C’est un drôle de débat qui se passe sur Facebook. Il part d’un commentaire sur une vidéo-montage dans laquelle un chanteur rêve que le Burundi pourrait devenir, d’ici 2020, le Qatar d’Afrique : un pays paisible, riche et industrialisé, avec des gratte-ciels comme témoins.
Ce n’est qu’un rêve, vu l’état actuel du Burundi, mais tous les chefs-d’œuvre commencent comme cela. Le Burundi ne sera jamais le Qatar, mais les Burundais rêvent depuis toujours soit un pays de paix et de prospérité, où on ne meurt ni de faim ni de coups de kalachnikov ou de machette. On se met alors à se demander pourquoi depuis depuis 50 ans que le Burundi est indépendant, le rêve des Burundais tarde toujours a se réaliser.
La mauvaise gouvernance
Pour Thierry Uwamahoro, diplômé de développement international et évoluant aux Etats-Unis, le Burundi a un problème de leadership. Arguments : – Au minimum, les leaders d’ un pays, par leurs actes et décisions, peuvent handicaper ou freiner ou faire reculer le développement d’ un pays : en s’engageant dans la corruption et autres pratiques de mauvaise gouvernance (ce qui amènent les bailleurs de fond à fermer les robinets et privent le pays du peu de capitaux qui étaient disponibles), en s’ engageant dans une politique de terreur (qui peut non seulement amener les entrepreneurs nationaux à fuir le pays, mais aussi les entrepreneurs internationaux à ne pas investir dans le pays). Pas de capitaux, pas d’entrepreneurs : pas de développement. – Le développement d’un pays ne se passe pas dans le vide ou en « vacuum ». Il faut des politiques claires de développement. Une macro-économie solide. Et ceci revient aux dirigeants de mettre une telle politique en place et de la suivre rigoureusement. Bien sûr qu’il y a un minimum de développement qui se passe même en Somalie, mais dites-moi quel pays au monde s’est développé sans politique claire de développement venant du sommet? – Les études faites sur la mauvaise performance de l’économie burundaise durant les 50 dernières années pointent toujours à la mauvaise gouvernance (et la guerre civile – une résultante de la mauvaise gouvernance) comme raison principale. Pour moi, la mauvaise gouvernance est une crise de leadership – leadership au plus haut sommet. Alors, s’il faut rectifier le tir, je trouve que le leadership y est pour quelque chose. »
Les Burundais ont horreur de l’effort
Daly Ngarambe, titulaire d’un Master Informatique Décisionnelle d’une université marocaine, a un autre avis: « Nous ne sommes sûrement pas les champions de la gouvernance à la tête de notre pays, mais ce n’est pas cela qui nous empêche de développer le Burundi, nous nous en servons comme prétexte pour justifier notre inaction alors que d’autres arrivent à du concret avec les mêmes conditions ou même des conditions pires ». « Voilà ce qui nous empêche de transformer nos rêves en réalité selon moi, nous attendons que les choses nous soient donné en cadeau, nous avons horreur de l’effort. » Exemple ? « Lorsque les Burundais se réunissent pourquoi est-ce le plus souvent? pour la fête de ceci ou de cela, une manifestation culturelle, préparer une demande de ceci ou de cela… très rarement ce sera pour réfléchir aux actions à mener, la manière d’orienter les formations en fonctions des besoins du pays, les possibilités de s’organiser en pôles de compétences en fonctions des formations suivis, se constituer en think-tank etc… », renchérit Daly. Autre exemple : « Dans les organisations de quartier, les clubs, les associations diverses, suis-je le seul à avoir remarqué que les plus compétents osent rarement poser leurs candidatures, proposer des idées? on les entend pourtant tous à l’heure du bilan pour dire ce qui n’a pas marché. Alors ma proposition est la suivante : nous qui nous plaignons, nous avons énormément plus de moyens intellectuels que ceux que nous critiquons, sachons les utiliser utilement et concrètement en nous associant avec d’autres pour être plus fort. » La conclusion de Daly Ngarambe est sans appel : « L’intellectuel burundais est un gros paresseux sans imagination qui se sert de la critique pour se donner le sentiment d’un haut degré d’analyse et de bon sens mais qui en réalité n’est capable que de peu de choses concrètes. Son domaine d’excellence en matière de trouvaille est de justifier les obstacles à son épanouissement (souvent égoïstes et parfois éphémères) par l’action du colonisateur, de grandes puissances, des responsables politiques, des habitudes sociales, de la pratique du travail national, du manque de ceci et de cela. L’intellectuel Burundais est une jeune vierge qui rêve du prince charmant « .
Transformer le savoir en savoir-faire
Pour Joh B. Manirakiza, l’autre Burundo-americain, « c’est juste un problème de savoir comment mettre au travail- si la volonté y est- a capacité intellectuelle disponible en créant un cadre, environnement qui favorise la transformation du savoir en savoir faire qui enfin contribuera a la croissance de la production. Au niveau mondial, les plus riches compagnies ne possèdent que des droits intellectuels: Microsoft, Google, Apple, Nike, Intel ne fabriquent absolument rien, ce n’est que la matière grise….. » « Par exemple, ajoute John B, si on encourageait les enfants à poursuivre leurs intérêts et passions, les accompagnant à devenir des experts dans le domaine de leur choix, on encouragerait la créativité et nous aurions de vrais experts ».
Un système éducatif obsolète
C’est la conclusion de John B. Manirakiza : « Tant que le système éducatif Burundais est tel qu’il est, le résultat sera toujours de sortir des diplômés incapables de penser avec indépendance. Un exemple concret: j’ai fait 4 ans de droit à l’université du Burundi sans lire un seul ouvrage en dehors des notes dictées par mes profs, pour te montrer comme inadéquat notre système est. » Le réveil burundais C’est une lueur d’espoir que souligne Thierry Uwamahoro : « Depuis peu il me semble qu’il y a quelque chose d’un{ réveillon burundais} dans le cercle des jeunes intellectuels de la diaspora. En tous cas dans les 6 derniers mois, j’ai été invité à pas moins de 5 forums qui veulent discuter des problèmes socio-économiques dans notre mère-patrie et proposer des solutions. Je rencontre (sur Facebook, Skype ou téléphone), de jeunes burundais qui veulent chercher des fonds pour construire des cliniques, écoles, …investir dans la micro-finance pour soutenir les petits-entrepreneurs, créer des think-tank,…En tout cas, il y a un courant qui m’encourage et m’excite. » Dans une société comme la nôtre, ou la majorité de nos concitoyens sont illettrés, les intellectuels ont plus qu’ailleurs une grande responsabilité dans le destin du pays. Et s’il faut faire un bilan, les cinquante dernières années ont été un échec pour eux, et en conséquence pour tout le Burundi. Le cinquantenaire de l’indépendance du Burundi devrait servir d’occasion à ceux qui ont eu la chance d’accumuler le savoir, de repenser leur rôle dans le destin de notre pays, pour faire en sorte que les cinquante prochaines années soient celles du renouveau, où le rêve burundais de paix, de progrès et de justice sociale deviennent possibles.