L’attaque contre le journal Iwacu après la publication des statistiques annoncées par le ministère de la Santé a fait réagir un spécialiste. D’après lui, c’est dommage que cette information cristallise le débat sur des bases politiciennes qui vont jusqu’à demander la fermeture du journal Iwacu et occultent le vrai enjeu.
*Réginas Ndayiragije. Psychologue. Assistant d’enseignement à l’Université d’Anvers et Doctorant, Belgique
Une recherche conduite au Burundi secoue la twittosphère depuis deux jours. Elle donne des chiffres qui, à premier abord, semblent excessifs. 4 Burundais sur 10 auraient des problèmes mentaux. Le bref article produit par Iwacu, pour relayer les conclusions de ladite recherche, se passe de certains détails notamment la ventilation des données par types d’affection. Le gros du message, cependant, y est. Des Burundais souffrent.
En tant que consommateurs ou destinataires de cette information-décideurs politiques, scientifiques, journalistes, etc., c’est de notre rôle d’aller plus loin pour la disséquer. Le débat n’est pas en tout cas sur l’incomplétude de l’information à notre disposition. Il est ailleurs. La tournure du débat en cours appelle une double question : pourquoi cette recherche fait-elle débat? Qu’en est-il de sa crédibilité?
Pourquoi ces chiffres soulèvent le tollé ?
Il y a au moins deux raisons. D’abord, des raisons d’ordre culturel. Problème mental renvoie, et c’est dommage, aux pathologies psychiatriques. À ce titre, dire que 4 Burundais /10 souffriraient d’affection psychologique deviendrait une insulte.
Quand un journal sous perfusion des commanditaires des malheurs que doit porter notre pays ose écrire et donner de fausses statistiques qui prennent presque toute une nation de 11 millions pour des fous y compris j’en ai la conviction,tout son staff de « journalistes ». Marrant !!! pic.twitter.com/byDksLhoxh
— Maniratunga (@Maniratunga) October 9, 2019
Pourtant, les problèmes mentaux recoupent diverses situations, d’ampleurs différentes, telles que les pathologies psychiatriques, les addictions, les conduites à risque, les souffrances psychiques, le mal-être, etc . En relayant les conclusions de cette recherche, Iwacu rend un service à la nation. Il faut que ces données soient connues et que les problèmes mentaux soient démystifiés. Ce serait dommage que cette information cristallise le débat sur des bases politiciennes qui vont jusqu’à demander la fermeture du journal Iwacu et occultent le vrai enjeu.
Il est impératif que cette recherche constitue une occasion pour démystifier ce mal qui, soit dit en passant, n’est pas une ‘anomalie typiquement burundaise’ dont on devrait avoir honte. Le problème mental est inhérent à notre nature humaine, car elle résulte de nos luttes quotidiennes avec le réel et/ ou imaginaire. Que des considérations politiques nous fassent rater l’opportunité de parler des problèmes mentaux avec moins de préjugés, ce serait un gâchis. Comme le disent si bien les Burundais, « Uta inkoko ntuta ico ibitse » c’est-à-dire tu as bon jeter l’opprobre sur le messager (ici en l’occurrence Iwacu), le message reste intact. La chasse aux sorcières, du moins en suis-je convaincu, n’apaisera la souffrance de toutes ces âmes qui attendent de nous que nous changions notre regard sur leurs maux. Leur souffrance appelle une urgente réponse.
En réalité, cette histoire me rappelle une autre histoire, récente, relative à la prévalence du paludisme au Burundi au cours de l’année 2019. Et la question qu’on se pose est celle de savoir pourquoi, nous autres les Burundais, avons une certaine allergie aux chiffres ? Parce qu’au fond, ils sous-entendent la responsabilité : celle d’un pouvoir public, supposément ou réellement, incapable de répondre à sa mission. Cela nuit à la qualité du débat et compromet tout l’avantage qu’on devrait tirer de ces données. Les statistiques n’ont pas la vocation à nous faire plaisir. C’est comme le thermomètre. C’est le premier message. Deuxièmement, il y a des enjeux nationaux qui exigent qu’on dépasse les oppositions stériles. Cette recherche, pour autant qu’elle ait respecté les règles de l’art, offre un exemple typique d’ enjeu transpartisan.
Le gouvernement devait porter plainte contre ce journal qui ne diffuse que du MAL à chaque article comme si, la liberté de presse est de salir toute une nation entière @LeRenouveauBdi @2m1journaliste @RFIAfrique @afpfr @MAEBurundi @minisante @BurundiLDDS @NtareHouse
— Maniratunga (@Maniratunga) October 9, 2019
Quid de la crédibilité ?
D’abord, quand on lit quelque part une information chiffrée, qui plus est vient d’une recherche, on se dit à priori que c’est du sérieux. Pour le cas d’espèce, Iwacu a repris des propos annoncés publiquement, par un représentant d’une institution compétente, le ministère de la Santé. Après, il faut passer au peigne fin la méthodologie utilisée. Donc, n’ayant pas encore personnellement lu cette recherche et surtout dans ses parties méthodologiques et l’analytique, cela relèverait de la pure sorcellerie que de me faire une opinion avisée sur la question. Cependant, nous pouvons nous interroger sur la plausibilité de ces résultats. Personnellement, suivant mon intuition, je ne les trouve pas plausibles. Pas parce qu’ils sont au-delà de ce à quoi je m’attendais, mais plutôt parce qu’ils sont en deçà. L’explication est simple. Dans un pays qui vit depuis plusieurs années des crises cycliques à répétition avec toutes les conséquences passées et actuelles qu’on connait, il ne serait pas surprenant que la souffrance intérieure soit à la mesure des drames que ces crises charrient. Quand cela est combiné aux préjugés associés aux difficultés mentales, au manque de moyens pour se payer les services des professionnels, à la rareté de professionnels pas seulement diplômés, mais réellement qualifiés-bien que défiant notre intuition-, on comprend pourquoi ces chiffres, à juste titre alarmants, sont au fond loin d’être surprenants.