Par Hilaire Urinkuru *
Comme la plupart des Burundais, j’ai été choqué par le cas « Mme Christa Kaneza.» Je comprends bien que dans des cas d’homicides de l’un des conjoints l’autre est souvent le « principal suspect ». La police devait mener des enquêtes auprès de la jeune veuve, c’est normal.
Rappel des faits. Lors d’un point de presse, le 20-01-2021,Piere Nkurikiye, porte-parole ministère de l’Intérieur, du Développent communautaire et de la Sécurité publique (MIDCSP) a dit en kirundi:
« … mu Gasekebuye muri zone ya Musaga muri commune ya Muha ngaha mu gisagara ca Bujumbura harabaye ubwicanyi bw’agahomeramunwa aho umugore yishe umugore wiwe mu nzu afashijwe n’abandi bantu b’abicanyi bavuye hanze»
Traduction
-« …à Gasekebuye, zone Musaga en commune Muha dans la ville de Bujumbura, il y a eu un crime crapuleux. Une femme a tué son mari dans la maison avec l’aide d’autres personnes assassines venues de l’extérieur. »
Il a ajouté que :
« .. ni ho rero igipolisi caca gikora amatohoza yimbitse kuri uyu mugore. Gica gisanga koko uyu mogore ni we yatumye, ni we yaganduye umugabo wiwe… »
Traduction
« …ainsi la police a fait des enquêtes approfondies et a conclu sans équivoque que c’est elle qui a commandité, c’est elle qui a tué son mari… »
A travers cette déclaration, le porte-parole de la police affirme que Christa Kaneza « a tué son mari.»
Comme bien d’autres gens qui ont suivi les propos du porte-parole du MIDCSP, je me suis posé la question si la police a des indices suffisants de culpabilité à charge de la jeune Christa Kaneza. La police, a-t-elle réellement mené « des enquêtes approfondies » pour conclure « sans équivoque » que c’est Mme Kaneza qui a commandité, et qui a tué son mari ?
En effet, si l’on s’en tient aux propos du porte-parole, les indices de culpabilité communiqués à la presse, ne sont pas suffisantes et peuvent être battues en brèche très facilement. Et pour preuve : le porte-parole ministère de l’Intérieur, du Développent communautaire et de la Sécurité publique s’exprime au conditionnel au sujet du mobile du crime. Elle ne devrait pas utiliser le conditionnel ou toute expression de doute pour communiquer de l’arrestation de Mme Christa. Malheureusement, la police a utilisé des expressions qui indiquent le doute, l’incertitude, l’hésitation quant à la véracité des indices annoncés. Exemple, des propos comme :
« …bishoboka ko ashobora kuba yaratwaye ibintu vy’agaciro mu nzu canke agiye ajanye izo nkozi z’ikibi … »
Traduction
« …il est possible qu’elle se soit déplacée en emportant avec elle les objets précieux de la maison… ou en accompagnant les malfaiteurs… »
Ici, moi comme bien d’autres qui ont suivi les propos du porte-parole Pierre Nkurikiye, je reste sur ma soif quant aux motifs concrets qui ont été à la base des « soupçons raisonnables » de la police qu’il existe un lien clair entre Mme Christa Kaneza et le crime commis. Il est important de noter aussi que la police n’a ni indiqué le lien qui existerait entre Mme Christa Kaneza et les autres suspects dans le dossier ou le mobile du crime. Je reste convaincu (c’est mon opinion personnelle) que la police n’a fait cette sortie médiatique que pour tout simplement hisser plus haut son image d’une police efficace auprès de l’opinion.
Strict respect du principe de la présomption d’innocence
Le principe de base dans la procédure pénale, dans un état démocratique, est la présomption d’innocence. Elle est la base des règles de procédure pénale. Au Burundi, comme dans d’autres pays, c’est un principe à valeur constitutionnelle et son importance est capitale à tel point que sa violation est prévenue, réparée et réprimée par la loi.
Mais de quoi s’agit-il en fait ? En des termes simples c’est la prohibition d’affirmer qu’une personne est coupable avant qu’elle n’ait été jugée par un tribunal compètent. Dans le cas de l’arrestation de Mme Christa Kaneza, la police burundaise, à travers les propos du porte-parole du MIDCSP a déjà fait le procès de celle-ci à la place d’un juge. Or, seul un juge peut déclarer qu’un suspect est coupable ou innocent.
Je sais bien que la police se situe en amont de la chaîne pénale. En présentant Mme Christa Kaneza à la presse, la police était dans son rôle. Toutefois, cette image d’une femme accusée d’avoir assassiné son mari et présentée menottée devant la presse nuit à la présomption de son innocence et donne l’idée qu’elle est dangereuse, qu’elle est coupable. Ainsi, par ces propos et cette image, la police a établi sa culpabilité. Et, cet établissement de la culpabilité par la police porte atteinte non seulement à la dignité de Mme Christa Kaneza (un droit fondamental), mais aussi pourrait influencer la justice.
J’exhorte donc les autres acteurs dans la chaîne judiciaire et surtout les juges des cours et tribunaux à ne pas se laisser influencer par la police et de garder à l’esprit ce principe sacro-saint de présomption d’innocence pour les accusés non encore condamnés.
Je ne saurais terminer ma réflexion sans rappeler le clin d’œil fait, les années passées, par le président du CNIDH sur le professionnalisme de notre police dans les enquêtes d’homicide : « La police doit être irréprochable dans ses enquêtes pour ne pas ternir son image et renforcer la confiance des citoyens envers cette institution essentielle pour les citoyens ».
*Hilaire Urinkuru est juriste & Criminologue, il vit aux USA.
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