Samedi 23 novembre 2024

Opinions

OPINION – Rose Ndayahoze : ma vérité sur la diabolisation du journaliste Antoine Kaburahe

06/08/2020 Commentaires fermés sur OPINION – Rose Ndayahoze : ma vérité sur la diabolisation du journaliste Antoine Kaburahe
OPINION – Rose Ndayahoze : ma vérité sur la diabolisation du journaliste  Antoine Kaburahe

Depuis quelques jours, une campagne de diabolisation a été entreprise sur les réseaux sociaux contre le journaliste Antoine Kaburahe. Je veux juste témoigner, dire ce que je sais de ce journaliste qui ne mérite par un tel traitement .

1° Mon nom est Rose Karambizi Ndayahoze, je suis tutsi d’origine rwandaise, veuve de Martin Ndayahoze. Mon mari était militaire formé à Saint-Cyr (France), un officier patriote, un homme droit. Quand il a été assassiné en 1972, il avait été éloigné du poste de ministre de l’information par quelques individus qui connaissaient la faiblesse du président Micombero et qui savaient que si Ndayahoze restait au gouvernement ils n’allaient pas pouvoir accomplir leur plan de génocide. En l’éloignant, ils ont pu isoler le Président et lui faire endosser la responsabilité de commettre le génocide contre les Hutus. Rappelez-vous qu’il n’y avait pas de gouvernement entre le 29 avril et le 14 juillet 1972.

2° Martin Ndayahoze était né et a grandi à Bujumbura, mais les parents étaient originaires de Gitega. Il était membre du Conseil de la Révolution du 28 novembre 1966 qui instaura la République et fut nommé ministre de l’Information. Il était avec le Roi Ntare V à Kinshasa quand celui-ci a été déposé. Il était aussi l’une des voix les plus emblématiques, de par ses éditoriaux qui passaient à la seule radio de l’époque, la « Voix de la Révolution », actuelle RTNB. Il a occupé de hautes fonctions au sein du parti UPRONA et dans le premier gouvernement de Michel Micombero.

Dès les années 1967, mon mari a vite détecté la dérive du régime, contrôlé par une petite poignée d’extrémistes tutsis. Dans des rapports adressés au président de la République, Michel Micombero, Martin Ndayahoze ne cessait de dénoncer des plans visant à éliminer les élites d’une ethnie et à diviser le peuple burundais. Car mon mari, le Commandant Ndayahoze, aimait son pays et souhaitait pour lui et pour tous ses citoyens un avenir radieux. Ministre de l’Information, très bon écrivain, il rédigeait et diffusait des éditoriaux dans lesquels il alertait le président Micombero sur la haine ethnique distillée et développée par des irresponsables extrémistes dans son l’entourage. Il pressentait la catastrophe qui risquait de s’abattre sur la République. Il ne s’est pas trompé. En avril 1972, les Hutus sont victimes d’un génocide qui emporte une grande partie de l’élite hutu, dont mon mari, Martin et aussi des Tutsis visés par le groupe d’assassins-voleurs au pouvoir.

3° Veuve, du jour au lendemain je suis devenue comme un paria, une pestiférée, chassée de notre maison dans un très beau quartier (avenue des Flamboyants), je me suis retrouvée complètement démunie. Quand je prends le chemin de l’exil, je n’ai rien. Mais j’ai pu sauver et emporter les écrits de mon mari. Quand le gouvernement a su que je les avais, c’est devenu un cauchemar.

4° Le Canada m’a accueillie comme réfugiée politique, mais les autorités burundaises savaient que j’avais les écrits de mon mari, qui prouvaient que ce qui s’est passé était un génocide organisé et non une guerre civile. Les autorités utilisaient leur ambassade à Ottawa pour me mener une vie dure et essayaient de me contraindre à retourner au Burundi pour me faire disparaitre afin d’étouffer la vérité. Moi je voulais publier les écrits de mon mari et ainsi partager sa pensée afin de contribuer à la prévention des guerres qui étaient prévisibles si rien n’était fait.

5° Fin 1986, sous recommandation du gouvernement du Canada, je me suis rendu à New York et je me suis entretenu avec les avocats du département légal des Nations Unies. Je voulais leur expliquer la situation, ce qui s’était passé en 1972, mais aussi comment prévenir le génocide qui était prévisible si rien n’était fait. Mais l’ambassade du Burundi m’a fait mettre sur la liste noire des Nations Unies.

6° En 2005 je suis allée encore à New York ou j’ai rencontré des hautes autorités burundaises de passage à l’ONU pour l’Assemblée générale de l’ONU. J’ai expliqué l’importance de ce témoignage pour l’histoire et pour la Vérité et la réconciliation afin que les Burundais puissent retrouver la cohésion sociale que nos ancêtres nous ont léguée et ainsi vivre en paix. Rappelez-vous, avant la colonisation nous savions comment régler nos différends. Les litiges pouvaient être réglés par les membres de la famille, les voisins, les dirigeants étaient conseillés par des sages… on pouvait même aller jusqu’au roi. Il avait toujours une oreille attentive pour les requêtes des citoyens. A New York, j’ai donc présenté mon projet de livre à cette autorité dont je tais le nom. L’illustre personnalité m’a gentiment écouté et m’a promis un suivi qui n’a jamais eu lieu.

7° J’ai soumis le manuscrit à plusieurs éditeurs qui ont refusé, certains estimant que financièrement ce n’était pas intéressant. Le témoignage est allé dormir dans un tiroir pendant plusieurs années. J’étais désespérée, jusqu’à ce qu’un Burundais, un ami, me parle d’Antoine Kaburahe. Il m’a dit que ce journaliste était également un éditeur, très intéressé par l’histoire de son pays. Je lui ai envoyé le manuscrit et quelques jours après il m’a appelé, complètement conquis par le message de paix de Martin Ndayahoze. Puis il a pris l’avion pour Montréal et nous avons longtemps parlé, parfois presque des nuits entières.

8° J’ai découvert un journaliste épris de paix, soucieux de connaître et de faire connaître notre histoire et les témoignages constructifs des hommes qui ont marqué le Burundi. C’est triste que les vraies informations sur les personnes ne circulent pas, c’est presque toujours des rumeurs qui priment.

9° Le livre est paru sous le titre « Le Commandant Ndayahoze, un visionnaire ». Avec Antoine Kaburahe, à Montréal, Bruxelles et d’autres villes, j’ai pu animer des conférences, parler du combat de mon mari et de nombreux Justes tués en 1972 par une clique de criminels qui se sont cachés derrière l’ethnie pour plonger le pays dans la tragédie. Le livre existe, circule. Des jeunes le lisent, des étudiants l’utilisent dans leurs travaux. Grâce à ce journaliste et éditeur, le témoignage de Martin Ndayahoze ne tombera pas dans l’oubli et servira à la Construction de la Vérité.

10° Je peux donc témoigner, avec force, qu’Antoine Kaburahe ne correspond pas du tout à ce portrait que j’ai entendu circuler sur les réseaux sociaux. Dire qu’Antoine Kaburahe est au « service d’une ethnie » c’est ne pas connaître sa personne. C’est un bon professionnel qui fait un travail honnête au service de son pays. Ce qu’il fait notamment comme éditeur est un travail important qui devrait être salué, encouragé, respecté.

Conclusion

J’invite les Burundais à être vigilants. J’ai appris une grande leçon : les mots tuent. Je suggère que les autorités burundaises invitent les Burundais à assister à des ateliers de Communication non -violente. Même les Eglises devraient participer en cédant par exemple, une fois par mois, leur espace pour donner à la population des outils de communication non violente afin de pouvoir accomplir les recommandations de Jésus : aimez-vous les uns les autres. Le génocide, le crime des crimes n’est pas un concept abstrait, une vue de l’esprit ; c’est le non-respect de recommandations de Jésus, je l’ai vécu dans ma chair. Au Rwanda, mon pays d’origine et au Burundi, mon pays d’adoption. Un ami canadien d’origine burundaise qui me connaît et qui a lu le livre a bien résumé mon combat.

« Le premier pont que Rose Ndayahoze a voulu construire, celui qui lui a pris le plus d’énergie, c’est le pont de la mémoire, entre le passé et l’avenir : il faut rappeler le génocide, afin que nul n’oublie qu’il peut se répéter. »

Et quand j’entends certains discours sur les réseaux sociaux, j’ai peur justement qu’il se répète.

Il ne faut donc pas se lasser, il faut parler, raconter, écrire notre passé hideux pour ne pas le revivre. Antoine Kaburahe est un de ces veilleurs essentiels. Il ne mérite pas d’être ainsi traîné dans la boue. Je souhaite que les Burundais vivent une vraie réconciliation et celle-ci passe par la vérité, une reconnaissance de leur histoire.

Montréal le 6 août 2020
Rose Karambizi Ndayahoze

A nos chers lecteurs

Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web. Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus, mais une information rigoureuse, vérifiée et de qualité n'est pas gratuite. Nous avons besoin de votre soutien pour continuer à vous proposer un journalisme ouvert, pluraliste et indépendant.

Chaque contribution, grande ou petite, permet de nous assurer notre avenir à long terme.

Soutenez Iwacu à partir de seulement 1 euro ou 1 dollar, cela ne prend qu'une minute. Vous pouvez aussi devenir membre du Club des amis d'Iwacu, ce qui vous ouvre un accès illimité à toutes nos archives ainsi qu'à notre magazine dès sa parution au Burundi.

Editorial de la semaine

Question à un million

Quelle est cette personne aux airs minables, mal habillée, toujours en tongs, les fameux ’’Kambambili-Umoja ’’ ou en crocs, les célèbres ’’Yebo-Yebo’’, mais respectée dans nos quartiers par tous les fonctionnaires ? Quand d’aventure, ces dignes serviteurs de l’Etat, d’un (…)

Online Users

Total 2 092 users online