Dimanche 24 novembre 2024

Editorial

Osez dire non aux « ordres d’en haut »

28/07/2023 4

Le Sénat vient d’approuver les nominations du nouveau procureur général de la République et des juges à la Cour suprême. Des commentaires ont fusé de partout quant à leur probité, intégrité, indépendance et neutralité politique. Accordons-leur le bénéfice du doute.

Ces nominations se réalisent au lendemain d’une affaire qui a fait la Une des médias et le buzz sur les réseaux sociaux : l’incarcération de Christelle Ndayishimiye, élève au lycée communal Mugendo en commune de Ntega pour « divulgation d’un secret professionnel ». Une affaire qualifiée de scandale judiciaire, parfaite illustration de l’âne des Animaux malades de la peste ou de l’agneau du Loup et l’Agneau de Jean de La Fontaine. Les cas de Christelle sont légion.

Par Léandre Sikuyavuga
Directeur du groupe de presse Iwacu

Lors de la réunion avec les représentants de la magistrature en août 2021, le Président de la République a dénoncé vivement « la corruption » qui gangrène la justice burundaise qu’il accuse d’être à l’origine de tous les maux du pays. On se souviendra de la « contre-attaque » du juge de tribunal de grande instance de Rumonge pour se justifier. « Il y a de la corruption, c’est vrai. Mais, il y a aussi une main invisible qui pèse sur les juges. Le justiciable d’aujourd’hui est très rusé car lorsqu’il voit qu’il va perdre son procès, il s’en remet au chef du parti au pouvoir de sa province, ou alors il s’appuie sur un général de l’armée ou de la police. »

Sans se voiler la face, on peut affirmer que depuis l’accession du Burundi à son indépendance, la justice n’a jamais été un sujet de fierté nationale. D’après une étude réalisée en 2016 par l’Association des juristes catholiques du Burundi (Ajcb) en partenariat avec Cordaid, « près de ¾ des justiciables enquêtés estiment que la justice burundaise n’est ni impartiale ni indépendante. 74,7 % ne croient pas qu’un pauvre dont sa terre a été spoliée par un riche homme d’affaires pourrait gagner le procès contre ce dernier ».

Dans son ouvrage L’accès à la justice au Burundi : au-delà de la qualité de la norme, un problème de culture de respect de la loi, Aimé-Parfait Niyonkuru dénonce un duel dévastateur pour l’accès à la justice au Burundi entre « l’autorité de la loi et la loi de l’autorité ». Pour lui, lorsqu’il est question de dossiers « sensibles », les « ordres d’en haut » font office de lois et, au besoin, remplacent les lois existantes, à la grande angoisse des magistrats « intègres », contraints de traiter ces affaires.

Ce que disent ces juristes peut être vrai. Mais ils ont aussi le droit de dire non à ces « ordres d’en haut ». Feu Léonard Nduwayo peut les inspirer dans l’affaire Ntungumburanye en 1971. Fraîchement nommé procureur général de la République, il plaidera pour la relaxe des accusés dans un dossier purement politique, « un complot qui viserait à destituer le Président d’alors ».

Il y avait des condamnations à la peine capitale, à la réclusion perpétuelle. M. Nduwayo considérera que l’accusation ne tient pas débout en l’absence des preuves. C’est donc possible de refuser les « ordres d’en haut ». Tout dépend de la personnalité du juge. Souhaitons aux nouveaux juges nommés aux hautes fonctions de la magistrature le courage de dire non aux « ordres d’en haut ».

Forum des lecteurs d'Iwacu

4 réactions
  1. Kabizi Pawulo

    Oser dire non aux ordres d’en haut signifie se suicider au Gondwana. C’est frapper la main qui te donne la soupe. L ajustice est loin de faire la fierté nationale des Burundais pour s’enorgueillir

  2. arsène

    « Le Sénat vient d’approuver les nominations du nouveau procureur général de la République et des juges à la Cour suprême. »

    Merci au Président de la République. Les juges de la Cour suprême étaient trop corrompus tout autant, sinon plus que ceux des cours et tribunaux inférieurs. Il y a longtemps qu’ils auraient dû être limogés. Espérons que nous n’allons pas tomber de Charibde en Scylla.

  3. Budigoma Eric

    Aussi longtemps que ces magistrats qui occupent de hauts postes de responsabilité sont nommés, la situation restera inchangé, seuls les mobiles politiques guident ceux qui les nomment et les approuvent. Une promotion interne basée sur des mérites objectifs ferait la différence. Sinon, vous aurez à réciter toujours Le loup et l’agneau.

  4. hakizimana

    uwotohoza aho bahora bakora ingene bakora, vyokoroha gutahura que ce n’est pas demain ou après demain que la justice burundaise dire le droit avant tout autre considération. D’ailleurs, sans vouloir polémiquer , je me pose la question de savoir s’il ny a pas une enquête préalable de moralité avant de faire de telle nominations et cela de la part de celui qui nomme et celui qui approuve. Les dirigeants du pays se lamentent que les magistrats burundais sont corrompus il faut qu’ils fassent attention de ne pas donner des promotions aux gens qui sont loin de faire l’unanimité. Leurs anciens collègues vous en diront peu ou plus. cela étant, espérons en l’avenir meilleur même si c’est seul le bénéfice du doute que puisse m’en convaincre.

A nos chers lecteurs

Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web. Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus, mais une information rigoureuse, vérifiée et de qualité n'est pas gratuite. Nous avons besoin de votre soutien pour continuer à vous proposer un journalisme ouvert, pluraliste et indépendant.

Chaque contribution, grande ou petite, permet de nous assurer notre avenir à long terme.

Soutenez Iwacu à partir de seulement 1 euro ou 1 dollar, cela ne prend qu'une minute. Vous pouvez aussi devenir membre du Club des amis d'Iwacu, ce qui vous ouvre un accès illimité à toutes nos archives ainsi qu'à notre magazine dès sa parution au Burundi.