Le mouvement en faveur d’une grève générale contre la vie chère permet de dresser plusieurs constats, dont de grandes interrogations d’ordre politique. A noter que cet article a été rédigé avant la rencontre entre le 2è vice-président de la République et les diplomates à Bujumbura.
Pour ceux qui espéraient 2012 comme une année de « paix et de réconciliation », cela démarre sur les chapeaux des roues. Car le préavis de grève générale qui vient d’être déposé par les leaders de la société civile scinde virtuellement le pays en deux opinions : d’un côté, les syndicats avec derrière eux, (potentiellement) des dizaines de milliers de fonctionnaires et tous ceux qui se reconnaîtront dans l’appel de Pacifique Nininahazwe. Le délégué général du Forsc en appelait à « la fin de la peur des Burundais », pour qu’ils « prennent conscience de leurs droits et aient le courage de les défendre! » De l’autre côté, « les autorités qui ne paient pas d’impôt sur les rémunérations », « ces responsables politiques qui ne savent pas ce que le peuple endure », « ces enfants chéris de la République qui ignorent la souffrance que procure la gestion douloureuse de 51,8Kw par semaine ». Et comme le Cndd-Fdd, par le truchement de son porte-parole vient d’appeler ceux qui entendent mener « campagne contre la vie chère », à éviter une voie « qui pourrait conduire le pays dans le gouffre », la conclusion est simple. La tournure de l’affaire devient simplement politique, avec une société civile qui surfe sur une frustration fortement symbolique (un fonctionnaire avec 40.001 Fbu de salaire rembourse 12.000 Fbu à l’Etat, tandis qu’un député avec 30 fois plus empoche le tout!) et concentre en elle tous les déçus du « système. »
Qui mène la danse ?
Parmi ces petits détails qui font l’histoire, on notera que le compte Facebook « FNL Burundi » annonçait ce mercredi 14 mars :{ « Jeudi, ubugabo burihabwa abarundi mwitere iteka »} – {« Jeudi, la dignité se conquiert, Burundais recouvrez votre honneur ! »}… Et c’est cela la seconde leçon dans cette affaire : il apparaît dorénavant que les politiques de l’opposition sont réduits à suivre « le tempo » imposé par la société civile dans le choix des sujets du moment. Et cela que ce soit sur l’affaire Manirumva, la question de la cherté de la vie, ou encore celle de la justice transitionnelle… En fait, c’est comme si le dernier rapport (quoique grandement décrié) de l’Onu parlant d’implication de l’opposition dans la préparation d’une rébellion avait contraint l’ADC- Ikibiri à se mettre en retrait, laissant mécaniquement la place à la société civile dans l’âpre bataille des opinions que nous vivons. Troisième constat, et non moins des grands : que penser des parlementaires burundais ? En repoussant l’adoption de la loi relative à l’IPR sur les salaires des mandataires et cadres politiques ainsi que les autres agents de l’Etat pour une raison fondée (harmoniser la nouvelle loi avec la loi organique exonérant les hautes autorités de l’IPR), et en ne communiquant pas assez sur ce sujet, le mal a été fait. Depuis, dans le camp de « la lutte contre la vie chère », on a l’impression que les députés veulent protéger une certaine catégorie de Burundais. D’autant plus qu’on n’a pas entendu les inquiétudes des mêmes parlementaires quand la Regideso a procédé à la seconde hausse de ses tarifs sur la grille. Comme si cela était de l’ordre du naturel… En somme, l’Assemblée Nationale apparaît dans tout ceci comme un courroie de transmission entre gouvernement et le peuple, et non une voix vigilante (et bruyante, c’est la beauté des hémicycles) qui questionne l’État en puisant ses mots dans le peuple. Quatrième constat : la gestion justement de la communication autour de cette cherté de la vie. A-t-on expliqué que c’est un mouvement qui touche le monde, et que le Burundi ne saurait s’y soustraire ? A-t-on eu droit à une séance radiophonique avec un format spécial (émission multi-diffusée avec questions des auditeurs) où une autorité fortement symbolique (le porte-parole du Président par exemple, à défaut du numéro un lui-même) explique où l’état d’avancement dans la procédure d’harmonisation des salaires ? Helas ! Non… Une conférence par ici, un séminaire par là, une interview ailleurs. Bref, la position gouvernementale sur la question, pourtant centrale et au coeur de la perception des {inégalités} (qu’on ramènera à l’appartenance politique, bien entendu), se dilue. Cinquième constat, une simple question : que vaut la menace d’une paralysie du pays enclenchée par le mouvement syndical ? Les Burundais, peuple peu enclin aux mouvements de révolte (il en a vu les conséquences par le passé), arrêtera-t-il de travailler ? Se jettera-t-il dans la rue, au nom des nombreuses réclamations qu’il porte ? Les uns pointeront le fait que cette grève générale touche essentiellement les milieux urbains (pour ne pas dire principalement Bujumbura), qui représentent justement peu par rapport à la répartition de l’électorat du Cndd-Fdd à travers le pays. Et donc qu’il y a lieu d’organiser une contre-manifestation plus massive, plus symbolique. Les autres souligneront que la grève aura peu d’impact, le fait étant que peu de fonctionnaires burundais vivent exclusivement de leurs salaires… Quoiqu’il en soit, la « Campagne contre la vie chère » (avec elle les mouvements de grève qui se profilent à l’horizon) pourrait changer l’agenda du pays : avant de célébrer le 2 juillet 2012, il ne s’agira pas d’enclencher la Commission Vérité et Réconciliation. On en serait réduit, en priorité, à harmoniser les salaires et réduire le prix de l’eau et de l’électricité…