Depuis quelques temps, les intellectuels burundais sont devenus très « silencieux ». Un signe des temps ? C’est pourquoi la lettre ouverte d’Eric Ndayisaba*, un jeune historien, 36 ans, professeur d’université, mérite l’attention. Ce n’est pas « un coup de gueule ». Les mots sont bien choisis. Simples. Profonds. A méditer pour nos candidats à l’élection présidentielle.
Monsieur, si bientôt vous êtes élu Président de la République du Burundi, vous aurez les responsabilités, les plus hautes et nobles. Ce seront celles de protéger tous les Burundais. Il s’agira, en effet, de votre devoir de protéger les Burundais contre tous les maux dont l’arrogance, les injustices et les bavures des « grands », mais aussi l’ignorance et la misère des « petits ». C’est votre responsabilité de nous protéger contre, entre autres, les traumatismes du passé, les angoisses du présent et la peur de l’avenir. Ainsi, on attend de vous la protection contre toute forme de « fléaux ». Ceux-ci étant d’ordre politique, économique, social, naturel,… Vous savez bien que le peuple a besoin plus de droits que de charité. C’est à vous de les garantir et de les assurer. Ce qui est aisé, c’est que ce même peuple que vous êtes appelé à servir sera à vos côtés. Il est d’ailleurs respectueux, patient, courageux et résilient, malgré l’ampleur des problèmes. Un climat de confiance suffira pour arranger la collaboration afin de garantir votre réussite.
Monsieur, nul n’ignore que ce pays a souffert, à plusieurs reprises. Différentes crises sociopolitiques ont laissé un pays délabré, confronté à une situation conjoncturelle de misère, prédation, désolation, soumission, traumatismes… Il faut le dire comme Dany Laferrière : « les blessures dont on a honte ne se guérissent pas ». Il faut, d’abord, reconnaître l’état de vulnérabilité structurelle de notre société. Et ensuite, on doit penser et passer à autre chose de meilleure, durable, au développement et bonheur partagés. Ce qui passera par la sécurité et la stabilité politique, économique et sociale pour tous. Comprenez bien qu’il s’agit d’une grande mission !
Monsieur, une fois que vous êtes élu Président de la République, saisissez votre occasion ! Faut-il préciser que nous attendons de vous ‒ pas un simple politicien qui gagne son pain ‒ mais un leader. Celui-ci veille toujours aux intérêts supérieurs et oriente les aspirations communes. Pour y parvenir, il consulte, écoute, négocie, régule, concilie,…Il se place au – dessus de la mêlée afin d’arbitrer et de trancher. Élu Président de la République, vous deviendrez ainsi le juge suprême. Vous « ignorerez » votre parti politique, votre ethnie, votre clan, votre région, votre religion, votre, votre,…pour se hisser, avec humilité, au – dessus de toutes les sensibilités et tendances. Ce qui n’est pas forcément simple. Mais l’objectivité, l’impartialité et la détermination seront vos boucliers contre les différentes pressions politiciennes, communautaristes ou égoïstes. Votre rôle vous obligera à rencontrer et échanger, sans complexe aucune, avec le maximum possible d’acteurs : les partis politiques, les organisations de la société civile, les investisseurs, les experts, les chercheurs, les organisations internationales, les autres nations,…
Monsieur, il n’est pas nécessaire de rappeler qu’on ne devrait pas badiner avec l’action publique. Ainsi, si vous êtes sérieux, pensez à votre équipe gouvernementale ! Celle-ci est très fondamentale pour réussir à votre mission. Si vous visez l’excellence, commencez, dès maintenant, à sonder les meilleurs talents, hommes et femmes, que connaît ce pays ! Choisissez vos conseillers et collaborateurs parmi les plus brillants, mais aussi dévoués à la cause nationale. Ils auront des cahiers de charges. Ils auront des comptes à rendre à vous-même et au peuple qui vous aura élu, et donc mandaté. Ils vous écouteront. Vous serez le premier à les connaître, à les évaluer et à les sanctionner pour arriver à la réussite de votre mission. En revanche, c’est évident que vous ayez plus d’amis, de courtisans, de conseillers, de proches, d’experts, de prophètes,… et que chacun vous raconte autant de vérités que de mensonges, de calomnies, de rumeurs et de bruits, selon sa sensibilité et ses intérêts les plus immédiats. L’un des remèdes à tout cela, c’est d’avoir le courage de vérifier aussi bien les dires que les rapports. Si donc vous êtes élu Président de la République, assumez vos responsabilités sans complaisance et sans complexe aucunes. Il serait mieux, au cas où le temps le permettrait, de se rendre sur terrain pour s’enquérir de la situation. Visitez les villes comme les collines, les camps militaires comme les campus universitaires,…Vous vous rendrez compte que les hôpitaux et les prisons sont saturés. Pour réussir à votre mission, vous aurez également à organiser différentes consultations nationales dont des États généraux de l’Économie, de l’Éducation, de la Santé, de la Justice,…, impliquant plusieurs acteurs afin de réunir plus de compétences possibles.
Vous savez, peut- être, que votre ennemi sera, entre autres, la finance (comme dirait un autre ex-président d’un autre pays). Inutile de vous rappeler que le niveau des élèves et des étudiants a sensiblement baissé ou que l’effectif des apprenants dépasse largement le niveau d’accueil de nos institutions. De même, je ne parle pas de la lenteur et de la corruption qui hantent la plupart des services. Car, on ne peut pas fournir tous les détails sur tous les domaines de la vie du pays. Mais, on ne peut quand même pas garder le silence par rapport à la situation de la ville de Bujumbura. Elle fait pitié en raison des inondations, des écroulements de terres et de la mauvaise qualité du réseau routier. Cette situation va malheureusement s’aggraver si rien n’est fait. C’est aux techniciens et aux experts de préciser quelles sont les mesures et les réformes à appliquer dans chaque secteur.
Monsieur, si vous êtes élu Président de la République, votre mission sera difficile, mais possible. Ne tardez donc pas à saisir votre chance et votre occasion pour accomplir cette mission noble : celle de protéger les Burundais et de conduire le pays vers sa destinée. Celle-ci sera dans vos mains pour une période déterminée. Vous aurez un mandat qui n’est ni court ni long. Son importance tiendra compte de l’efficacité et de la durabilité des œuvres que vous laisserez à votre successeur et à la nation. Nous vous serons vraiment reconnaissants si le Burundi devient plus meilleur qu’il ne l’est aujourd’hui. Plus que jamais, cette mission est largement noble. Vous n’avez donc pas le droit de la rater. Elle se gagnera, peut-être, progressivement voire au futur. Dans ce cas, votre mandat, vos actes et votre nom s’inscriront dans l’histoire de ce pays.
Ainsi, Monsieur, vous serez un homme d’État.
Dr Eric Ndayisaba, 36 ans, est historien, formé à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour (France). Il est Chargé de Cours à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) / Département des Langues et Sciences Humaines, Enseignant à temps partiel à l’Université du Burundi / Faculté des Lettres et Sciences Humaines. Il est membre associé au Laboratoire Les Afriques dans le Monde (LAM-Science Po Bordeaux)