Dr HARINGANJI Déo Gratias Christian*
Je suis un Burundais installé à l’étranger, et comme tous mes compatriotes, je fréquente les réseaux sociaux, un peu, beaucoup même.
Tous les matins en effet, je traque sur Facebook ou twitter, ce signe que nous attendons tous, qu’enfin les fils et les filles du Burundi se sont assis à la même table pour enfin trouver une solution à un problème sans doute réel qu’ils ont inventé eux-mêmes.
Alors, tous les matins et tous les soirs, je suis déçu, car rien n’avance, bien au contraire. Certains m’ont affublé du sobriquet dégradant de chien errant (mujeri), et de celui plus sexy de « Sindumuja » (celui qui refuse la soumission).
Profitant du « dialogue » singulier et débile qu’offrent les réseaux sociaux, je les ai traités de génocidaires, d’assoiffés de sang et que sais-je encore…
Depuis ce samedi, j’ai redoublé ma fréquentation des réseaux sociaux :
il y a eu en effet, un massacre comme seuls les Burundais savent s’infliger les uns aux autres depuis si longtemps .
Les réactions et commentaires sur les réseaux sont un florilège de preuve de la décrépitude de l’humanité chez les Burundais.
Des hommes armés, vite étiquetés de terroristes par les sbires de Bujumbura, ont attaqué et massacré des familles entières, dont des enfants, des femmes et des vieillards.
Le couperet est tombé, 28 morts et autant de blessés graves.
Les massacres de ce genre ne sont malheureusement pas rares dans notre pays. On a massacré des réfugiés banyamulenges par centaines, on a décimé tout un camp de déplacés à Bugendana, et on nous a fabriqué des martyrs à Buta sans qu’on l’eût demandé, et des exemples font légion.
Ce qui est frappant, c’est la réaction des uns et des autres sur les réseaux sociaux :
– On oublie de pleurer les morts, on détermine l’ethnie des morts, on s’en félicite quand on juge que ceux là n’appartiennent pas à notre communauté, ou sont des parents d’un policier fut-t- il sanguinaire.
Je vois poindre l’accusation de deux poids deux mesures car je n’ai cité que des massacres de Tutsis sans qu’on sache de quelle ethnie je suis.
On pourrait au moins organiser un deuil national ? Mais je comprends ! Si on devait organiser un deuil à chaque massacre, on ne travaillerait pas.
Le gens qui ont massacré les autres, sont appelés combattants de la liberté par les uns, et terroristes par les autres : J’appelle ça des sanguinaires qu’il faudra juger un jour, notre pays, en fait une collection malheureusement:
– Les acteurs du péché originel du Burundi moderne en « 1972 », toutes ethnies confondues,
Et après eux, leurs fils, de toutes ethnies, ont redoublé d’ingéniosité pour tuer leurs compatriotes :
Ils ont posé des mines anti personnelles dans la capitale,
Ils ont tué de pauvres gens en les sortant des bus de transport en commun,
Ils ont brulé vif tous les passagers d’un minibus sur la route Bujumbura IJenda, et souvent les familles entières dans leur maison.
Tout ce monde devra être jugé, mais que ne l’a-t-on pas fait plus tôt ?
Ils sont pour moi de parfaits criminels au même titre que ceux qui ont « gazé » des familles entières à AUSCHWITZ.
Autre réaction, unité de temps, unité de fait et de medium :
Ce massacre serait l’anniversaire d’un coup d’état fumeux qui fut la justification s’il en fallait, d’autres massacres.
Il s’agit ici, d’un prétexte pour revenir à des préoccupations plus domestiques, car on y trouve la raison de plus de s’engager pour EGO (oui), ou OYA (non) concernant un projet de référendum sur la nécessité de changer la loi fondamentale ; occulte parce que pas lu par ceux qui savent lire, et pas expliqué à ceux qui ne savent pas lire.
C’est cela la vie au Burundi ! elle est axée sur la nécessité de dire OUI ou NON à toute question qu’importe laquelle. Même à propos des massacres de RUHAGARIKA il faut répondre par Oui (EGO)ou Non (OYA). Bien sûr que pour ma part, et malgré mon ethnie dont je me fiche, c’est OYA (non !!). Mais chez certains internautes, en fonction de la réponse, on saura qui vous êtes, qui vous fréquentez et le traitement à vous infliger en découlera.
Nous devons continuer à dénoncer
Tout est mis en œuvre pour que la vie dans ce pays soit binaire : ou c’est noir ou c’est blanc ! ou c’est EGO, ou c’est OYA ! et on oublie la souffrance de l’autre, et on met en avant les années les plus sombres du pays, dans un gargarisme sans fin en oubliant de traquer les criminels.
A un moment, dans une sorte de feed- back morbide, ceux-ci se muent en victimes, les victimes deviennent des bourreaux, et le pays entier, dans un processus auto entretenu, passe son temps à se lamenter, ne se développe pas, régresse et meurt.
Eh bien non !
Il faut refuser l’arbitraire. Il faut refuser de se faire enfermer dans la prison exiguë de la pensée unique, celle qui excuse le crime commis par mon frère ou mon cousin, celle qui me rend plus proche du Hutu du Rwanda, et m’éloigne du Tutsi du Burundi, et réciproquement, prenant le tutsi du Rwanda plus proche que le Hutu du Burundi, pourtant mon voisin.
J’allais dire surtout, nous devons continuer à dénoncer.
Dire, raconter les faits ne doit pas être l’apanage de quelque journaliste seulement, ou de quelque historien.
Qui sait ? de crier haro au génocide a pu faire éviter peut-être de massacres de grande envergure.
Panser la plaie de l’autre, éviter la répétition des délits, faire fonctionner la justice qui soulage, nous éloigne de la vengeance aveugle qui entretient la rancœur.
Celui qui refuse la réponse toute faite, celle qui mène aux extrêmes, est souvent jugé faible. Celui qui porte la nuance est jugé pas fiable dans un monde aussi polarisé que le Burundi. Mais je sais qu’on est des millions à penser que parmi les 300000 morts de 1972 la majorité n’était pas des ennemis de la nation, que les milliers de morts de 1993 n’ont pas tué M. Ndadaye, ils ne le connaissaient pas, et que fort justement, les membres morts de la famille du policier jugé criminels par la vindicte, ne connaissaient pas les victimes du frère, de l’oncle ou du cousin basé à Bujumbura.
J’entends dire que les criminels seront poursuivis, et qu’on mettra tous les moyens pour les retrouver. De quels criminels s’agit-il ? Ceux-ci, les plus récents ? Ceux qui ont tué à Bugendana ? Ceux qui ont massacré les autres en 1972 voire 1993 ? Pourquoi ceux-ci et pas les autres ?
Il ne se passe pas une semaine sans que dans ce pays on ne ramasse de corps décapités, sans qu’on n’annonce la disparition d’un homme souvent jeune, pourquoi ne les retrouve-t-on pas ? Faut il croire que toute humanité nous a quitté ? pourquoi nous ?
En disant cela, j’ai l’impression de dire que l’hiver il fait froid, que tuer c’est mal et cela me donne un sentiment bizarre d’impuissance, un peu celui de quelqu’un qui prêche dans le désert.
Mais qu’à cela ne tienne, Je le dis, et c’est tout sauf un coming out, j’espère seulement que les, Godefroid, Alexis, Alain, et surtout Pierre, tellement « pieux », et tellement « bon », aiment les enfants et les fleurs aussi!
*Déo Christians Haringanji exerce comme médecin en Europe. Les articles de la rubrique « Opinion » n’engagent pas la rédaction