Nous préparons pour le moment la seconde édition de « Buja sans tabou » qui devrait se dérouler au mois de mars 2016. On espère que le public répondra présent comme pour la première, voire plus pour notre plus grand bonheur.
Pourquoi « Buja sans tabou » ?
Parce qu’on veut créer un espace d’expression où le tabou n’ait pas sa place, où on brise le tabou, où l’artiste soit libre de s’exprimer sur n’importe quel sujet de son choix, sans aucune censure. D’où le slogan « Buja sans tabou ».
Comment sera organisée cette seconde édition ?
« Buja sans tabou 2016 » verra non seulement la participation des pays de la sous- région comme le Rwanda, la RDC, le Burkina Faso, mais également la participation du Théâtre Konstanz qui nous vient d’Allemagne. En bref que des pièces de qualités durant cette seconde édition.
La formation sera de mise comme toujours avec des ateliers de 10 jours sur l’écriture, la mise en scène et le jeu d’acteur. La nouveauté sera le désir de délocaliser le festival en dehors de Bujumbura, nous présenterons une ou deux pièces programmées à Gitega pour commencer et voir ce que cela donnera. Je remercie tous les bienfaiteurs qui nous ont soutenus de différentes manières (les amis, la famille, le public, des institutions que ce soit l’Institut français du Burundi, l’ambassade des États-Unis, la Coopération Suisse, l’ambassade d’Allemagne, le journal Iwacu, Sundance Institute,..).
Sur quelle pièce travaillez-vous actuellement ?
Elle s’intitule « Kebab » de Gianina Carbunariu, auteur roumaine. Elle parle de l’exil d’une jeunesse qui ne croit plus en son pays et qui pense que l’herbe est plus verte ailleurs. Il y a beaucoup de similitudes entre la Roumanie et le Burundi. Cette pièce parle de cette jeunesse qui pense réussir ailleurs et qui au final découvre que l’eldorado qu’elle pensait atteindre n’était en fait qu’un leurre.
La troupe Lampyre est-elle touchée par la crise burundaise ?
Je pense que tout un chacun est touché. Mais les vraies questions à se poser c’est qu’est-ce qu’on fait après ? On croise les bras en attendant que la crise passe ou on se bouge pour faire que les choses avancent? Tout un chacun est capable de répondre à ces interrogations. On a décidé avec la troupe de se dire que nous, notre rôle, c’est de continuer à faire du théâtre.
Bio express
Né à Washington D.C, dans une famille de six enfants, Freddy Sabimbona est le cinquième de sa famille. En dehors du théâtre, il aime faire du sport (le football), lire des livres et s’estime « heureux d’avoir des gens formidables autour de lui que ce soit les amis, la famille, les institutions qui le soutiennent dans ses projets.»
Témoignages
« Il y a plus de dix ans, j’ai trouvé ce garçon très doué ! »
Emmanuel Gallard, ancien acteur dans la troupe pili-pili, est directeur administratif et financier chez Buroflash. Il raconte les débuts d’un jeune entrepreneur passionné du théâtre.
« J’ai connu Freddy Sabimbona il y a plus de dix ans. Je jouais alors dans la troupe pili-pili de Patrice Faye et nous avions décidé d’y intégrer des jeunes » se souvient Emmanuel Gallard. « Il a bien passé les auditions. J’ai trouvé ce garçon très intéressant, très doué et ouvert à d’autres cultures.
M. Gallard se souvient des débuts de Freddy, dans la troupe pili-pili : « Il a commencé à jouer de petits rôles et nous l’avons pris sous notre aile. Nous avons joué plusieurs pièces de théâtre ensemble et il a pris de plus en plus une place dans la troupe. »
L’ancien acteur salue le courage de Freddy qui a décidé de vivre sa passion et de créer sa propre troupe. Et aussi sa chance d’avoir trouvé sa vocation. « Il a cherché lui-même les sponsors auprès des ambassades et agences culturelles, auprès des amis comme moi. J’encourage tout le monde à vivre sa passion malgré la situation actuelle du pays, qui n’est pas des plus envieuses. Un pays sans culture est un pays qui stagne ! »
« C’est un grand opérateur culturel »
Capitaine Madimba, chargé de l’animation culturelle à l’Institut Français du Burundi (IFB), reconnaît le talent du jeune acteur.
« La première chose qui me frappe chez Freddy, c’est l’expression de son visage : il est plus vrai que nature ! », lance, sourire aux lèvres, Capitaine Madimba, animateur culturel à l’IFB. « Non seulement il joue les pièces écrites par d’autres acteurs, (’’Un jeune homme responsable s’abstient’’ de Patrice Faye), mais encore il écrit ses propres pièces (’’Quitte ou double’’, ’’Compilation’’…) ». Capitaine Madimba se souvient avec nostalgie des moments passés avec Freddy quand ils jouaient dans la troupe pili-pili : « Il a débuté dans les années 2000 puis il a pris son envol. Certaines de ces pièces ont été jouées à l’étranger, au Rwanda et à l’Ile de la Réunion où nous étions partis ensemble ».
M. Madimba rappelle qu’après la création de la troupe Lampyre, Freddy a connu sa consécration en 2014 avec l’organisation du premier festival de théâtre ’’Buja sans Tabou’’. « C’est un grand opérateur culturel et il le démontre par sa ténacité et son volontarisme : quand il veut il ne lâche pas. Il transmet un certain dynamisme aux autres jeunes. »
Et de conclure : « Là où la culture se développe, il y a moins de conflits ».
Conseils d’un pro
« La troupe Lampyre doit s’organiser en une véritable entreprise »
Pour le directeur général du Burundi Business Incubator, Pierre-Claver Nduwumwami, créer une troupe de théâtre est une excellente idée.
« Le théâtre est une création intellectuelle, de l’art véritable qui cible en grande partie les personnes ayant une certaine formation », constate Pierre-Claver Nduwumwami, DG du BBIN. Il reconnaît que la création d’une troupe est une excellente et intéressante idée : «Le théâtre est l’une des rares opportunités d’avoir du loisir au Burundi. Cela répond à un besoin de la communauté »
M. Nduwumwami reconnaît que dans le climat d’insécurité actuel, rares sont les gens qui sortent le soir pour assister à un spectacle. Toutefois, dit-il, cette situation changera un jour. De même, si le divertissement ne répond pas directement aux besoins fondamentaux – se nourrir, se vêtir, se loger- il existe une tranche de personnes, même peu nombreuses, qui consomme du théâtre.
Pour ce qui concerne la rentabilité future du théâtre, le DG du BBIN est donc confiant. « Les acteurs n’ont pas besoin de milliers de spectateurs pour faire rentrer des revenus et faire perdurer leur projet. Par exemple, sur une population de 10 million, si 500 mille personnes fréquentent les salles de théâtre, des troupes de théâtre pourront en vivre. » C’est le même cas pour les entreprises qui vendent de l’eau minérale, assure-t-il.
Pour la troupe Lampyre, le vrai challenge, ajoute M. Nduwumwami, consiste à s’organiser en une véritable entreprise, avec un organe dirigeant et les diverses compétences qui lui permettront de fonctionner et d’investir. « Elle sera alors pérenne, sinon elle restera vulnérable parce qu’il lui faut un noyau solide pour pouvoir vivre décemment. »
La BBIN n’a pas encore reçu de projet visant à créer une troupe de théâtre, mais des projets concernant d’autres loisirs et détentes. « La plupart des artistes, constate M. Nduwumwami ne sont pas demandeurs d’accompagnement pour gérer leurs entreprises afin qu’elle dure dans le temps. Les acteurs, les metteurs en scène sont plus des créateurs que des entrepreneurs. » Toutefois, assure-t-il si le groupe a besoin d’être coaché, nous avons un service adéquat prêt à l’encadrer dans l’amélioration des plans d’affaires, l’étude du marché, etc.
Freddy, c’est un cousin éloigné. J’ai connu son grand pére qui était un homme plein d’humour dans notre Bututsi qui vivait de vertige et de bruit éphemère dans le vent du soir.
Notre vie était un théâtre où on échange de paroles inaudible. C’est un temps qui ne reviendra jamais, qui ne pouvait pas entrer dans le monde dit moderne
La litterature comme art se différencie de l’artisanat, le théatre réussit quand il se dévêtit de la done busness. Mes félicitations a cette équipe de Lampyre en général et a Freddy en particulier pour leur rôle dans l’avancement de la culture théatrale au Burundi.